Les ronds de cuirs ne sont que des fonctionnaires farfelus, paresseux, haineux se faisant des coup bas entre eux. ils n'ont qu'un seul souhait ''bouffer'' de l'argent, j'entend par là piocher dans la caisse de l'État. Ils mijotent comment injecter les autres. Ils rêvent plus que de leur promotion alors qu'ils passent leur temps, à longueur de journée, à dormir sur leur fauteuil de bureau, à défaut de s'absenter régulièrement. Courteline nous en dépeint avec beaucoup d'humour et de subtilité, on y perçoit des dessous de table de comment se traitent des affaires extérieures, avec autant de négligence que d'indifférence. J'ai aimé le travail des personnages, en dehors de M letondu dont la folie s'est avéré une maladie réelle, qui d'ailleurs conduire à une tragédie dans ces bureaux de dons et legs, tous les autres personnages semblaient noyer dans leur propre folie, comme si l'oisiveté dans ces bureaux leur tapaient dans les nerfs!
Commenter  J’apprécie         241
D'abord je remercie ma maman, qui n'est plus, de m'avoir fait découvrir ce livre tellement drôle, léger et grave.
Je ne me lasse jamais de lire et relire cette "chronique de la vie de bureau" de la fin du dix-neuvième siècle.
Les personnages de ce livre, dans ce qu''ils ont de dérisoires, pathétiques, insupportables ou détestables, sont des archétypes que l'on retrouve encore de nos jours seulement modernisés en superficie.... Imaginons la situation actuelle, par exemple, d'un de la Hourmerie pris entre le marteau et l'enclume d'un chef de service qui s'en "lave les mains" et d'un subordonné atteint de troubles mentaux!
Le conservateur de Vannes-en-Bresse, n'a pas fini de tourner dans le labyrinthe administratif...
Là, réside le génie d'observation de Georges Courteline, allié à une plume exceptionnelle.
Commenter  J’apprécie         181
MESSIEURS LES RONDS DE CUIR
(1er tableau, chapitre II)
Plus vaste qu’une halle et plus haut qu’une nef, le cabinet de M. de La Hourmerie recevait, par trois croisées, le jour, douteux pourtant, de la cour intérieure qu’emprisonnaient les quatre ailes de la Direction. Derrière un revêtement de cartons verts, aux coins usés, aux ventres solennels et ronds des notaires aisés de province, les murs disparaissaient des plinthes aux corniches, et l’onctueux tapis qui couvrait le parquet d’un lit de mousse ras tondue, le bûcher qui flambait clair et la cheminée, l’ample chancelière où plongeaient, accotés, les pieds de M. de La Hourmerie, trahissaient les goûts de bien-être, toute la douilletterie frileuse du personnage.
Lahrier s’était avancé.
— Je vous demande pardon, monsieur, dit-il avec une déférence souriante ; il y a deux heures que je suis ici et cet imbécile d’Ovide songe seulement à m’avertir que vous m’avez fait demander.
Couché en avant sur sa table, consultant une demande d’avis qu’il écrasait de sa myopie, M. de La Hourmerie prit son temps. À la fin, mais sans que pour cela il s’interrompît dans sa tâche :
— Vous n’êtes pas venu hier ? dit-il négligemment.
— Non, monsieur, répondit Lahrier.
— Et pourquoi n’êtes-vous pas venu ?
L’autre n’hésita pas :
— J’ai perdu mon beau-frère.
Le chef, du coup, leva le nez :
— Encore !…
Et l’employé, la main sur le sein gauche, protestant bruyamment de sa sincérité :
— Non, pardon, voulez-vous me permettre, s’exclama M. de La Hourmerie.
Rageur, il avait déposé près de lui la plume d’oie qui, tout à l’heure, lui barrait les dents comme un mors. Il y eut un moment de silence, la brusque accalmie, grosse d’angoisse, préludant à l’exercice périlleux d’un gymnaste.
Tout à coup :
— Alors, monsieur, c’est une affaire entendue ? un parti pris de ne plus mettre les pieds ici ? À cette heure vous avez perdu votre beau-frère, comme déjà, il y a huit jours, vous aviez perdu votre tante, comme vous aviez perdu votre oncle le mois dernier, votre père à la Trinité, votre mère à Pâques !… sans préjudice, naturellement, de tous les cousins, cousines et autres parents éloignés que vous n’avez cessé de mettre en terre à raison d’un au moins la semaine ! Quel massacre ! non, mais quel massacre ! A-t-on idée d’une famille pareille ?… Et je ne parle ici, notez bien, ni de la petite sœur qui se marie deux fois l’an, ni de la grande qui accouche tous les trois mois ! – Et bien, monsieur, en voilà assez ; que vous vous moquiez du monde, soit ! mais il y a des limites à tout, et si vous supposez que l’Administration vous donne deux mille quatre cents francs pour que vous passiez votre vie à enterrer les uns, à marier les autres ou à tenir sur les fonts baptismaux, vous vous méprenez, j’ose le dire.
Il s’échauffait. Sur un mouvement de Lahrier il ébranla la table d’un furieux coup de poing :
— Sacredié, monsieur, oui ou non, voulez-vous me permettre de placer un mot ?
Là-dessus il repartit, il mit son cœur à nu, ouvrit l’écluse au flot amer de ses rancunes. Il flétrit l’improbité, « l’improbité, parfaitement, je maintiens le mot ! » des employés amateurs sacrifiant à leur coupable fainéantise la dignité de leurs fonctions, jusqu’à laisser choir dans la déconsidération publique et dans le mépris sarcastique de la foule l’antique prestige des administrations de l’État ! Il s’attendrit à exalter la Direction des Dons et Legs, la grande bonté du Directeur, les traditions quasi familiales de la maison ! Une phrase en amenait une autre. Il en vint à envisager le fonctionnement de son propre bureau :
— Vous êtes ici trois employés attachés à l’expédition : vous, M. Soupe et M. Letondu. M. Soupe en est aujourd’hui à sa trente-septième année de service, et il n’y a plus à attendre de lui que les preuves de sa vaine bonne volonté. Quant à M. Letondu, c’est bien simple : il donne depuis quelques semaines des signes indéniables d’aliénation mentale. Alors, quoi ? Car voilà pourtant où nous en sommes, et il est inouï de penser que sur trois expéditionnaires, l’un soit fou, le deuxième gâteux et le troisième à l’enterrement. Ça a l’air d’une plaisanterie ; nous nageons en pleine opérette !… Et naïvement vous vous êtes fait à l’idée que les choses pouvaient continuer de ce train ?
Le doigt secoué dans l’air il conclut :
— Non, monsieur ! J’en suis las, moi, des enterrements, et des catastrophes soudaines, et des ruptures d’anévrisme, et des gouttes qui remontent au cœur, et de toute cette turlupinade de laquelle on ne saurait dire si elle est plus grotesque que lugubre ou plus lugubre que grotesque ! C’en est assez, c’est assez, vous dis-je, je vous dis que c’en est assez sur ce sujet ; passons à d’autres exercices. Désormais c’est de deux choses l’une : la présence ou la démission, choisissez. Si c’est la démission, je l’accepte ; je l’accepte au nom du ministre et à mes risques et périls, est-ce clair ? Si c’est le contraire, vous voudrez bien me faire le plaisir d’être ici chaque jour sur le coup d’onze heures, à l’exemple de vos camarades, et ce à compter de demain, est-ce clair ? J’ajoute que le jour où la fatalité – cette fatalité odieuse qui vous poursuit, semble se faire un jeu de vous persécuter – viendra vous frapper de nouveau dans vos affections de famille, je vous ferai flanquer à la porte, est-ce clair ?
D’un ton dégagé où perçait une légère pointe de persiflage :
— Parfaitement clair, dit Lahrier.
Bourré de grec, bourré de latin, bourré d'anglais et d'allemand, ex-élève sorti de l'Ecole des langues orientales, et absolument incapable, avec ça, de mettre sur leurs pieds vingt lignes de français, Théodore Van der Hogen évoquait l'idée d'une insatiable éponge de laquelle rien n'eut rejailli. Tour à tour, il avait parcouru comme sous-chef de bureau chacun des huit bureaux de la Direction, sans que jamais on eût pu obtenir de lui autre chose qu'une activité désordonnée et folle, un sens du non-sens et de la mise au pillage qui lui faisait retourner comme un gant et rendre inextricable, du jour au lendemain, un fonctionnement consacré par de longues années de routine. Il s'abattait sur un bureau à la façon d'une nuée de sauterelle, et tout de suite c'était la fin, le carnage, la dévastation : la coulée limpide du ruisselet que la chute d'un pavé brutal a converti en un lit de boue.
- Tu vas voir, c’est très curieux. Les uns (ce sont les rédacteurs) rédigent des lettres qui ne signifient rien ; et les autres (ce sont les expéditionnaires) les recopient. Là-dessus arrivent les commis d’ordre, lesquels timbrent de bleu les pièces du dossier, enregistrent les expéditions, et envoient le tout à des gens qui n’en lisent pas le premier mot. Voilà. Le personnel des bureaux coûte plusieurs centaines de millions à l’Etat.
– Alors, monsieur, c’est une affaire entendue ? un parti pris de ne plus mettre les pieds ici ? À cette heure vous avez perdu votre beau-frère, comme déjà, il y a huit jours, vous aviez perdu votre tante, comme vous aviez perdu votre oncle le mois der-nier, votre père à la Trinité, votre mère à Pâques !... sans préjudice, naturellement, de tous les cousins, cousines et autres parents éloignés que vous n’avez cessé de mettre en terre à raison d’un au moins la semaine ! Quel massacre ! non, mais quel mas-sacre ! A-t-on idée d’une famille pareille ?... Et je ne parle ici, notez bien, ni de la petite sœur qui se marie deux fois l’an, ni de la grande qui accouche tous les trois mois ! – Et bien, monsieur, en voilà assez ; que vous vous moquiez du monde, soit ! mais il y a des limites à tout, et si vous supposez que l’Administration vous donne deux mille quatre cents francs pour que vous passiez votre vie à enterrer les uns, à marier les autres ou à tenir sur les fonts baptismaux, vous vous méprenez, j’ose le dire
Au songe d’une telle grandeur d’âme, des pleurs, des pleurs véritables, humectaient son éloquence. Sa gratitude déborda dans un mot, qu’il répéta par deux fois :
Le pauvre enfant ! Le pauvre enfant !
Après quoi :
Oh ! s’exclama-t-il, que ne suis-je poète lyrique ! M’accompagnant d’un luth aux cordes bien tendues, en des vers dignes de celui qui me les aurait inspirées, je célébrerais ses mérites, et la noblesse de son cœur, et son fier désintéressement, et ses vertus au-dessus de tout éloge ! Pour glorifier son souvenir, que n’ai-je ton art infini, Banville, chantre aimé des dieux ! pour porter aux peuplades lointaines son nom cher à ma reconnaissance, que n’ai-je, petite oiseau, tes ailes ?... Et cet homme qui, seul entre tous, a respecté ma noire détresse, je l’irais chasser comme un laquais ?
- Pourtant…
Je l’irais flanquer à la porte parce qu’un jour, en son bureau, il a embrassé une femme qui était peut-être sa sœur ?
La Hourmerie bondit :
Sa sœur ? … Il ne manquerait plus que ça, par exemple !
CHAPITRES :
0:00 - Titre
F :
0:06 - FLATTERIE - Madame de Sévigné
0:15 - FOU - Delphine Gay
0:25 - FOULE - George Sand
G :
0:34 - GAIETÉ - Robert Poulet
0:46 - GOUVERNEMENT - Marmontel
H :
0:58 - HABITUDE - Pierre-Adrien Decourcelle
1:09 - HOMME - Victor Hugo
1:19 - HOMME ET FEMME - Alphonse Karr
1:32 - HONNÊTES GENS - Anatole France
1:46 - HORLOGE - Alphonse Allais
1:56 - HUMOUR - Louis Scutenaire
I :
2:06 - IDÉAL - Marcel Pagnol
2:17 - IDÉE - Anne Barratin
2:29 - IGNORANCE - Charles Duclos
2:42 - IMBÉCILE - Louis-Ferdinand Céline
2:55 - IMMORTEL - Jean Richepin
3:05 - INJURE - Vauvenargues
3:14 - INTELLECTUEL - Alexandre Breffort
3:25 - INTELLIGENCE - Alain
3:35 - INTÉRÊT - Albert Willemetz
J :
3:46 - JEUNES ET VIEUX - Decoly
3:56 - JEUNESSE - Jean-Bernard
4:09 - JOIE - Martin Lemesle
4:22 - JOUISSANCE - John Petit-Senn
L :
4:33 - LARME - Georges Courteline
4:46 - LIBERTÉ - Henri Jeanson
4:57 - LIT - Paul Éluard
M :
5:05 - MALADIE - Boris Vian
5:18 - MARIAGE - Édouard Pailleron
5:31 - Générique
RÉFÉRENCE BIBLIOGRAPHIQUE :
Jean Delacour, Tout l'esprit français, Paris, Albin Michel, 1974.
IMAGES D'ILLUSTRATION :
Madame de Sévigné : https://www.linternaute.fr/biographie/litterature/1775498-madame-de-sevigne-biographie-courte-dates-citations/
Delphine Gay : https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/5/5e/Delphine_de_Girardin_1853_side.jpg
George Sand : https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/0/09/George_Sand_%281804-1876%29_M.jpg
Robert Poulet : https://www.belgiumwwii.be/belgique-en-guerre/personnalites/poulet-robert.html
Jean-François Marmontel : https://www.posterazzi.com/jean-francois-marmontel-n-1723-1799-french-writer-stipple-engraving-french-c1800-poster-print-by-granger-collection-item-vargrc0085347/
Pierre-Adrien Decourcelle : https://www.mediastorehouse.co.uk/fine-art-finder/artists/henri-la-blanchere/adrien-decourcelle-1821-1892-39-boulevard-des-25144380.html
Victor Hugo : https://www.maxicours.com/se/cours/les-funerailles-nationales-de-victor-hugo/
Alphonse Karr : https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/9/9c/Personnalités_des_arts_et_des_lettres_-_Alphonse_Karr_%28Nadar%29.jpg
Anatole France : https://rickrozoff.files.wordpress.com/2013/01/anatolefrance.jp
Alphonse Allais : https://www.litteratureaudio.com/livre-audio-gratuit-mp3/alphonse-allais-faits-divers.html
Louis Scutenaire : https://fr.wikipedia.org/wiki/Louis_Scutenaire#/media/Fichier:Louis_Scutenaire,_rue_de_la_Luzerze.jpg
Marcel Pagnol : https://www.aubagne.fr/actualites-109/marcel-pagnol-celebre-dans-sa-ville-natale-2243.html?cHash=50a5923217d5e6fe7d35d35f1ce29d72#gallery-id-4994
Anne Barratin : https://www.babelio.com/auteur/Anne-Barratin/302855
Charles Pinot Duclos
+ Lire la suite