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EAN : 9782072903045
320 pages
Gallimard (01/09/2022)
3.82/5   39 notes
Résumé :
Les agents, reclus dans leurs box, surveillent les millions de données qui s'affichent sur leurs écrans. Ils veillent à la bonne marche d'un monde qui tourne sans eux. Les hautes tours de verre d'un autre siècle sont devenues leur lieu de travail et de survie : tous les jours, ils luttent pour conserver leur poste, au risque d'être tués ou, pire, jetés à la rue. Car dehors règnent l'animalité, le désordre, l'inconnu. À l'étage de la tour 122 de la tour 35S du quarti... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (13) Voir plus Ajouter une critique
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Depuis leur haute tour de verre, dans des box blindés, derrière leurs écrans, les agents veillent à la bonne marche du monde. le travail est la seule chose en soi qui n'ait de valeur. Aussi, travaillent-ils de 5h à 0h15, avec cinq pauses par jour, et vivent-ils sur leur lieu de travail. En dehors de leur boulot, ils sont libres... et luttent pour le rester mais aussi pour conserver leur poste. Des guildes se sont ainsi formées pour se protéger les uns les autres. Élisabeth, Solveig, qui n'a plus un seul poil sur le corps, Clara pour qui l'art consiste à se scarifier, Laszlo, un artiste qui filme tout, et Théodore qui, en vertu d'une date sur un calendrier dont lui seul a connaissance, s'est coupé les orteils, font partie d'une même guilde. Leur but : détruire les autres guildes afin de prendre possession de l'étage. Dès qu'un agent disparaît, il est aussitôt remplacé. Aussi l'arrivée de Hick, survenue après le suicide de Piotr, un homme plutôt âgé et habillé différemment, va-t-elle semer le trouble dans tout l'étage 122 de la tour 35S...

Grégoire Courtois nous transporte dans un monde futuriste où seul le mot travail a du sens et de la valeur. Les agents, d'ailleurs, ne connaissent rien d'autre, ils vivent pour et par le travail. L'on va suivre, au coeur de cette dystopie, le destin de cinq d'entre eux qui ont tous choisi, d'une manière ou d'une autre, de garder un semblant de personnalité en se distinguant des autres. Si la solidarité est le maître-mot au sein d'une guilde, l'on découvrira pourtant qu'elle a des limites. Avec ce roman d'anticipation qui fait froid dans le dos, Grégoire Courtois nous offre une vision d'un futur où l'humain en tant que tel n'a plus sa place, où les machines régissent le monde et où le mot « vie » a perdu tout son sens. Si le propos est fictionnel, il n'en reste pas moins glaçant. L'ambiance, tendue, nerveuse, est parfaitement retranscrite par cette plume acerbe et mordante.
Un roman singulier, surprenant et impitoyable...
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C'est grâce à marina53 que j'ai voulu lire ce roman vers lequel je ne me serais pas porté spontanément. Chance, je l'ai gagné à la dernière Masse Critique. Merci donc à marina, à Babelio et à Folio. Grâce à eux j'ai vécu un moment de lecture intense.

Je commence ma lecture et déjà je le regrette. Les premiers mots installent l'ambiance désespérée. J'ai tâté la température de l'eau avec le gros orteil et je l'ai ressorti vivement, comme agressé par un froid intense. J'absorbe les émotions décrites comme une éponge empathique. Mal ! Dans quoi est-ce que je me suis embarqué ? Ce n'est pas le moment de bouffer un bouquin qui me déprime. Pfff.

Ambiance :
Un décor de ville, probablement américain, qui ne voit jamais le soleil caché en permanence derrière des couches de nuages gris, ni le sol caché derrière une brume sûrement toxique en dessous de laquelle survivent, paraît-il, les chats : ces sans emploi. Des tours de trois cents étages identiques, rangées à l'infini comme un bataillon de Lego®. A chaque étage, des agents qui surveillent l'évolution d'indicateurs de performance et reçoivent des mémos de la direction qui les félicitent pour leur assiduité, les réprimandent pour leur oisiveté ou changent brutalement le règlement. Ils « vivent » là, dans leurs box blindés, bossent douze heures par jour et plus, quelques pauses d'un quart d'heure et le repas de midi. Ils sont organisés en guildes. Leur but : survivre. Car les guildes se livrent à une immense partie de Risk où il s'agit de conquérir les box voisins en tuant leurs occupants temporaires : au couteau, à la grenade, au fusil à pompe. A travers les vitres, les corps qui tombent des étages supérieurs forment un spectacle si permanent qu'il en est devenu banal.
Comment vivre dans cet environnement réglé par une direction assurément guidée par des IA ont une curieuse interprétation de l'expression « donner un sens à sa vie » ? La petite guilde à laquelle on s'intéresse donne le ton. On transforme la scarification et les jets de sang sur les murs des toilettes en art, on se coupe les orteils qui visiblement ne servent à rien, on s'épile le moindre poil y compris les cils. Chacun sa méthode.

Quel est le but de ce roman ? Juste nous plomber et nous faire déprimer ? Ça c'est réussi, J. G. Ballard n'est pas loin. J'hésite à poursuivre.
Mais… tiens, cela s'anime. Grégoire Courtois nous offre une intrigue : un nouveau vient de franchir la porte des Hairaches. Il n'est pas comme les autres. Il crie même à la cantonade qu'il serait heureux de rencontrer ses collègues autour d'un café ! Hallucinant. du coup, cette proie facile pour les guildes les mieux placées sont dans l'expectative.
Et avec ça, un changement du règlement qui donne un gros avantage aux guildes qui possèdent des box adjacents : des prêts à des taux avantageux pourront leur être accorder, pour s'armer par exemple. Déstabilisation de la partie de Risk. Ça risque de chauffer bientôt.
Comment va réagir notre charmante guilde ?

Les événements se précipitent. La troisième partie est un long, très long morceau de chaos d'une violence inouïe. Je ne peux plus lâcher le bouquin. Je veux savoir.
Je finis par savoir.
Et je me pose la même question qu'au début, et les personnages survivants aussi : pourquoi tout ça ?
Est-ce que l'auteur voulait nous frapper en nous montrant l'inanité de nos existences de bureau (la mienne en tout cas) ?
Était-ce juste un exercice, non pas d'anticipation, mais d'extrapolation aux limites de la vie de bureau ?

Je sors de là essoufflé. Envie de légèreté.
Roman singulier, surprenant et impitoyable a dit marina53. Je ne trouve pas mieux à dire.
A lire, si vous l'osez.
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Passionnant huis clos au 122ème étage d'une tour parmi des milliers à Chicago, toutes hautes de 300 étages. le travail est la seule valeur qui glorifie et tient les humains face à des machines omnipotentes qui sont jugées parfaites et rabaissent hommes et femmes au rang de serviteurs obéissants ou subissant la disgrâce. C'est parfois cru et noir, au rythme de quelques violences, dont les chutes ou suicides par défenestration qui m'ont rappelé l'horreur du 11 septembre.

Nous sommes dans une version moderne où la partie travail de 1984 se déroulerait dans le décor et avec l'ambiance de Severance (série TV). Chacun effectue dans son box des tâches dont on ignore le sens. Les rares pauses sont le moment de partage d'informations entre membres de guildes, quand ce n'est pas la guerre entre ces clans pour la conquête du territoire.
Les esprits sont soumis à rude épreuve dans cet univers dystopique aussi fou que les humains qui s'y cherchent une singularité. Les manipulateurs de ce non-jeu sont invisibles et il y a certaines règles à respecter, certaines failles à exploiter.
La narration est à la première personne du pluriel, c'est un régal car on ne sait pas qui parle. L'ambiance semble étrange au début, puis nous sommes immergés et les pages tournent à grande vitesse et au rythme de courts chapitres. Il se passe toujours quelque chose et les réflexions sont extrêmement bien vues. Un livre humaniste.
Nous ne trancherons pas le débat sur l'aliénation de l'homme au travail, surtout quand il devient l'esclave du système mais qu'il estime que le labeur est la plus haute valeur. Difficile aussi de déterminer si les tourments de chacun sont des réactions ou des affirmations de la puissance de l'esprit de chacun.
Toujours est-il que le final n'est pas celui que l'on voit venir, grandiose délire !
Un auteur dont j'ignorais l'existence il y a un mois et dont je vais lire d'autres oeuvres.
Lien : https://www.patricedefreminv..
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Au ras de la moquette d'un World of Corporate Warcraft insensé, une étonnante métaphore dystopique, poussée à l'extrême, pour réinterroger nos rapports au travail.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2023/02/01/note-de-lecture-les-agents-gregoire-courtois/

Solveig, Théodore, Laszlo, Clara et Piotr travaillent dans une tour de bureaux, préposés à la surveillance des ordinateurs qui gèrent et tirent profit de l'économie du monde. Ils vivent là, aussi, car depuis des temps désormais immémoriaux, il est apparu beaucoup plus rationnel de vivre sur son lieu de travail plutôt que de perdre tant de temps, d'argent et d'environnement, éventuellement, à circuler entre un domicile et un bureau. Lorsque leur travail programmé leur en laisse le loisir (bien qu'ils n'exécutent que d'authentiques bullshit jobs, les machines qu'ils sont censés superviser ne commettant jamais d'erreurs, leur emploi du temps est étroitement encadré par l'organisation à laquelle ils appartiennent), ils doivent en permanence, au sein de leur (toute petite) guilde de collègues s'employer à survivre face aux convoitises d'autres collègues, dans cette jungle de bureau, ce World of (Corporate) Warcraft où les couteaux sont tirés en permanence, et pas de manière purement métaphorique. Dans les interstices de leur vie de labeur, ils échafaudent des plans, travaillent des rêves obscurs, élaborent des divertissements obsessionnels, cultivent leurs psychopathologies de la vie quotidienne, ou s'adonnent à d'étranges complotismes de machine à café, de vive voix parfois, sur leurs canaux réputés privés (jusqu'à un certain point) le plus souvent. Jusqu'à ce que, prise dans l'étau de forces plus puissantes qu'elle, la micro-guilde qu'ils forment tant bien que mal se mette en mouvement, transgression après transgression de la règle et de l'habitude, en direction volontaire et involontaire de révélations inimaginables…

C'est le grand Julien Campredon, venu jouer les libraires d'un soir chez Charybde en décembre 2013 (une soirée à écouter ici), qui nous avait le premier parlé des « Travaillants » de Grégoire Courtois, publié dans la collection Les Lunatiques de Presque Lune en 2009. Retravaillé depuis sous le titre « Les agents », au Quartanier en 2020 et chez Folio SF en 2022, ce roman de 300 pages illustre parfaitement la capacité de l'auteur à projeter une métaphore ramifiée dans ses ultimes retranchements, pour notre plus grand plaisir éventuellement vertigineux : on se souvient notamment de son « Suréquipée » de 2015, inquiétante fable science-fictive autour d'une voiture intelligente à caractère animal prononcé, ou de son « Les lois du ciel » de 2016, qui explorait avec brio le potentiel résolument cauchemardesque d'une « classe verte » scolaire a priori anodine.

Télescopant avec force les situations et images anodines, à la limite du cliché contemporain, de « The Office » ou de « Caméra Café », voire les cases les plus joliment fielleuses des cartoons de « Dilbert », en direction d'une utopie méticuleusement dégénérée jouant avec les motifs des « Monades urbaines » de Robert Silverberg, « Les agents » propulse les visions amoindries du travail contemporain (on songera sûrement à la belle anthologie « Au bal des actifs » de la Volte) en direction de l'un de leurs aboutissements logiques, outré et terrifiant, naturellement. Calculant une superbe tonalité au plus juste, juxtaposition de petitesse calculée et de lyrisme épique, entrechoc rusé de manuels de gestion des années 80 et de Tables de la Loi (du Profit ou de la Shareholder Value), enchevêtrant le récit officiel et les récits officieux, les faits vérifiés et les légendes les plus folles, se nimbant de tout le cynisme incrédule et triomphant de ces cadres et employés à qui « on ne la fait pas », « Les agents » manie le souterrain et l'inexorable, l'évidence proclamée et l'absurde des processus automatisés au dernier degré, l'ambiance si spéciale du jeu de rôle « Paranoïa », pour aboutir à une fiction noire, désespérée en diable, mais étrangement phosphorescente ces temps-ci, à l'heure où une partie du capital voudrait une fois de plus contraindre les forces productives à « travailler » plus longtemps pour mieux entretenir le taux marginal de profit accumulé, jugé un peu menacé à la longue.
Lien : https://charybde2.wordpress...
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Une société futuriste où le travail est devenu la seule valeur sociale, à laquelle se consacrent des agents, chacun dans son box blindé, au sein de hautes tours de verre. Leur mission : surveiller les millions de données qui s'affichent sur leurs écrans, veiller à la bonne marche du monde économique. Tout cela sans relâche ou presque, puisque ces agents travaillent de cinq heures du matin à minuit, avec des pauses de quinze minutes toutes les trois heures, sept jours sur sept. L'agent modèle vit sur son lieu de travail, dort dans son box – on a supprimé depuis longtemps les trajets domicile-travail qui représentaient trop de perte de temps et financière. Chacun lutte pour conserver son poste, sous la protection d'une guilde – la Colonne rouge, les Copieurs, les Bookies, la Kon-Tha, etc - et tous les moyens sont bons pour y parvenir, ruse, stratégie, violence. C'est à ce prix qu'ils pourront éviter le renvoi par les Airaches, et la rue, où règnent les chats, le chaos et l'inconnu... C'est alors qu'arrive le remplaçant d'un agent qui s'est défenestré. le nouveau attire l'attention sur lui et pourrait bien être le grain de sable qui va venir gripper l'engrenage…

Quartier Sud, tour 35S, étage 122, secteur Y1, box 314. C'est de là qu'écrit la narratrice Elisabeth, qui fait partie d'une petite guilde, dont sont membres Laszlo, un artiste qui filme sans cesse et s'enregistre, Solveig, entièrement épilée jusqu'au moindre cil, Théodore, qui s'est amputé de tous les orteils, et Clara, qui se lacère méthodiquement tout le corps sous anesthésie locale. Des fous ? La folie est toute relative, dans un monde où règne l'absurde : les employés sont strictement inutiles mais cependant réduits à un véritable esclavage, avec pour seul horizon et seule ambition de conserver son box et de survivre, à coups de grenade ou de rafales de mitraillette – uniquement au moment des pauses. D'ailleurs, les suicides ne sont pas rares, au point que plus personne ne prête attention aux corps qui chutent devant les baies vitrées de la tour, des dizaines de fois par jour. Un univers qui n'est pas sans rappeler celui de Brazil de Terry Gilliam, ou 1984 de George Orwell, avec une coloration contemporaine. Evidemment, c'est délirant, absurde, parfois outrancier, mais cette vision du futur, où la reproduction est assurée par des machines, où le contexte de vie privée n'existe plus, où l'humain est réduit à une tâche répétitive sans aucun sens si ce n'est sa survie pour échapper à l'inconnu, n'est pas qu'une simple fable dystopique. le futur qu'elle présente fait froid dans le dos.

Lien : http://usine-a-paroles.fr/le..
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Citations et extraits (9) Voir plus Ajouter une citation
C’est notre lot de vivre dans des mondes qui n’existent que pour nous. C’est notre lot de souffrir des apocalypses dont nous seuls comprenons les symboles, ainsi que la fulgurante révélation, mais qui restent tristement hermétiques à nos semblables, terrorisés par les images de leur propre destruction. Et pourtant nos pas soulèvent la poussière, et nos chairs touchent d’autres chairs et sentent la sueur qui s’en écoule, et le sang qu’on en fait couler, et nous glissons sur des peaux moites, et des kilomètres de moquette usée, et des existences bêtement rectilignes, qui sont pour chacun de nous, obstinément et jusqu’à l’extase, les mêmes. 
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L’histoire du travail est la première histoire qu’un agent apprend quand il devient agent.
C’est l’histoire première, celle qui lui enseigne qui il est, et pourquoi il est là.
Dans cette histoire qui remonte aussi loin que le travail lui-même, il est dit qu’il n’exista pas d’époque où le travail ne fut pas la seule et unique raison d’être en vie.
Le travail, et le combat pour le conserver.
Lorsque, sortis de l’institut, survivants incrédules au deuxième mois de notre existence adulte, nous avons commencé à poser des questions à nos collègues, toujours nous avons reçu les mêmes réponses et toujours entendu la même histoire, si bien qu’à notre tour, bien plus tard, toujours nous l’avons répétée aux remplaçants qui nous ont questionnés.
Il faut travailler, car notre travail est notre dignité, l’unique chose qui puisse nous différencier des sauvages que la rue a dévorés et dont la vie n’est pas même utile à elle-même, électrons impassibles lancés sur l’orbite chaotique de leur propre inconsistance.
Le travail est une foi, une évidence ultime qui nous rend humains et qui répond à la seule question que nous aurions pu nous poser : pourquoi ?
Le travail est cette réponse, et cette réponse porte en elle la graine gonflée du reste : si jamais nous cessions de travailler, que nous resterait-il à faire ?
Dès que les premiers rayons du soleil changent l’obscure épaisseur nuageuse en masse cotonneuse striée de pluie noire, nous nous postons devant nos écrans afin de suivre l’évolution de l’inimaginable réseau de machines qui gère notre monde. Disposés sur quatre-vingts lignes, cent six colonnes et trente-deux niveaux de netteté, les lots d’information défilent à rythme variable en fonction de leur importance et de leur urgence. Nos yeux balaient les données brutes que les formatrices nous ont appris à décoder à l’aube de notre vie, dans les quatre sens : du haut vers le bas, du bas vers le haut, de gauche à droite et de droite à gauche, selon un maillage que chacun personnalise en fonction de son humeur.
Nous surveillons les flux de capitaux.
Nous surveillons les cours des actions.
Nous surveillons la valeur des indices, les rapports de fonctionnement, les bilans trimestriels, les fusions-acquisitions, les krachs, les embellies, les naissances et les morts. Cet enchevêtrement fluide de chiffres et de mots, qui passent devant nos yeux comme une nature vivace en perpétuelle croissance.
Nous jouons tous un rôle, le même, et ce rôle est garant du bon fonctionnement du monde. L’agent surveille, et cette surveillance garantit sa condition d’agent.
Lors de nos premières journées de travail, si la fortune nous a permis de rencontrer un collègue assez amical pour nous répondre, nous ne manquons pas de demander la marche à suivre en cas de problème. Que faire si une anomalie est détectée, si un système se dérègle, ou si une erreur est commise ?
Le collègue amical apporte alors à notre question la réponse que tous les agents connaissent :
Il n’y a jamais d’erreur dans le système.
Nous ne travaillons pas pour surveiller. Nous surveillons pour travailler.
Sans travail, nous serions laids et sauvages, inutiles et indignes.
C’est ce que nous raconte l’histoire première, et chaque jour nous confirme son exceptionnelle pertinence.
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Les milieux de mois sont les plus propices aux attaques contre les guildes.
C’est la période rouge, pendant laquelle chaque geste, chaque mouvement doit être étudié, utile et nécessaire, où le moindre déplacement risque de se terminer en affrontement mortel. En cette période critique, un seul de ces affrontements peut entraîner la destruction totale d’une guilde.
Lorsqu’on appartient à une guilde, mourir en milieu de mois, c’est mourir deux fois. Une première fois réellement, disparaître de son box pour toujours, être jeté à la rue, ou bien mourir pour de bon, ce qui revient au même ; et puis une seconde fois, car sa place revient à un autre, plus jeune, qu’on nomme remplaçant, tout juste sorti de l’institut, et qui à la fin du mois ne recevra qu’un demi-salaire, souvent insuffisant à sa survie.
Le remplaçant de milieu de mois, avec son demi premier salaire, est un demi-remplaçant. À ce titre, il est à demi vivant, et par conséquent déjà à moitié mort.
Ignorant les règles du bureau qu’il intègre, ignorant les noms et les visages à éviter, le remplaçant de milieu de mois se doit d’être fin, intelligent et tactique pour espérer conserver son box un mois de plus et gagner assez d’argent pour s’installer vraiment. Le remplaçant de milieu de mois tient normalement une petite semaine, avant d’être éliminé. S’il est malin, il peut tenir jusqu’à dix jours avant de succomber, mais dans quatre-vingt-dix-neuf pour cent des cas, les remplaçants de milieu de mois ne vivent pas assez pour voir le mois suivant et disparaissent simplement, fugitives lueurs de jouvence innocente dans la nuit infinie de notre monde.
D’une manière générale, milieu de mois ou non, un remplaçant est déjà une proie, aussi frêle qu’un oiseau tombé du nid, sans moyens de se nourrir ni armes pour se défendre, maigre et condamné à le devenir encore plus si aucun agent ne se charge de sa protection.
Une guilde venant de perdre un membre a pourtant coutume de prendre sous son aile le remplaçant fraîchement arrivé, de le former et de le protéger autant que possible. Dans ce cas, les efforts investis doivent l’être utilement, afin que le jeune agent intègre la guilde et défende l’intérêt collectif.
Rares sont les guildes à former un remplaçant de milieu de mois. Elles préfèrent se renforcer ou mettre en place une riposte rapide plutôt que de perdre temps et argent à entretenir un néophyte incapable de s’acheter une goutte d’eau.
Car les attaques de milieu de mois réussies ont la particularité de handicaper une guilde pendant deux semaines au moins. Une attaque de milieu de mois menant à la perte d’un membre de la guilde cible n’est souvent qu’un prélude à la tentative de destruction complète de la guilde visée, assaut après assaut, ses membres décimés un par un, leurs cadavres décomposés par les nuages acides, renvoyés dans les ténèbres d’un monde qu’ils auront encore moins choisi que celui-ci. Si la guilde visée est détruite avant la fin du mois, la guilde attaquante se charge de former les remplaçants arrivés durant cette période, élargissant ainsi son parc de box et par là sa suprématie territoriale.
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Notre confiance en Théodore n'en est donc pas une, ou alors une cousine, dont les racines génétiques croisent celles de la foi et d'un aveuglement volontaire que personne n'ose appeler amitié.
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L’endroit où nous vivons est l’endroit où nous travaillons. Nous sommes des agents. C’est notre statut, notre identité et notre fierté.
Nous exécutons un travail, devant des machines d’un autre siècle ronronnant comme des animaux domestiques, pendant que, derrière les vitres teintées de notre bureau, une épaisse couverture nuageuse rampe de l’est vers l’ouest.
Nous sommes armés.
C’est le temps et l’expérience qui nous ont fourni la poudre et la grenaille? Nous en avons un stock et nous nous en servons aussi souvent que nécessaire.
Contre les autres, contre nous-mêmes, contre le temps immobile, nous livrons le combat éternel du quelque chose contre le rien et, quand l’un de nos ennemis s’écroule sans vie sur le sol, nous nous réjouissons d’avoir été choisis par le hasard pour porter quelques jours encore la flamme de l’activité.
Sans les combats, nous pourrions ignorer que notre présence ici est nécessaire. C’est pourquoi toujours nous combattons.
Nous avons cinq pauses par jour et nous avons une nuit.
Ces moments sont les champs de bataille temporels de notre guerre.
De 5 heures à 8 heures, nous travaillons.
De 8 h 15 à 11 h 15, nous travaillons.
De 11 h 30 à 14 h 30, nous travaillons à nouveau.
De 14 h 45 à 17 h 45, nous travaillons encore.
De 18 h 45 à 21 heures, nous continuons de travailler.
Et de 21 h 15 à 0 h 15, nous travaillons.
En dehors de ces horaires, nous sommes libres, et nous luttons pour tenter de le rester.
Notre bureau, c’est notre vie.
Personne aujourd’hui ne se souvient du temps où les humains habitaient hors de leur lieu de travail, pas plus que des siècles reculés où le travail consistait en une activité quelconque.
Ce que nous savons, c’est que les jours morts s’étirent désormais sans qu’il y ait rien d’autre à faire que porter de l’eau à ébullition, la boire, tuer et éviter d’être tué.
C’est ce monde que nos prédécesseurs nous ont laissé, parce qu’eux-mêmes en avaient hérité.
Ces box sont nos demeures, cette moquette notre terre, ces collègues nos concitoyens, et malheur à qui renonce à ces principes fondamentaux, car pour celui-là, il ne restera que la rue, tout en bas. Même si aucun de nous n’y a jamais mis les pieds, même si nous ne pouvons la distinguer en nous approchant des baies vitrées, nous savons qu’aussi rude soit notre condition, aussi pénible notre existence, il n’y a rien de pire que la rue.
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