Ce n'est pas que je n'aime pas les autres. Je crois plutôt que j'ai du mal à m'aimer. J'apprends.Au collège on ne nous apprend rien sur ce problème. On nous gave. Un jour nous vomirons tout, et basta.
- Tu peux dire non à beaucoup de choses, Eliott. Mais tu ne peux pas dire non à tout.
- Arrête de parler comme sa mère, dit Sacha.
Il continue. S'écorche les doigts. Joue comme animé par la fièvre, un monologue de plus en plus furieux et confus, partout autour de lui les insectes remuent un peu plus. Derrière leurs parois les phasmes bouillonnent, au bord de leur piège les araignées tricotent, sur le cadavre de la souris les fourmis s'approvisionnent, contre un mur décrépi un lot de larves et de chenilles velues et grises ondulent vers la lumière...
Un claquement. Comme un coup de fouet.
Tout s'arrête.
De la guitare pendent les deux mèches bouclées d'une corde rompue.
p.40-41
Je ne parle à personne. Les mots que j'aligne sur le papier ne sont pour personne, c'est juste un élevage, dans mon coin j'élève des phasmes et des mots.
L'autre soir j'ai remarqué que dans le mot phasme, j'entendais les mots asthme, fantasme et fente. Les mots se reproduisent aussi facilement que les phasmes, il suffit de les nourrir, alors moi je les nourris.
Dix-neuf heures. Tout en haut d'un immeuble désaffecté, au bout de la rue. Le mauve épais du ciel, fissuré par les trajectoires des oiseaux. Face au ciel, les deux corps allongés de Leïla et Sacha sur un lit de graviers. Elliott est assis à leur tête. C'est une terrasse à l'abandon, comme en haut d'une falaise, à l'écart de la ville et de ses remous.
p.51