En tout cas, dès le mois de mai 1954, lorsque Diên Biên Phu était tombée, Georges s’est exclamé « l’Algérie c’est fini pour nous ». Et pourtant la terre natale de Léa et Georges c’est l’Algérie. Georges est la quatrième génération de sa famille à y vivre et Léa la troisième. Ni l’un ni l’autre n’ont d’attaches en métropole ou en Espagne. Jamais ils n’y séjournent dans une partie de leur famille qui y serait demeurée, comme nombre de Français d’Algérie, y compris dans leur entourage proche.
Trois cents Européens et environ deux mille Algériens. Européens, Algériens, l’emploi des mots même ne va pas de soi. J’ai mis du temps à trancher la question de la terminologie, y compris dans les statistiques que je cite et où il n’est pas écrit « Algérien » mais « Arabe ». La plupart des auteurs dont j’ai lu les récits et les travaux évoquent les « Européens » (Français, Espagnols...) et les « musulmans ». Les mêmes, dans d’autres ouvrages, parlent de « Français » et d’ « Algériens ». Spontanément j’ai d’abord utilisé les termes « Européens » et « Arabes », peut-être parce que les témoins interrogés utilisaient fréquemment ceux-ci. Puis j’ai glissé vers « Français » et « Franco-musulmans » ou « musulmans » sans doute parce que ce sont ces termes que j’ai le plus fréquemment retrouvés dans les documents d’archives et dans les journaux de l’époque. Mais après nombre de lectures, et en réécrivant la première partie de ce récit, j’ai choisi d’adopter les termes « Français » et « Européens d’Algérie » pour évoquer Léa et sa famille et « Algériens » pour nommer autant les ouvriers qui travaillaient pour Georges que les protagonistes de l’histoire politique et militaire de l’indépendance algérienne.
Bien que 1830 constitue la date officielle de la conquête de l’Algérie par la France, il faudra attendre plusieurs dizaines d’années, jusque vers 1870, pour que la présence française soit stabilisée à défaut d’être réellement acceptée. Les révoltes, parfois sporadiques et localisées, n’ont jamais cessé. Jamais l’Algérie coloniale n’a été un pays pacifié contrairement à une imagerie idéalisée donnée comme vérité absolue par certains.
Lire, écrire, peindre et dessiner, Léa a pu développer ses talents d’abord grâce à l’école. Neuf des onze enfants de Ramon et Inocenta n’ont pas fait d’études mais les grands sont autonomes et la marraine de Léa, madame Roque, convainc ses parents de la laisser partir étudier. À cette époque l’éducation a un prix. Un coût financier pour la famille avec, pour l’enfant, la responsabilité de réussir « c’est grâce à nos grandes sœurs (Hélène était « demoiselle des Postes » et Rosette et Jeannette couturières) qu’Yvonne et moi avons pu aller au collège. Nous étions conscientes de ce que cela coûtait et nos notes étaient toujours bonnes.
« Je n’ai jusqu’ici parlé que de lui... il faut parler de sa femme ; car on ne peut les dissocier. Ils forment un tout à eux deux, un tout qui se complète parfaitement pour faire le ménage le plus équilibré que l’on puisse rêver. Combien de gens ne sont-ils pas allés puiser le réconfort ; combien ne sont-ils pas allés respirer auprès d’eux cette atmosphère calme et en même temps vivifiante que crée un couple heureux. »