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Critique de nadejda


L'Humanité se réduit pour Mawnito, onze ans, narrateur de ce récit poétique entre fable et réalité, à son père Silvestre Vitalicio, son frère Ntunzi et Zacaria Kalash, domestique ancien militaire plus deux semi-habitants : l'oncle Aproximado qui sert de lien avec «l'Autre côté», les territoires sans vie, et «notre chère ânesse», prénommée Jezibela «tellement humaine qu'elle noyait les divagations sexuelles de mon vieux père».
Cinq hommes vivant dans ce «paradis» inversé de Jésusalem, lieu perdu dans la brousse, ancienne concession de chasse, loin de la ville qu'ils ont fuie huit ans auparavant, pour des raisons liées à la mort de Dordalma = douleurdâme, mère de Mwanito et Ntunzi , entourée d'un mystère qui ne s'éclaircira qu'à la fin.
« Au lieu de s'estomper dans l'autrefois, elle (Dordalma) s'immisçait dans les fêlures du silence, dans les replis de la nuit. Il n'y avait pas moyen d'ensevelir ce fantôme. Sa mort mystérieuse, sans cause ni apparence, ne l'avait pas ravie du monde des vivants.» p 33

Le père, le vieux Silvestre Vitalicio «l'unique connaisseur de vérité, le devin solitaire de présages», a vécu un drame dont n'a pas connaissance Mwanito le plus jeune de ses fils et il veut oublier en effaçant toute vie, tout souvenir issu du passé. Il exige que tous jouent le jeu et croient à ce que lui-même veut croire pour rendre l'oubli possible. Les noms de chacun sont modifiés sauf celui de Mawnito car il est pour le père «l'accordeur de silences»
« Je suis né pour me taire. le silence est mon unique vocation. C'est mon père qui m'a expliqué : j'ai un don pour ne pas parler, un talent pour épurer les silences. J'écris bien, silences, au pluriel. Oui, car il n'est pas de silence unique. Et chaque silence est une musique à l'état de gestation.
(...) je nouais les fils délicats dont on tisse la quiétude. J'étais un accordeur de silences.

--- Viens mon enfant, viens m'aider à rester silencieux. » p 17
Viens rétablir la paix en moi par ton silence.

En déconstruisant, niant la réalité qui l'a blessé profondément, Silvestre se fait créateur de mort, mort contre laquelle va lutter Ntunzi le grand frère auquel il reste assez de souvenirs, ferments de désirs et de rêves, pour permettre d'instiller le doute dans le coeur de son frère. 

Petit à petit Mawnito «L'accordeur de silences» va se construire ses images à partir, entre autres, d'un jeu de cartes, support qui lui permettra d'imaginer des figures, de donner une forme à un monde bien à lui et de tracer ses premiers mots. 

Le silence intérieur, les silences qu'entend Mawnito sont en accord avec l'écriture qui l'attire et le rattrapera plus tard. L'écriture naît du silence en donnant forme aux voix qui en montent, elle permet de composer avec des mots la musique de chaque silence.
Ce beau livre est aussi celui de la guerre civile, guerre dont les échos se font encore entendre au fin fond de la brousse et surtout guerre qui se joue dans le coeur des hommes, dans leur lutte intérieure.
«Zacaria Kalash ne se souvenait pas de la guerre. Mais la guerre se souvenait de lui. (...) le souvenir des explosions le bouleversait. le grondement des nuages n'était pas un bruit : c'étaient d'anciennes blessures ravivées. On oublie les balles, pas les guerres.»
Une belle part est offerte aux femmes dans cette parabole, femmes à l'écoute, femmes donneuses de vie, par l'intermédiaire de Dordalma omniprésente dont la mort provoque la fuite de Silvestre et par Marta la portuguaise qui va ramener le trouble et surtout la vie, sans oublier les superbes citations, voix de femmes poètes placées en exergue de chaque chapitre, brésiliennes telles Hilda Hilst et Adelia Prado, Alejandra Pizarnik l'argentine et Sophie de Mello Breyner Andersen la portugaise.
J'avais noté ce livre sur mes «tablettes» mais l'avis de Moustafette en a précipité la lecture et je ne le regrette pas. Je pense lire d'autres livres du même auteur qui m'a fait aussi penser à un autre auteur que j'aime beaucoup, José Eduardo Agualusa angolais d'origine portugaise.

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