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EAN : 9782081249318
672 pages
Flammarion (12/10/2016)
3.98/5   20 notes
Résumé :
Ceci n'est pas un livre d'histoire, et pourtant tout y est avéré. C'est le roman vrai des derniers feux de la monarchie, la chronique d'une civilisation au raffinement inégalé, et que 1789 emportera à jamais. Le roman vrai de sept destins, chacun emblématique et unique à la fois. Des aristocrates de haut lignage, dotés des vertus dont tout noble doit s'enorgueillir : fierté, courage, raffinement, culture, esprit, art de plaire. Ils se connaissent, sont cousins ou ri... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (9) Voir plus Ajouter une critique
Il y a beaucoup de charme et d'élégance dans cette écriture de Benedetta Craveri pour nous présenter Les Derniers Libertins de cette période tout juste, avant révolutionnaire. J'ai bien eu raison de ne pas me formaliser sur le terme de libertinage qui est ici beaucoup plus explicite d'un point de vue historique sur la notion de l'amour et de la liberté, tandis que les unions maritales sont de convenance. C'est ainsi qu'à travers la destinée de ces sept personnages, tous bien nés et donc de haut lignage aristocratique, nous découvrons des hommes habités par des notions de fierté, de courage, d'honneur et d'esprit, et dont l'art de conquérir le monde, mais aussi le coeur des femmes, les amène à faire des choix stratégiques, souvent irrémédiables. Ainsi les doutes du Chevalier, puis marquis de Boufflers, qui accepte un poste de gouverneur au Sénégal afin de pouvoir conduire à l'autel Mme de Sabran sans faillir à son rang, lequel gouverneur est confronté au fin fond de l'Afrique à la traite des noirs et à sa conscience en tant qu'homme :
« Je commence à voir qu'il y a dans le fond du coeur de l'homme un germe d'aversion pour tout ce qui n'est pas lui, qui le rend ennemi du bien général, parce qu'il trouve la part qu'il lui revient toujours trop petite… » P.274.
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"Les derniers libertins": drôle de titre pour un essai historique écrit par une italienne spécialiste du 18eme français. Elle nous narre, en une première grande partie, le destin de sept aristocrates libertins méconnus , de leur naissance ( 1730/1760) jusqu'à la revolution française.
Dans un second temps, elle nous explique leurs choix, ou leurs non choix en 1789.
Enfin, en guise de conclusion, elle nous décrit leur fin de vie ( précoce ou non).

Si j'emploie le qualicatif "drôle" c'est que les libertins existent toujours et que, notamment les clubs du même nom se muliplient mais ce mot résume des personnes ou des couples ayant de multiples partenaires sexuels.

Au 18eme, la notion de libertin est beaucoup plus complexe et beaucoup plus riche:
- il concerne d'abord des aristocrates ou la grande bourgeoisie: ils ont accés au centre de la vie : la cour royale.
- Ils doivent posseder trois qualité principales: un "physique propice" ( Mme du Barry), l"art de la conversation, exercice périlleux qui demande evidemment le sens de l'éloquence et de la répartie mais aussi une grande érudition et surtout une grande ouverture d'esprit notamment envers les idées nouvelles propagées par les intellectuels del'époque.
Mais surtout une grande " hauteur d'âme" ( MMe de Stael)
En effet, être libertin c'est s'abandonner à une autre ( ou à un autre pour les libertines) , c'est choisir par amour de prendre des risques, d'abandonner des amis et surtout des soutiens. Certains des personnages étudiés par l'auteur iront cranement à la guillotine uniquement par amour. Etre libertin, ce n'est pas aimer ou rechercher le vice comme le prétend le marquis de Sade, c'est , au contraire succomber, à l'intelligence, à la beauté, au courage et ces libertins rencontreront dans leur vie plus d'une personne correspondant à ces critères.

Pour bien comprendre ces libertins, il faut certes prendre en compte une certaine oisiveté due à leur naissance mais ne pas oublier qu'ils sont tous maries par convenance. En outre , s'ils ne veulent généralement pas abandonner les faveurs liées à leur rangs, ils veulent acquérir les mérites issus des philosophes des lumières; cette dualité faveur/mérite poussera la plupart d'entre eux à être favorable aux états généraux, à la révolution de 1789 et même à l'assemblée constituante.Adeptes d'une monarchie constiutionnelle, ils rejoindront le rang des émigrés lorsque le roi sera menacé.
Mais un cas contraire m'a marquè: le duc de Lauzun, nommé biron de son nom révolutionnaire. Militaire émérite, il fut le second de Lafayette durant la guerre d'indépendance américaine, il soutiendra par la suite le début de la revolution française puis s'enfuiera à Londres. Mais, n'acceptant pas que la France soit envahi par des puissances étrandères il combat à Valmy et à Jemmapes avec l'armée révolutionnaire. Fort de ses succés, il est envoyé en Vendée combattre les chouans mais ne peut se résoudre à tuer " des français catholiques"; désertant sans se cacher, il sera guillotiné.

Cet essai intelligent nous montre, encore une fois, ce que l'anachronisme à de dangereux: chez ces aristocrates libertins, il y avait des gens biens qui ont fait honneur à notre pays.
Je reconnais que c'est très politiquement incorrect mais c'est pourtant vrai.
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Sous ce titre un tantinet racoleur, se cache une galerie de portraits assez intéressante regroupant sept aristocrates de l'Ancien Régime finissant. Sept hommes apparentés, à divers degrés, aux sphères du pouvoir royal, libertins de moeurs sans doute mais surtout d'esprit libéral, acquis aux idées nouvelles qui firent les bases de la Révolution. Assez proches pour former un tableau cohérent d'un certain milieu, assez dissemblables pour en souligner les nuances, bientôt divergences d'opinion, d'engagement, de destin.

Armand Louis de Gontaut-Biron, duc de Lauzun, fils naturel de Choiseul, vit des amours mi-romanesques mi-politiques entre l'Angleterre et la Pologne, devient un temps favori de Marie-Antoinette qui le sacrifie aux pressions de son entourage, participe à la prise du Sénégal puis à la guerre d'Indépendance américaine avant de s'engager du côté de la Révolution.
Autre fils d'un ménage à trois bien réglé - le meilleur ami de Monsieur quasi officiellement établi comme amant de Madame - le vicomte Joseph Alexandre de Ségur vivra jusqu'au bout de littérature et de désinvolte impertinence. Grand causeur, grand séducteur, il fait jouer ses petites pièces de théâtre par Louise Contat, sa maîtresse, qui créera plus notablement le personnage de Suzanne dans le Mariage de Figaro. Membre de la coterie des Orléans, il y introduit Choderlos de Laclos mais prend ses distances quand la politique devient trop risquée. Moins léger, son demi-frère aîné Louis-Philippe, comte de Ségur, devient pour sa part ambassadeur auprès de Catherine de Russie, gagne les faveurs de la tsarine et voyage en sa compagnie, avec Potemkine et quelques autres privilégiés, jusqu'en Crimée, avant d'obtenir son retour à Paris lorsque se profile la réunion des Etats Généraux.
Colonel des Cent-Suisses, le duc de Brissac rencontre auprès de Louis XV la belle Mme du Barry, dont il devient plus tard le dernier grand amour, au joli pavillon de Louveciennes, partageant alors sa vie entre ses charges prestigieuses, sa charmante maîtresse et les collections d'art dont ils sont tous deux passionnés.
Intime de la famille royale, peut-être fils adultérin de Louis XV, le comte Louis de Narbonne devient un assidu du salon de Mme Necker, où Mme de Staël ne tarde pas à l'attirer du côté de la Révolution... et dans une relation sentimentale un peu trop passionnée à son goût, qui verra ses plus grands rebondissements sous la Révolution.
Elevé dans l'entourage de Stanislas Leszczynski, ancien roi de Pologne devenu duc de Lorraine, dont sa mère est la maîtresse, le chevaliers de Boufflers s'arrache très vite à la carrière ecclésiastique pour s'engager en littérature et dans l'armée. Sa Reine de Golconde inspirera le Hameau de Versailles à Mme de Pompadour et Marie-Antoinette. Puis, pour tenter de faire fortune et épouser la trop riche Mme de Sabran, il accepte le poste de gouverneur du Sénégal, tente d'organiser au mieux la nouvelle colonie avant de voir ses ambitions philanthropiques mises en échec par les intérêts commerciaux de la Compagnie.
Le comte de Vaudreuil, lui, s'impose longtemps dans l'entourage royal comme cousin et amant de la belle Mme de Polignac, la grande amie de Marie-Antoinette. Personnage ambigu, intéressé, manipulateur, attaché à ses privilèges, il est de ceux dont l'attitude contribue à saper la popularité du pouvoir royal, mais il est aussi mécène éclairé, amant chéri d'Elisabeth Vigée le Brun, grand ami de l'intransigeant Chamfort qu'il protègera longtemps malgré des opinions politiques de plus en plus divergeantes.

Aussi intéressants, aussi riches soient-ils, ces sept portraits sont un brin frustrants : trop de choses s'y résument en trop peu de pages, trop de sujets qui mériteraient chacun de bien plus amples développements, trop de personnages passionnants qu'on ne fait qu'effleurer au passage. Et il faut s'accrocher parfois, pour sauter de la guerre d'Indépendance américaine à la conquête du Sénégal, de l'intégration de la Crimée au théâtre français, des Salons parisiens à la politique polonaise... de Catherine la Grande à Louise Contat, de Gouverneur Morris à Mme du Barry, de Mme de Staël à Izabela Czartoryska, de Potemkine à Vigée le Brun...
C'est à la fois trop et pas assez, ce serait assez décevant si le livre s'arrêtait à ça, à ces histoires croisées foisonnantes et un brin superficielles. Mais heureusement, ces portraits ne sont en somme qu'une présentation approfondie des personnages, qui s'interrompt en 1789 et se complète par un dernier grand chapitre général évoquand la destinée de tout ce beau monde sous la Révolution. Et là, les choses deviennent vraiment passionnantes, par la diversité des choix et des engagements qui révèle l'extrême complexité des rapports entre la noblesse française et la Révolution.

Aux deux extrêmes, on trouve ainsi Lauzun et Vaudreuil. le premier, influencé par Mirabeau et Talleyrand, partisan d'une monarchie constitutionnelle, offre à la Révolution ses talents de militaire après avoir oeuvré, comme diplomate, en faveur de la paix. Puis il se résoud à accepter la République inévitable, sert dans l'armée d'Italie quelques années avant Bonaparte et finit sous les couteaux de la Terreur. le second, opposé aux prétentions du Tiers-Etat, émigre au lendemain de la prise de la Bastille - mais cherchera longtemps à modérer l'ardeur militante des princes en exil, bien conscient que l'alliance avec des puissances étrangères ne peut que nuire au roi et coaliser contre eux les français. Peine perdue. Après la défaite de Valmy, la mort de Mme de Polignac, il se retire en Angleterre et ne reviendra sur le devant de la scène qu'à la Restauration, où il retrouve pour quelques années son rôle d'Enchanteur des soirées mondaines.
Les frères de Ségur, pour leur part, traversent l'orage avec plus de discrétion. L'aîné brûlait d'y jouer un rôle pourtant, mais doit finalement se retirer à la campagne, où il vit pauvrement de leçons et de littérature jusqu'à ce que Napoléon le sorte de l'oubli et en fasse son Grand Maître des Cérémonies pour son couronnement. Pendant ce temps, son cadet fait un peu trop de bel esprit dans les gazettes, retrouve André Chénier en prison, échappe à la guillotine grâce à un comédien raté devenu gratte-papier pour le Comité de Salut Public, qui escamote tout bonnement son dossier (Charles de la Bussière, un nom à rertenir !), connait ses plus grands succès théâtraux pendant le Directoire et meurt de tuberculose sous l'Empire.
Le duc de Brissac, lui, accomplira jusqu'au bout son rôle de garde du corps du roi. Contraint à accepter la fuite ou la prison, il refuse la première comme indigne, tombe aux mains d'un révolutionnaire fanatique qui entre deux geôles s'arrange pour abandonner ses détenus à la foule, et finit massacré sans autre forme de jugement - mais non sans s'être battu une dernière fois comme un héros d'épopée.
Narbonne devient brièvement ministre de la guerre en 1791, unit ses forces avec Talleyrand et Lauzun pour tenter de relever la France face aux offensives des puissances étrangères et émigrées - ce qui ne l'empêche pas d'aider les tantes de Louis XVI à fuir le pays, puis de monter avec Mme de Staël un plan d'évasion pour sauver la famille royale. le plan est rejeté, et après la prise des Tuileries c'est lui-même qui doit fuir, sauvé in-extremis par l'indomptable Germaine qui l'expédie en Angleterre. Une parenthèse hautement romanesque s'ouvre alors à Juniper Hall, où se croisent Narbonne, Talleyrand, Mme de Staël, la séduisante Mme de Laval, le beau général d'Arblay et la romancière Frances Burney. Rayé de la liste des émigrés grâce à Fouché et Talleyrand, il finira ses jours comme aide de camp et confident de Napoléon.
Le chevaliers de Boufflers, enfin, élu représentant de la noblesse lorraine lors de la convocation des Etats Généraux, bien qu'opposé à la réunion des trois ordres, prêche longtemps une politique modérée, s'engage pour la préservation des forêts et la protection des découvertes dans le domaine de l'industrie et du commerce, puis se voit contraint à l'exil, un exil assez morose malgré le soutien d'Henri de Prusse.

Ce chapitre final est indéniablement le plus riche et le plus réussi, par l'éclairage tout en nuances qu'il offre sur l'aristocratie dans la Révolution, un sujet qui me semble relativement peu étudié en France, ou trop souvent soumis aux clichés et aux prises de parti. Avantage, sans doute, d'un regard étranger sur le sujet. C'est lui qui m'a vraiment conquise, et fait de ces Derniers Libertins un livre que je recommande à tous ceux qui s'intéressent au sujet.

Reste en revanche cette question du libertinage qui, puisqu'elle est exhibée dans le titre, aurait grandement gagné à être développée dans le livre : aucune remise en perspective historique, aucun questionnement sur le rôle effectif qu'il put jouer dans la progression des idées révolutionnaires... et c'est bien dommage car on tenait là une superbe problématique qui aurait grandement renforcé la cohérence du tout. Peut-être existait-elle à l'origine dans le projet de l'auteur, on en voit encore quelques traces, mais elle s'est au moins bien délayée en route, dans un texte qui privilégie les faits (heureusement riches et bien contés) à la réflexion théorique.
Lien : https://ys-melmoth.livejourn..
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A la jointure de deux époques (une monarchie vieillissante et une révolution qui prend forme), voici une peinture, brillamment tracée, de sept "libertins", entendez sept libres penseurs, issus de la meilleure aristocratie, attachés à leur style de vie mais parfaitement conscients que les fastes de la cour exigent un sérieux toilettage. Essai crépusculaire sur un monde qui prend fin, le livre de B. Craveri, grande spécialiste italienne du 18ème siècle français (son livre sur Mme du Deffand, notamment, fait autorité) n'a rien d'un livre corseté, il est au contraire constamment vivant tout en étant sérieusement étayé de témoignages de première main d'une époque où l'art de la conversation et du bon goût faisait de la France la référence d'un style de vie exporté dans l'Europe entière (autant dire du monde entier). Lisez ce petit bijou d'essai historique, on en ressort diablement plus intelligent !
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" Qui n'a pas vécu dans les années voisines de 1780 n'a pas connu le plaisir de vivre "
Le mot fameux de Talleyrand convient à merveille au livre admirable de Benedetta Craveri, Les derniers libertins.
Elle y retrace le destin de 7 aristocrates (Lauzun, Ségur (comte et vicomte), Brissac, Boufflers, Narbonne et Vaudreuil) juste avant le grand cataclysme. 7 aristocrates qui sont l'émanation parfaite de cette génération dorée qui faisait rimer haute naissance, irréligion et bel esprit. Tous avaient en commun d'être séduisants, de ne pas manquer de panache mais aussi d'être des enfants des Lumières, nourris De Voltaire et de l'Encyclopédie. de douces fées s'étaient penchées sur leur berceau leur accordant charme, fortune et brio intellectuel. Ce charme, ils en usèrent et abusèrent auprès de femmes libres, spirituelles et pas toujours farouches. Et si tous aussi ou presque se marièrent par intérêt (le comte de Ségur faisant notoirement exception), c'est qu'ils se refusaient à confondre à la différence des gentilshommes anglais contemporains conjugalité et passion amoureuse. Mais c'était un accord tacite dans toute l'aristocratie française que l'on pouvait entretenir une (voir plusieurs) maîtresses, lui faire un enfant (et souvent le légitimer) du moment que l'on demeurât dans le "bon ton". 50 ans plus tard, le conformisme bourgeois se chargerait de faire rendre gorge à ces petites arrangements avec la morale. Mais le libertinage ne se limitait pas à un butinage sexuel effréné. Il s'accompagnait d'un agnosticisme revendiqué et d'une subtile contestation de l'absolutisme.
Ne doutant pas de leurs talents, tous rêvaient d'occuper des postes de responsabilité (général, ambassadeur, ministre) mais tous se heurtèrent à une monarchie à bout de souffle qui donnait plus de crédit à la faveur qu'au mérite. Frustrés dans leurs ambitions (Lauzun n'obtint jamais un commandement à la hauteurs de ses capacités, Narbonne dut attendre la Révolution pour être ministre) et lucides sur l'influence délétère qu'exerçait la Cour et les favoris (faveurs dont ils bénéficièrent parfois) sur la pratique du pouvoir, ils rentrèrent dans une opposition résolue au Roi (en s'agrégeant souvent autour du Duc d'Orléans et du Palais-Royal), préparant 1789 en coulisses (même s'il n'en virent pas immédiatement l'aspect dévastateur pour leur caste).
Louis XVI, pour son malheur, ne sut pas tirer parti des qualités de ces jeunes gens et quand enfin il donnera à certains d'entre eux un poste à la hauteur de leurs capacités (Narbonne notamment), son crédit sera trop entamé pour pouvoir leur offrir autre chose qu'un soutien poli.
Ne pouvant donner toute la mesure de leurs qualités sur l'échiquier politique, ils trouveront tous une consolation dans la sociabilité d'Ancien Régime. Salons, cercles littéraires, gazettes, théâtres, alcôves, tout leur était bon pour donner libre cours à cette éloquence, à cet art si subtil de la conversation (magnifiquement évoqué ici) qui ne résistera pas à l'exil et à la Terreur.
C'est en effet l'aspect le plus poignant du livre, sa dernière partie, qui raconte avec une indéniable empathie, la disparition prématurée de cette génération, emportée par le vent de l'Histoire.
Emprisonnés (Besenval dont Hubert Robert a peint la cellule (voir ci-dessus)), défenestrés (le Comte de Clermont-Tonnerre le 10 août 1792), massacrés (le comte de Brissac qui vendit pourtant cher sa peau face à des sans-culotte enragés), guillotinés (par dizaines), ils viendront se fracasser aux récifs de 1793 et du Tribunal Révolutionnaire qui leur fera payer au prix fort les privilèges de leurs naissances. Ceux qui ne furent pas assez prudents pour partir tant qu'il en était encore temps eurent du mal à passer entre les mailles du filet très serré tendu par les délateurs obsessionnels et les accusateurs professionnels. Cependant, et c'est encore un trait commun, tous adoptèrent face à la mort une attitude "grand seigneur" (prenant exemple sur le Roi), refusant de transiger avec le code de l'honneur leur dernière heure étant venue. C'est Biron (ex-Duc de Lauzun) qui fait l'impression la plus forte, désarçonnant ses geôliers et pas seulement : "Après avoir dîné de bon appétit, il passa la soirée en lisant et s'endormit sereinement. le lendemain matin, après s'être habillé avec soin, il se fit apporter des huîtres et du vin d'Alsace et invita le geôlier à trinquer avec lui. A l'arrivée du bourreau, il le pria de le laisser finir ses huîtres et lui offrit à boire en lui disant aimablement: " Vous devez avoir besoin de forces au métier que vous faites." Puis, calme et hautain comme le Don Juan de Baudelaire, il monta sur la charrette pour son dernier voyage." Comme l'écrit Elizabeth Vigée-Lebrun dans ses Mémoires (souvent cités par Benedetta Craveri) : "Si Les victimes de ce temps d'exécrable mémoire n'avaient pas eu le noble orgueil de mourir avec courage, la terreur aurait cessé beaucoup plus tôt". Ils moururent d'être restés des "libéraux" dans un temps où la modération était devenue impossible. Aussi éloignés de la dictature jacobine que de la restauration de la monarchie absolue, ils rêvaient d'un système bicamériste à l'anglaise. Mais après l'épisode malheureux de la Fuite à Varennes, ce rêve s'éloignerait pour toujours.
Demeurent des lettres (par milliers), des vers, des Mémoires, évoqués avec empathie dans Les derniers Libertins, témoignages précieux d'une époque où le "bien écrire" était aussi consubstantiel aux grands seigneurs que l'absence d'esprit de sérieux.
Mais le plaisir immense qu'on prend à la lecture de ce livre vient aussi des portraits de ceux qui gravitèrent autour de ces Libertins, libertins eux-mêmes ou à tout le moins beaux esprits qui rivalisent d'intelligence et d'impertinence parfois avec nos 7 chevaliers. C'est Chamfort, l'ami paradoxal du Comte de Vaudreuil lui disant son fait sans jamais se départir d'une inaltérable affection, c'est la Comtesse du Barry, fille du peuple mais vraie grande dame couvrant le Chevalier de Boufflers de folles prodigalités, c'est Madame de Staël, cachant Narbonne, son amant des mains des commissaires du peuple au mépris de sa vie et c'est enfin Talleyrand l'insaisissable, mi-observateur implacable, mi-commensal indispensable dont la mort en 1838 signerait pour toujours la fin d'une civilisation.
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critiques presse (1)
Telerama
23 novembre 2016
Ils ont vécu en aristos jouisseurs et sont partis crânement à l'échafaud. L'historienne italienne nous régale de leurs frasques endiablées.
Lire la critique sur le site : Telerama
Citations et extraits (7) Voir plus Ajouter une citation
L'année précédant l'arrivée à Luneville de Voltaire et de la divine Emilie, Stanislas-Jean de Boufflers avait été admis à résider dans le paradis maternel pour se préparer à tenir sa place dans le monde. Son rang de cadet le destinait à l'Église, mais pendant longtemps personne ne sembla s'en souvenir. L'abbé Pierre-Charles Porquet, le précepteur qu'on lui avait choisi, était cultivé, aimable et spirituel et le seul reproche qu'on aurait pu lui faire était son manque absolu de dévotion. Ses connaissances religieuses laissaient tellement à désirer que, devenu chapelain de Stanislas sur les instances de Mme de Boufflers et invité par le roi à réciter le bénédicité avant le déjeuner, il n'en avait pas retrouvé la formule.
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Pour insolite qu'elle soit, sa décision de contrevenir aux habitudes et de publier de son vivant ses Mémoires ou Souvenirs et Anecdotes n'est pas si étonnante. Comme Mme de Genlis, qui releva tout de suite la nouveauté de cette initiative dont elle avait été la première à donner l'exemple, Ségur n'avait assurément pas brillé par la cohérence de ses opinions politiques et il voulut s'en expliquer avant de mourir. Mais il adopta une stratégie opposée à celle de la comtesse. Au lieu de se placer dès le début des Mémoires au centre de la scène en parlant de lui, de ses convictions et des choix qui l'avaient marqué dans les années cruciales de sa jeunesse, Ségur se cacha derrière un portrait collectif. Sa façon de penser et de sentir, affirmait-il, avait été commune à toute sa génération. Ce qui laissait entendre que les erreurs de jugement dont il avait pu se rendre coupable était le fruit d'un aveuglement collectif.
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Le destin manqué de Louis de Narbonne offrait également à l'illustre critique la clé de lecture de toute une époque. A bien y regarder, les occasions perdues du comte n'étaient-elles pas aussi celles de la monarchie française qui n'avait pas su se renouveler, de la Révolution qui avait trahi le rêve libéral de 1789, de Napoléon qui n'avait pas su s'imposer de limites?
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D'ailleurs, y compris avec une touche de sarcasmes, le strict respect des formes était de mise jusque dans les mariages les moins bien assortis, comme le montre l'anecdote que rapporte Chamfort : «On demandait à M. de Lauzun ce qu'il répondrait à sa femme (qu'il n'avait pas vue depuis dix ans), si elle lui écrivait: "Je viens de découvrir que je suis grosse. " Il réfléchit, et répondit" Je lui écrirais: Je suis charmé d'apprendre que le Ciel ait enfin béni notre union. Soignez votre santé; j'irai vous faire ma cour ce soir".»
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Jeune et moins jeune, la noblesse libérale qui accueillit la convocation des états généraux comme l'occasion d'entamer les réformes nécessaires au pays et d'instaurer une monarchie constitutionnelle sur le modèle anglais manquait-elle réellement du sens des réalités et s'aperçut- elle trop tard qu'à manier avec témérité des théories philosophiques dont elle ne mesurait pas toute la portée, elle avait couru à sa propre perte?
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