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EAN : 9782707186621
352 pages
La Découverte (25/02/2016)
3.3/5   25 notes
Résumé :
Après le succès d' Éloge du carburateur, qui mettait en évidence le rôle fondamental du travail manuel, Matthew B. Crawford, philosophe-mécanicien, s'interroge sur la fragmentation de notre vie mentale. Ombres errantes dans la caverne du virtuel, hédonistes abstraits fuyant les aspérités du monde, nous dérivons à la recherche d'un confort désincarné et d'une autonomie infantile qui nous met à la merci des exploiteurs de "temps de cerveau disponible". Décrivant l'évo... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (6) Voir plus Ajouter une critique
D'abord, j'ai été rebuté un peu par le sous-titre anglais de ce livre : "comment rester debout dans un monde de distraction", et l'introduction semblait également montrer les caractéristiques d'un livre d'auto-assistance qui vous entraîne à rester plus concentré. Mais j'avais tort : ce livre n'accorde qu'une attention indirecte à ce problème. Au lieu de cela, Crawford (Institute of Advanced Studies in Culture, University of Virginia) offre une vision surprenante et surtout rafraîchissante sur rien de moins que l'interaction avec la réalité! Cela vous semble-t-il lourd? Si, car certains chapitres de ce livre ne sont certainement pas faciles à suivre, demandent une lecture attentive et peut-être aussi quelques notions de philosophie et de psychologie. Heureusement, l'auteur illustre les enjeux et les propositions qu'il formule par de nombreux exemples bien développés.
Ce qui m'a le plus frappé, ce sont ses éclats répétés contre les Lumières, en particulier contre Kant. J'ai commencé à penser que Crawford appartenait aux rangs des penseurs néo-conservateurs, tels que Roger Scruton, Theodore Dalrymple et d'autres. Mais ce n'est pas tout à fait vrai. Crawford pointe principalement ses flèches vers l'épistémologie des Lumières : elle suppose que la réalité peut être appréhendée principalement - ou exclusivement - par la représentation, une image mentale qui fait de la réalité quelque chose d'extérieur, séparé de vous-même, et que vous êtes donc également capable de connaître et contrôler. Une conséquence de cette vision est que la connaissance de cette réalité peut être relativement facile transférée sous la forme de représentations décrites (dans le langage) et simplement stockées chez le destinataire. À y regarder de plus près, tout notre système éducatif semble être imprégné de cette vision.
Crawford démontre avec de nombreux exemples pratiques que cette approche est incorrecte et produit même une image déformée de la réalité. Il discute longuement de tout le processus avec lequel un motocycliste prend un virage : cela ne se produit pas seulement parce que le motocycliste a vu à quel point le virage est large et connaît les lois de la physique, non, dès son plus jeune âge, il/elle a appris, littéralement en tombant et se levant, comment son corps se rapporte au monde qui l'entoure et quelles forces sont impliquées dans certaines actions. Et c'est ce savoir expérientiel très lentement construit, à travers son corps, qui lui permet de (presque) parfaitement se « coucher » dans le virage pour ne pas s'envoler. Crawford cite également l'apprentissage d'un métier (comme la construction d'un orgue) : cela non plus ne se fait pas par un simple transfert de connaissances de techniques, mais par le processus très chronophage d'essais et d'erreurs, dans lequel l'expérience sédimentée des enseignants et, par extension, toute une tradition sont cruciaux. En d'autres termes : notre rapport à la réalité n'est pas seulement un processus rationnel de représentation, mais un processus qui implique l'espace (notre corps) et le temps (la tradition).
Je fais peut-être une petite injustice à Crawford ici, car son livre est beaucoup plus riche que ceci. Il contient également de nombreuses analyses sociales, avec une attitude très critique envers la pensée de marché, le libéralisme et le capitalisme en général. Mais j'ai été donc particulièrement frappé par sa vision différente de la perception et de la cognition. Pour être clair, Crawford n'invente pas cela lui-même; il cite à plusieurs reprises des penseurs comme Iris Murdoch, Merleau-Ponty, Simone Weil et surtout Michael Polanyi. J'ai parlé plus tôt des penseurs néoconservateurs (qu'il ne cite pas du tout); la grande différence est qu'eux se vautrent généralement dans la frustration et la nostalgie et retombent dans des positions réactionnaires, tandis que Crawford met l'accent sur le positif et montre un moyen de sortir de notre approche moderniste et trop rationnelle de la réalité. En ce sens, je trouve Crawford considérablement plus intéressant que, par exemple, Robert Pirsig, l'auteur du livre culte "Zen et l'art de l'entretien des motos". Pirsig prétend avoir trouvé une issue à la vision occidentale réductionniste, à travers la notion de « qualité ». Crawford et Pirsig sont en partie sur la même page, mais Pirsig reste beaucoup plus vague, et contrairement à Pirsig, Crawford met beaucoup plus l'accent sur une expérience immersive et une interaction avec la réalité, à la fois dans l'espace et dans le temps, reconnaissant les limites de toute interaction avec la réalité (alors que Pirsig avale dans une approche plutôt arrogante). Ce n'est pas un livre facile, Crawford se livre régulièrement à des phrases inutilement difficiles, mais il vous apprend à regarder la réalité à l'intérieur et à l'extérieur de vous avec des yeux différents. Et cela n'est pas rien.
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Comme avec son premier essai "Eloge du carburateur", le mécano philosophe Matthew Crawford a rencontré spontanément un vif succès – très mérité avec "Contact – Pourquoi nous avons perdu le monde et comment le retrouver". Les thématiques traitées par Crawford peuvent au premier abord sembler déconnectées les unes des autres, mais elles convergent bien vers un même constat qui devrait nous alarmer. Crawford montre comment les grands courants philosophiques des lumières qui ont posé les fondations de la civilisation occidentale d'aujourd'hui ont en même temps miné ces mêmes fondations, par une vision de l'homme dont la supériorité sur tout le reste peut – et doit – s'établir "hors sol", c'est-à-dire que nous aurions la capacité de nous affirmer comme les maîtres de l'univers (on va commencer par notre petite planète !) sans véritable connexion au réel, celle-dernière devant être déclarée inappropriée puis éliminée. C'est bien, par exemple, l'idée que le savoir peut se transmettre de manière désincarnée, et que l'attention au réel, à notre environnement direct, n'est qu'une méprisable béquille indigne de la grandeur d'un individu accompli. Crawford, à juste titre et de manière parfaitement convaincante, démontre les ravages d'une telle approche dans le monde d'aujourd'hui: perte de relation véritable au monde, aux autres, perte de l'indépendance du jugement (esprit critique), uniformisation des perceptions et des appréciations, etc. En d'autre termes et sans qu'il n'énonce jamais ces mots, ce sont les bases d'une dictature numérique qui sont posées ici; sa conclusion est presque explicite à ce sujet:

"Dans [bien des] aspects de la culture contemporaine, la réalité est traitée à travers un écran de représentations qui protège un moi fragile du monde en rendant celui-ci inoffensif et prépare le sujet à se soumettre aux "architectures du choix" élaborées par tels ou tels fonctionnaires de l'ajustement psychologique. En revanche, le monde dans lequel nous acquérons des compétences pratiques en tant qu'agents incarnés nous expose aux "affordance négatives" de la réalité matérielle. […] Nourrir le phantasme d'échapper à l'hétéronomie par le biais de l'abstraction revient à renoncer à l'univers des compétences pratiques, et donc à la possibilité d'un agir authentique."

C'est bien au travers d'une revendication forte du caractère situé des individus que l'on (re)trouvera un savoir véritable, riche, diversifié, un esprit critique, et un intérêt renouvelé, décuplé dans notre relation à l'autre et au monde. Une voix véritablement discordante dans le discours ambiant, et mise au point salvatrice!
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Il y des livres qui me font passer par des hauts et des bas, pendant que je les lis et même après. "Contact. Pourquoi nous avons perdu le monde et comment le retrouver" a été de ceux-là.

Il s'agit d'un ouvrage de philosophie, écrit en 2015, dans lequel Mattew B. Crawford se réfère souvent à Descartes, Locke, Kant, Heidegger et d'autres. Et, en tant qu'ouvrage de philosophie, il n'échappe pas à un défaut courant : utiliser des mots du langage courant en leur donnant un sens différent. On se demande, de temps en temps; si on a bien compris. Fort heureusement, il y a aussi des passages rafraîchissants où l'auteur nous décrit avec une empathie communicative les pratiques concrètes de métiers artisanaux.

Très brièvement résumé, Crawford critique la modernité, fondée, estime-t-il, sur une vision erronée de la nature humaine. Il déplore qu'avec les nouvelles technologies nous soyons poussés à nous couper du monde et à nous enfermer dans certitudes uniquement basées sur les représentations que les pouvoirs, les médias et les entreprises nous présentent sans nous laisser de répit. Il nous recommande d'échapper à ces sollicitations qui détournent notre attention de la vraie vie, source des vrais plaisirs : l'échange avec les autres et l'effort pour les surpasser dans un domaine où nous auront à coeur d'augmenter nos capacités.

J'ai lu "Contact" avec intérêt. C'est un livre ambitieux : dire "pourquoi nous avons perdu le monde et comment le retrouver" (Le sous-titre original est "On Becoming an Individual in an Age of Distraction"). On doit accepter qu'il ne soit pas complètement abouti.
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L'approche de M.B.Crawford m'a intéressé : le monde ne se perçoit pas uniquement à partir de représentations mentales, un individu n'est pas sa propre auto-référence, la liberté ne s'affirme pas en se coupant du monde, la créativité n'est pas la disruption mais s'inscrit dans dans un contexte culturel et historique.
L'auteur prend le contre-pied de certaines notions considérées comme des données indiscutables par nos sociétés.
La lecture est agréable car fondée sur des exemples concrets.
Je mets son autre livre "éloge du carburateur" à mon programme.
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J'ai découvert cet auteur américain, philosophe les mains dans le cambouis, il y a quelques années, avec Eloge du carburateur, dont j'avais beaucoup apprécié la réflexion, bien que ne connaissant rien à la mécanique.
Il récidive ici avec cet ouvrage qui dénonce la sursollicitation dont souffre en permanence notre esprit, entrainant la fragmentation de notre attention.
Au centre: l'attention, et le travail manuel que l'on retrouve à nouveau.
La concentration, l'observation, l'analyse qu'implique la résolution d'un problème, d'un montage, d'une réparation nous permettent de nous recentrer, de garder ou de reprendre contact avec nous-même.
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critiques presse (1)
NonFiction
03 décembre 2019
Le philosophe Matthew B. Crawford envisage les compétences pratiques comme des remèdes à la crise contemporaine de l’attention, qu’il attribue à un oubli du « réel » au profit des « représentations ».
Lire la critique sur le site : NonFiction
Citations et extraits (34) Voir plus Ajouter une citation
Dans les années 1960, l’avènement de l'individu "libéré" - de l'autorité des parents, des enseignants, des lois bourgeoises, de son utérus, du service militaire, du soutien- gorge - a coïncidé avec une période de mobilité ascendante soutenue par une économie en plein essor. Ces développements ont pu sembler a,noncer l'arrivée du surhomme prophétisé par Nietzsche. Et, de fait, Ehrenberg cite la Généalogie de la morale : "La fière connaissance du privilège extraordinaire de la responsabilité, la conscience de cette rare liberté, de cette puissance sur lui-même et sur le destin, a pénétré chez lui jusqu'aux profondeurs les plus intimes pour passer à l'état d’instinct." Depuis plusieurs décennies, cet individu souverain est le personnage type qu'invoquent les discours solennels prononcés à l'occasion des cérémonies de remise de diplômes dans les universités américaines. C'est son image qui nourrit les bavardages des talk-shows du matin et la littérature du développement personnel. C'est à elle que recourt le conseiller d'orientation quand il est en état d’hypoglycémie.
L'individu souverain est devenu notre norme mais, comme le dit Ehrenberg, "au lieu de posséder la force des maîtres, il est fragile, il manque d’être, il est fatigué par sa souveraineté et s'en plaint".
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Nous sommes en train de vivre une véritable crise de l'attention. C'est du moins ce dont se plaignent de plus en plus de gens à propos de la technologie. Notre activité mentale paraît de plus en plus balkanisée, et nous commençons à nous demander si nous sommes capables de préserver un moi cohérent. Par moi cohérent, j'entends une conscience individuelle capable d'agir conformément à des objectifs et des projets bien établis au lieu de papillonner au gré du moment. La question de l'attention est cruciale pour beaucoup de gens. Elle nous offre donc une rare opportunité de poser à nouveaux frais une très vieille question philosophique : qu'est-ce qu'un être humain ?
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L'univers de La Maison de Mickey fait complètement abstraction de la réalité matérielle telle qu'elle était décrite dans les premiers dessins animés de Disney, où les personnages étaient confrontés à ce qu'on pourrait appeler des "affordances négatives" : projectiles indésirables, ressorts diaboliques (...)
Cette magie de dessin animé peut avoir son charme, mais ce qui est inquiétant, c'est à quel point elle ressemble à la vision, utopique qui régit les fantasmes démiurgiques de la Silicon Valley. Refaire le monde, "bâtir une planète plus intelligente, c'est vouloir un réel aussi dénué de constance que la pensée même, une "intelligence" capable de dompter la nature obtuse. Mais la pensée elle-même pourrait devenir inutile : une technologie pleinement intelligente devrait être capable d'anticiper nos désirs en un clin d'oeilen utilisant les algorithmes qui mettent à nu les préférences individuelles révélées par nos choix antérieurs. L'idée, ce serait de parvenir un jour à intégrer directement l'équivalent de la Maxi-Caisse à outils à notre appareil psychique, sans doute par le biais d'un dispositif portable ou implantable, afin que le réel s'adapte automatiquement à nos besoins et que nous ne soyons jamais confrontés à) l'idée décourageante que les objets sont indépendants de notre moi.
La séduction de la magie tient à la promesse d'ajuster les objets à notre volonté sans que nous ayons jamais à prendre leur matérialité à bras-le-corps. Cette distance entre nous et l'objet évite que notre moi ne soit remis en cause. Si l'on encroit Freud, c'est la définition même du narcissisme : traiter les objets comme des accessoires au service d'un ego fragile et être pratiquement incapable de les percevoir comme dotés d'une réalité propre.
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Les domaines de compétence pratique fonctionnent comme des points d'ancrage de notre rapport au réel - des points de triangulation avec les objets et nos semblables, qui ont leur propre réalité. Le résultat le plus surprenant de cette enquête (du moins à mes yeux), c'est qu'une "individualité" est susceptible d'émerger d'une telle triangulation. Un véritable exploit dans une société de masse qui parle le langage de l'individualisme tout en le vidant de sa substance.
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L'approfondissement de ma compréhension et de mon potentiel affectif repose sur ce type de triangulation : c'est en relation avec les autres en tant qu'autres que je suis à même de parvenir à un vrai point de vue individuel.
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Videos de Matthew B. Crawford (4) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Matthew B. Crawford
Prendre de la hauteur, c'est ce que nous allons tenter de faire dans ce nouvel épisode du podcast de Dialogues.
Notre guide du jour s'appelle Arthur Lochmann. Après "La Vie Solide", son premier livre paru en 2019, il publie "Toucher le vertige". Au cours de notre échange, il sera donc question de cette sensation à la fois enivrante et attirante qu'est le vertige. Vertige comme peur du vide, bien sûr, mais aussi le vertige de l'homme confronté à la fragilité de son existence. Nous laisserons ensuite Arthur Lochmann pour marcher dans les pas de notre libraire Marion. Elle a préparé pour vous une pertinente sélection de livres autour de cette question du vertige. Et nous terminons par notre invité brestois : Serge Hardy. Un féru de (très) hauts sommets, qui nous proposera de le suivre dans sa cordée.
Retrouvez les titres évoqués ci-dessous : - Toucher le vertige, d'Arthur Lochmann (éd. Flammarion) https://www.librairiedialogues.fr/livre/18980776-toucher-le-vertige-arthur-lochmann-flammarion - L'Art de la joie, de Goliarda Sapienza (éd. le Tripode) https://www.librairiedialogues.fr/livre/9964608-l-art-de-la-joie-goliarda-sapienza-le-tripode - La Vie Solide, d'Arthur Lochmann (éd. Payot) https://www.librairiedialogues.fr/livre/18209149-la-vie-solide-la-charpente-comme-ethique-du-faire-arthur-lochmann-payot - Éloge du carburateur, de Matthew B. Crawford (éd. La Découverte) https://www.librairiedialogues.fr/livre/9137188-eloge-du-carburateur-matthew-b-crawford-la-decouverte - La Saveur du monde, de David le Breton (éd. Métailié) https://www.librairiedialogues.fr/livre/8878714-la-saveur-du-monde-david-le-breton-anne-marie-metailie - Marcher avec les dragons, de Tim Inglod (éd. Points) https://www.librairiedialogues.fr/livre/13496910-marcher-avec-les-dragons-tim-ingold-points - Ailefroide, de Jean-Marc Rochette (éd. Casterman) https://www.librairiedialogues.fr/livre/13095265-ailefroide-altitude-3954-altitude-3954-jean-marc-rochette-casterman - Les Conquérants de l'inutile, de Lionel Terray (éd. Guérin) https://www.librairiedialogues.fr/livre/11106547-les-conquerants-de-l-inutile-lionel-terray-guerin
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