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Critique de Godefroid


Comme avec son premier essai "Eloge du carburateur", le mécano philosophe Matthew Crawford a rencontré spontanément un vif succès – très mérité avec "Contact – Pourquoi nous avons perdu le monde et comment le retrouver". Les thématiques traitées par Crawford peuvent au premier abord sembler déconnectées les unes des autres, mais elles convergent bien vers un même constat qui devrait nous alarmer. Crawford montre comment les grands courants philosophiques des lumières qui ont posé les fondations de la civilisation occidentale d'aujourd'hui ont en même temps miné ces mêmes fondations, par une vision de l'homme dont la supériorité sur tout le reste peut – et doit – s'établir "hors sol", c'est-à-dire que nous aurions la capacité de nous affirmer comme les maîtres de l'univers (on va commencer par notre petite planète !) sans véritable connexion au réel, celle-dernière devant être déclarée inappropriée puis éliminée. C'est bien, par exemple, l'idée que le savoir peut se transmettre de manière désincarnée, et que l'attention au réel, à notre environnement direct, n'est qu'une méprisable béquille indigne de la grandeur d'un individu accompli. Crawford, à juste titre et de manière parfaitement convaincante, démontre les ravages d'une telle approche dans le monde d'aujourd'hui: perte de relation véritable au monde, aux autres, perte de l'indépendance du jugement (esprit critique), uniformisation des perceptions et des appréciations, etc. En d'autre termes et sans qu'il n'énonce jamais ces mots, ce sont les bases d'une dictature numérique qui sont posées ici; sa conclusion est presque explicite à ce sujet:

"Dans [bien des] aspects de la culture contemporaine, la réalité est traitée à travers un écran de représentations qui protège un moi fragile du monde en rendant celui-ci inoffensif et prépare le sujet à se soumettre aux "architectures du choix" élaborées par tels ou tels fonctionnaires de l'ajustement psychologique. En revanche, le monde dans lequel nous acquérons des compétences pratiques en tant qu'agents incarnés nous expose aux "affordance négatives" de la réalité matérielle. […] Nourrir le phantasme d'échapper à l'hétéronomie par le biais de l'abstraction revient à renoncer à l'univers des compétences pratiques, et donc à la possibilité d'un agir authentique."

C'est bien au travers d'une revendication forte du caractère situé des individus que l'on (re)trouvera un savoir véritable, riche, diversifié, un esprit critique, et un intérêt renouvelé, décuplé dans notre relation à l'autre et au monde. Une voix véritablement discordante dans le discours ambiant, et mise au point salvatrice!
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