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Philippe Garnier (Traducteur)
EAN : 9782070389988
304 pages
Gallimard (25/06/2009)
4.23/5   86 notes
Résumé :
Ce livre est le récit inoubliable des premières années d'Harry Crews. Il naît en pleine Grande Dépression, dans une misérable baraque de paysan au sud de la Géorgie. Mais si Bacon County est une région au sol aride et aux vendettas sanglantes, c'est aussi un lieu magique où les serpents parlent, où les oiseaux peuvent s'emparer de l'âme d'un enfant, où les prédicateurs et les sorcières gardent fantômes et démons à portée de main. C'est surtout une terre d'hommes et ... >Voir plus
Que lire après Des mules et des hommes : Une enfance, un lieuVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (11) Voir plus Ajouter une critique
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« Où que j'aille dans le monde, ils viendraient avec moi ».

Une enfance, un lieu mais aussi ces hommes et ces femmes de Bacon County en Géorgie : voilà ce que raconte superbement Harry Crews – traduit par Philippe Garnier – dans Des mules et des hommes.

« J'ai toujours eu l'impression de n'avoir pas tant été mis au monde que de m'être réveillé dedans ».

Loin d'une autobiographie linéaire ou chronologique, Crews se raconte par fulgurances, digressions souvenirs et anecdotes, pour témoigner de cette terre du Deep South qui l'a profondément marqué.

Une terre que l'on vénère, tout comme les éléments naturels qui lui permettent de produire, tant elle est dure à cultiver pour ce monde de gagne-petits. Une terre dont la propriété est la base du statut social et le début du respect.

« À cette époque, la terre d'un homme était inviolable, et il y avait intérêt à faire attention à ce qu'on disait à quelqu'un si on se trouvait sur sa terre ».

Dans un style direct, parfois patoisant et lourdaud (assumé par le traducteur), Crews réussit très souvent à laisser s'envoler sa plume pour nous décrire avec amour et poésie les paysages qui l'ont bercé. Une écriture contrastée qui sait aussi être pleine d'esprit :

« Comme fréquentations, il avait un faible pour les femmes très propres et les hommes très sales. Il pensait que c'était l'ordre naturel des choses ».

Jamais le mot racines n'a eu autant d'importance que dans ce que Crews nous décrit et si ce mot vous parle, précipitez-vous !

« Je viens d'une lignée de gens qui considèrent le pays, là d'où vous venez, comme étant aussi vital que le battement de votre coeur. C'est cette maison où vous êtes né, où vous avez passé votre enfance, où vous avez grandi et atteint l'âge d'homme. C'est ça qui vous ancre en ce monde, cet endroit, ça et le souvenir de vos proches à la longue table, chaque soir, savoir qu'elle existerait toujours, ne serait-ce que dans la mémoire ».
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« Des mules et des hommes » occupe une place centrale dans l'oeuvre d'Harry Crews. Ce récit rétrospectif livre un éclairage saisissant sur l'auteur et son oeuvre. Il s'attache à décrire le monde de son enfance en rédigeant la « biographie » de Bacon County en Géorgie, comté où il a grandi, une quintessence de l'Amérique profonde, du Sud rural. Les cultivateurs de cette contrée mènent une existence misérable. le travail sur ces terres arides est pénible, les récoltes sont irrégulières, les conditions de vie sont rudes. Les problématiques sont les mêmes que dans nos campagnes : accoupler les animaux, tuer le cochon, soigner les bêtes, labourer, semer. Dans ce pays, la valeur d'un paysan s'apprécie à la régularité de ses sillons. Les hommes sont d'une brutalité primaire. Les conflits entre voisins ou entre époux se règlent souvent par la violence. Et ils sont nombreux à sombrer dans l'alcoolisme.

Les membres de cette communauté ont le sentiment d'être hors du monde et hors du temps. Il y a très peu de références aux événements historiques. Les industries et la modernité sont absentes. Mais ce monde à part a aussi ses marginaux, des personnages qui auront une place importante dans les romans de l'auteur : un "gitan", un commerçant ambulant de confession juive, des rebouteux.

Harry Crews fait le récit de moments essentiels de son enfance: le décès de son père, l'alcoolisme de son beau-père, ses graves problèmes de santé, comme la paralysie de ses jambes pendant plusieurs mois et sa chute dans un chaudron de graisse bouillante.

L'imagination prend une place importante dans la vie de Crews dès les premières années de son enfance. On le voit inventer des histoires à partir des images d'un catalogue de vente par correspondance. Il y a les veillées au coin du feu où les voisins racontent des contes et des ragots. Une voisine initie le jeune Harry à la culture et aux croyances afro-américaines. Enfin, il y a toutes les anecdotes locales – histoires pittoresques ou tragiques – qui sont racontées et qui composent une mémoire locale.

Ce roman autobiographique nous livre les clés de l'imaginaire d'Harry Crews. C'est son « Pedigree ». Il recrée le monde de son enfance, un univers intime, mais dont il s'est définitivement éloigné. Cela permet de mieux appréhender chez Crews, l'homme meurtri, le conteur et sa passion pour le sud profond et les marginaux.

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Cette autobiographie de Harry Crews, centrée sur quelques années de son enfance, est publiée pour la première fois en 1978 (l'auteur a 43 ans). Elle est aussi bouleversante que de nombreux lecteurs et critiques ont pu l'écrire, ponctuée d'événements épouvantables et traumatisants sur fond de misère noire, dans le monde agricole de l'entre deux guerres.

Enfant cabossé, martyrisé par les événements, le petit Harry Crews est néanmoins habité par un espoir irrationnel, une soif de vie étonnante qui lui permet de surmonter les situations les plus terribles. D'une insatiable curiosité, il absorbe les légendes effrayantes, les croyances et les racontars qui imprègnent la vie des adultes qui l'entourent. Il est confronté à la misère et au malheur d'hommes et de femmes qui, ayant perdu tout espoir de mener un jour vie décente, ne voient parfois plus d'autre solution que de mettre fin à leurs jours. Il assiste ainsi au lent suicide d'un homme dans la boucherie où il travaille après les cours ; une scène hallucinante dont les effets sur le psychisme d'un enfant de six ans sont difficilement imaginables.

Ce texte nous confirme (s'il en était besoin) que Harry Crews est un tendre. Son intelligence, sa sensibilité et surtout son absence de méchanceté rendent les tourments qu'il subit d'autant plus cruels et injustes. Il verse les larmes par litres mais se reconstruit toujours après, faisant preuve d'une précocité étonnante de par ses facultés de discernement et une saine appréhension du bien et du mal, fort solidement ancrée. Ainsi, ses premiers contacts avec la religion lui inspirent un constat limpide et sans appel :

"L'enfer venait avec Dieu, main dans la main. (...) c'était un endroit avec des fourches, des démons et des lacs de feu qui brûlent éternellement. Dieu avait inventé un endroit comme ça rapport à ce qu'il nous aimait tellement. (...) Il avait – disait l'évangéliste – envoyé Son Fils se faire donner des coups de ronces et du vinaigre à boire et même se faire clouer à un arbre pour les mêmes prétextes d'amour. Je ne pouvais pas imaginer un être pareil."

Des mules et des hommes est remarquable pour cela : impossible à la fin de ne pas tomber sous le charme de ce bonhomme aujourd'hui parcheminé, impossible de ne pas aimer de toute notre âme ce petit garçon malmené par la pauvreté. Même si ce texte ne possède pas le souffle puissant et continu qui vous emporte d'un coup du début à la fin (ce défaut de liant étant quasi inévitable dans un récit reposant essentiellement sur des souvenirs épars), il n'en demeure pas moins indispensable pour qui a un jour été saisi par la prose de Crews ; on peut parier sans gros risque qu'il s'agit à peu de chose près de tous ceux qui ont un jour ouvert l'un de ses livres.

En guise de post scriptum : Crews n'est pas le premier auteur de romans noir à coucher sur le papier son enfance difficile. Son aîné de 18 mois seulement, Ed Bunker, autre enfant terrible de la littérature américaine, s'est également raconté sous une forme romanesque d'abord (Little Boy Blue / La bête au ventre) puis plus classiquement dans une autobiographie (L'éducation d'un malfrat), livres dans lesquels il montre comment, exposé très jeune aux brimades, frustrations et autres mauvais traitements, il s'est mué en un rebelle à toute autorité, capable d'une sauvagerie extrême pour sauvegarder ses intérêts. On a là deux parcours très différents, quasiment opposés mais aussi édifiants l'un que l'autre, qui nous ont donnés deux brillants écrivains, un combattant et un observateur empathique, tous deux révélant à leur manière la misérable condition d'une frange de l'humanité que la recherche du confort impose d'ignorer.
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Pour partir à la découverte de Harry Crews j'ai décidé de ne pas commencer par ses romans mais plutôt par ses mémoires. Ce choix s'est imposé à moi. Je ressentais le besoin de connaitre le bonhomme.

Si on évalue les mémoires selon deux critères : la qualité de l'écriture et l'efficacité avec laquelle elles nous entraînent dans la vie de la personne qui l'a vécue, on peut dire que Harry Crews séduit sur les deux fronts.
L'écriture a la clarté et la puissance dont la plupart des écrivains actuels peuvent à peine rêver.
Ensuite on a l'impression que Crews est assis sur un porche, buvant un verre et partageant ses histoires avec des amis par une chaude nuit. Il y a un vrai sens du lieu dans ce livre, comme l'atteste le sous-titre « Une enfance, un lieu ».

Harry Crews raconte son enfance white trash à Bacon County, Géorgie, dans le Sud profond des Etats-Unis. Nous sommes en 1935. Orphelin de père à deux ans, il partage avec sa mère et son beau-père rongé par l'alcool, la dure vie de métayer de l'époque. On crève de faim, la terre ne produit rien. On vit loin de la modernité. le monde s'arrête aux frontières du comté. Les préoccupations s'arrêtent à cultiver le sol, élever les animaux.
Cette enfance va être ponctuée d'événements traumatisants notamment une paralysie des jambes inexpliquée et une chute dans un chaudron d'eau bouillante.
Au milieu de toute cette dureté il y a des personnages excentriques, des superstitions, des histoires d'animaux et l'imaginaire d'un gamin, d'un futur écrivain.

Traduit par Philippe Garnier
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Récit plus que roman Des mules et des hommes est un livre irrésistible, un livre plaisir, un livre où l'on se sent bien pour peu que l'Amérique nous intéresse et que nous soyons lecteurs d'Erskine Caldwell par exemple. Mais connait-on encore Caldwell, sa Route au tabac et son Petit arpent du bon Dieu? Harry Crews raconte son enfance de petit blanc de Georgie.

Né en pleine Grande Dépression, dans une misérable baraque de Bacon County, zone aride aux habitants susceptibles ,Crews (1935-2012) narre ce lieu magique où les serpents parlent, où les oiseaux peuvent s'emparer de l'âme d'un enfant, où les prédicateurs et les sorcières gardent fantômes et démons à portée de main. Cette Amérique n'est pas celle de Boston ou de Frisco. C'est une Amérique de modestes pour qui le temps qu'il fait et les récoltes tout aussi modestes sont choses essentielles. le titre français, Des mules et des hommes, paraphrasant un roman de Steinbeck, est à cet égard plutôt bien choisi.

Je n'avais jamais lu Harry Crews. Dans cette quasi autobiographie les évènements, rudes, de son enfance, décès de son père, alcoolisme de son beau-père, ses propres et graves problèmes de santé, paralysie des jambes pendant plusieurs mois et chute dans un chaudron de graisse bouillante, sont relatés sans verser dans le misérabilisme même si la vie, elle, frise la misère. Au rythme des saisons, achat d'une mule, estocade du cochon (un classique du rural dans le monde entier), vol de bétail, prières maugréées plus qu'entonnées, Harry Crews compose une ballade de ses tendres années, c'est un euphémisme, où celui qui tient la vedette est tout simplement l'amour de la vie, malgré la poussière des chemins et l'entêtement des mules et des hommes.

Ce n'est pas le Sud de Faulkner, pas tout à fait celui de James Lee Burke, mais on est tout de même plus près des bayous cajuns aux serpents mocassins et poissons-chats géants que de Paul Auster ou Philip Roth. Multiple et géniale (parfois) littérature américaine.
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Citations et extraits (12) Voir plus Ajouter une citation
Il a poussé un soupir et il a fait tranquillement : « Dieu et les filles c’est comme la culture. Pas moyen de jamais en finir. T’arraches quelque chose et il est déjà temps de remettre quelque chose dedans. Plus tôt tu saisis que t’en auras jamais fini avec rien, plus tôt t’auras plus à te presser ni à t’en faire pour rien. » Là-dessus, il a envoyé un long jet de jus de chique devant lui. « Celui qui se fait du mauvais sang, savoir si l’herbe poussera ou poussera pas, c’est pas un homme ben raisonnabe. L’herbe poussera, de toute façon. »
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Au milieu de tout ça, l’idée m’est venue pour la première fois que d’être vivant c’était comme d’être éveillé dans un cauchemar.
Je me souviens m’être dit tout haut : « Aussi pire qu’un cauchemar. Jusse comme d’être debout dans un cauchemar. »
Jamais je n’ai une seule fois pensé que ma vie était différente de celle des autres, que mes peurs et mes incertitudes n’étaient pas universelles. Chose pour laquelle je ne peux que remercier le ciel. Un tel raisonnement n’a pu que me rendre tout ça plus supportable.
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Comme on vivait dans un endroit hermétiquement clos, coupés de tout et de tout le monde, l’invention nous faisait comme un monde de vie. Inventer des histoires (…) était pour nous non seulement une manière de comprendre la façon dont on vivait, mais aussi une défense contre ce genre de vie.
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Mais il n'y avait rien à faire. J'avais déjà commis ce qui à Bacon County était l'impensable. J'avais maudit le soleil. Et à Bacon County on ne maudit pas le soleil ni la pluie ni la terre ni Dieu. Elles sont toutes la même chose. Maudire l'une ou l'autre de ces choses, c'est le blasphème ultime.
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"Dieu et les filles c'est comme la culture. Pas moyen de jamais en finir. T'arraches quelque chose de la terre et il est déjà temps de remettre quelque chose dedans. Plus tôt tu saisis que t'en auras jamais fini avec rien, plus tôt t'auras plus à te presser ni à t'en faire pour rien". Là dessus, il a envoyé un sang jet de jus de chique devant lui. "Celui qui se fait du mauvais sang, savoir si l'herbe poussera ou poussera pas, c'est pas un homme ben raisonnable. L'herbe poussera, de toute façon."
Je ne savais pas quoi dire à ça, alors j'ai fait ; "Ca va mettre longtemps pour arriver où on va."
Il a regardé par deus les garrots osseux de Pete et il a fait ; "Oh, ça met toujours longtemps pour arriver où on va."
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Videos de Harry Crews (5) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Harry Crews
Le grand James Ellroy poursuit son tableau wagnérien de Los Angeles dans la tourmente de la seconde guerre mondiale. Et Harry Crews brosse un portrait saisissant des péquenots du sud dans les années 70. En contrepoint, un regard subtil sur l'Inde occupée par les Anglais au lendemain de la grande guerre par Abir Mukherjee, jeune auteur à suivre.
"La tempête qui vient" de James Ellroy (Rivages/Noir) "Péquenots" de Harry Crews (Finitude) "L'attaque du Calcutta-Darjeeling" de Abir Mukherjee (Liana Lévi)
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