La lecture de ce roman provoque chez le lecteur un vertige : la spirale infernale de la délinquance qui aspire les personnages , l'accélération morbide vers un funeste destin ont un côté hypnotique . Mais ,en arrière-plan de cette course à la mort se déploie une ample et lucide réflexion sur les racines du mal dans les profondeurs historiques de la terre calabraise arrosée du sang de ses fils . Les personnages affrontent les yeux ouverts et l'arme au poing ,des forces qui les dépassent , l'Etat , les organisations mafieuses , les réseaux terroristes internationaux mais n'abdiquent rien du rêve utopique de leur Locride mythique et de l' amour intense de leur communauté . Des âmes noires assumant leur sanglante et tragique dérive jusqu'à ses ultimes conséquences. Cette terrible chronique est portée par une langue magnifique , celle d'un poète épique digne des ancêtres aèdes et guerriers dont les récits irriguent encore le présent.
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C'est vraiment sordide et violent, comme la Calabre. Même si ça fait froid dans le dos, ça donne envie d'aller voir ce pays rude et somptueux..
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Un excellent exercice de "parcours" criminel. Très grande maîtrise.
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Nous marchions vite, je glissais derrière lui comme un traîneau tiré par des chiens, c’était comme ça depuis des heures.
Le rendez-vous était nocturne, et nocturne, logiquement, devait être la traversée. C’était de cela qu’il s’agissait, parcourir la région en abandonnant la vue d’une mer pour une autre.
Il bruinait depuis des jours comme souvent à cette période de l’année. L’eau ne parvenait pas à passer à travers la veste imperméable du lourd uniforme de l’ejército español pour mouiller ma chemise et mon pantalon.
Des nuées de vapeur produites par la chaleur de mon corps s’échappaient du blouson et je vérifiais sans cesse, par des poches ouvertes de l’intérieur, que l’AK-47 était encore sec. Le contact du métal froid faisait monter l’adrénaline déjà abondante dans mon sang. Je touchais le levier disgracieux du sélecteur de tir pour m’assurer qu’il n’était pas sur R ou J, mais bien sur U, sécurité.
Nous avions trait les bêtes, puis après les avoir rentrées et après avoir rangé le lait, nous étions partis dans les premières ombres du soir. La livraison du porc devait s’effectuer à de nombreux kilomètres d’ici. Lui, il arrivait toujours très en avance aux rendez-vous.
Nous traversâmes, dans l’ordre, des bois de chênes verts, bas et touffus, pleins de buissons épineux qui parfois transperçaient l’épaisseur de nos vêtements et marquaient nos chairs ; des rangs serrés de pins ordinaires, dont le principal danger était ces branches basses et sèches qui cherchaient inexorablement nos yeux, il fallait incliner la tête et laisser à la visière d’une casquette le soin de repousser les attaques ; des bois de pins très hauts et majestueux, à l’écorce épaisse, dont les aiguilles souples cachaient de profonds trous creusés par les sangliers, dans lesquels se mesuraient l’élasticité et la solidité des chevilles (une entrée intrépide et vous finissiez, s’il y en avait, sur les fortes épaules de quelqu’un qui vous transportait jusqu’à un refuge), pour qui sait regarder, les aiguilles de pin sont une étendue immaculée de neige sur laquelle les traces durent des jours entiers ; d’immenses superficies planes recouvertes de hêtraies, dans lesquelles le bruit des feuilles piétinées, assourdissant dans le bois silencieux, donne l’impression de marcher sur des crackers croustillants.
Une fois les plus haut sommets atteint et la descente entamée, le spectacle de la végétation se répétait en sens inverse.
Une traversée comme celle-là, même de jour, serait pour des yeux inexperts une folie, voire un suicide ; bois labyrinthiques, roches glissantes, torrents furieux, pentes diaboliques, enclos de fil de fer barbelé.
Lui entrait en symbiose avec cette nature qui pouvait paraître hostile, il s’y abandonnait complètement, il en faisait partie et en était un élément essentiel : la montagne qui repousse les hostilités l’acceptait lui, et lui l’aimait plus que tout au monde.
La montagne et lui, il en était convaincu, ne haïssaient que deux choses, les chênes et les porcs, deux espèces détruisant le milieu naturel.
Le chêne rendait le terrain sur lequel il poussait aride et désertique, et son fruit engraissait le porc qui détruisait les bois, les berges, les champignonnières, les cultures et les pâturages.
Lui, il connaissait chaque col, chaque arbre, ruisseau, falaise, refuge ou piège, comme seul le pouvait un natif des lieux. C’est ici qu’il était né et qu’il avait grandi. Un jour il s’en était éloigné, mais, inexorablement, la montagne l’avait rappelé à elle. Qui naissait ici mourait ici. Et la mort était en général causée par deux choses auxquelles il était difficile d’échapper, le labeur et le plomb.
Lui, c’était mon père.
Il représentait le produit typique de cette terre, trapu, fort et résistant, endurci et fragile à la fois. Par-dessus tout, déterminé à résister, à n’importe quel coût ou prix, règle légale ou morale.
Nous dévorions la route qui menait au porc, nourriture empoisonnée, peut-être, pour notre terre.
En plus, ceux que nous appelions les « ombres », les recherchés, les fuiùti, les disparus, les fuyards, avaient commencé à séjourner dans la bergerie ; on avait toujours quelqu’un. En général, il s’agissait de braves types naïfs que quelques compères avaient pris soin de fourrer dans les ennuis. Pour se soustraire à l’obscurité d’une maison humide et fermée, les pauvres diables venaient à la montagne s’oxygéner le cerveau.
Peu y résistaient, ils ne supportaient pas les privations et la solitude. Ils étaient nombreux à finir en prison, pris derrière l’armoire d’une maison de campagne ; d’autres se réfugiaient dans les grandes villes du Nord ou à l’étranger, et beaucoup étaient retrouvés dans un fossé.
La plupart de ces fantômes de passage nous oubliaient, nous, les bergers ; il arrivait qu’on se lie d’une profonde amitié avec certains, parmi eux les plus riches nous envoyaient toujours quelque chose.
À cette époque, il nous semblait normal d’appeler un homme « porc ». C’était le nom inventé par les bergers de la montagne, durs et cyniques, pour désigner les nombreux otages qui séjournaient dans les bois épais de l’Aspromonte.
Les bergers, pour être considérés comme tels, devaient être des gardiens de chèvres, elles seules étaient des bêtes nobles, dignes de paître sur ces hauteurs inaccessibles.
Les chèvres étaient considérées comme des compagnes et des amies. Un vrai berger haïssait ces bêtes stupides et enrégimentées que sont les moutons ; il craignait les vaches pour leur sensibilité presque humaine ; il avait un seul porc, nocif pour la terre, qu’il tenait isolé et qu’il nourrissait presque exclusivement de petit-lait. Bien que détestée, cette bête était déterminante pour passer les hivers difficiles.
Reproduisant des pratiques ancestrales, jamais complètement disparues, presque tous les bergers avaient, en plus de la porcherie et de la bergerie, une seconde bâtisse secrète et soigneusement camouflée dans les profondeurs d’un bois, destinée à un cruel mais fructueux élevage, nécessaire à l’évolution économique qui, nous en étions convaincus, ou peut-être en avions-nous été convaincus par d’autres, devait avoir lieu. À l’époque, c’était comme ça.
C’était devenu, depuis quelques années, la réelle activité de mon père, et la mienne.
Faire le mal est parfois nécessaire pour survivre. Éteindre une vie est toujours une erreur. Si tu ne lui donnes pas un alibi ou une tromperie, ta conscience hurlera chaque nuit.
Il m’expliqua ce qu’était un comédien dans le langage paternel. « Quand un malandrin avait un ennemi qui n’était pas considéré comme dangereux, on le criblait de balles sans chercher à cacher l’auteur. Si l’adversaire était dangereux, il fallait l’éliminer de toute façon mais sans en payer les conséquences ; il fallait donc trouver quelqu’un qui le fasse ou qui passe pour l’auteur. On attendait, parfois des années, que la victime ait quelque mésentente bien fraîche, et l’on frappait aussi sec ; les proches, aveuglés par la douleur, déchargeaient leur haine sur le dernier ennemi connu, oublieux des vieilles rancunes, ils s’anéantissaient les uns les autres pour la joie du comédien. Si ce premier scénario n’était pas envisageable, on commençait à lancer des appâts dans les environs et quand on trouvait le sujet approprié on tendait le filet ; en conclusion, un malheureux convaincu de libérer le monde d’un infâme se retrouvait avec le fusil encore fumant dans les mains et c’était à lui, évidemment, d’en payer les conséquences. »
"La Soie et le Fusil" de Gioacchino Criaco - Rencontres à Quais du Polar 2018 .Un Roméo et Juliette à la calabraise?C?est à Quais du Polar 2018, dont lecteurs.com est partenaire, que nous avons rencontré Gioacchino Criaco, l?auteur de la soie et le fusil, un roman qui mêle mythologie, histoire d?amour et thriller contemporain? un dosage juste pour un polar haletant. Pour découvrir l?interview complète : https://www.lecteurs.com/article/joann-sfar-le-nicois-en-colere/2443282Avec La soie et le fusil, l?auteur nous invite dans l?histoire chargée de deux familles - les Dominici et les Therrime - qui s?affrontent violemment depuis la nuit des temps de part et d?autre de la vallée de l?Aspromonte. Une inondation amènera les deux clans à immigrer et à cohabiter sur la côte. Les enfants se côtoient dans les jardins et se défient à cloche-pied? C?est ainsi que Julien Dominici et Agnese Therrime tombent amoureux sous le regard jaloux d?Alberto, le frère jumeau d?Agnese. Après American taste et Les Âmes noires, Gioacchino Criaco construit une épopée où il est de nouveau question de la destinée de ces enfants descendants de ?Ndranghetta, la mafia calabraise. Nous avons rencontré l?auteur à l?occasion des Quais du Polar, pour un retour sans filtre sur ces terres ancestrales qu?il connaît si bien.Visitez le site : http://www.lecteurs.com/ Suivez lecteurs.com sur les réseaux sociaux : Facebook : https://www.facebook.com/orange.lecteurs/ Twitter : https://twitter.com/OrangeLecteurs Instagram : https://www.instagram.com/lecteurs_com/ Youtube : https://www.youtube.com/c/Lecteurs Dailymotion : http://www.dailymotion.com/OrangeLecteurs
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