Le Baume du Vicaire

Jean-Pierre Croizier nous a habitué à des romans régionaux pas tout à fait comme les autres, avec sa galerie de personnages torturés, loin de tout manichéisme de bon aloi. le voici dans un registre historique, à Riom en Auvergne, où sévit l'épidémie de peste qui a décimé la ville au XVIIème siècle. le contexte est sombre mais, sans renoncer à décrire ces vieux métiers qui ont fait le succès de ses précédents ouvrages, puisque le personnage principal est fils d'un fabriquant de plumes et d'encre, l'auteur sait nous rendre proches ces destins qui, bon gré mal gré, arrivent à composer avec l'adversité et les drames du terrible fléau. Plusieurs thèmes sont abordés, dans ce qu'il faut bien appeler des opportunités au milieu du chaos, alors que les barrières sociales se fissurent et lorsque que tout est bon pour se raccrocher à l'espoir d'échapper à la mort. Ce n'est pas le romantisme de Giono dans le Hussard sur le toit, car là, simplement, vous vivez le quotidien de ces hommes et de ces femmes piégés dans leur bonne ville de Riom, au rythme de l'épidémie, avec une justesse où la chronologie rigoureuse s'allie au réalisme des sentiments. Ainsi, le jeune Guilhem Jacquemin va faire l'apprentissage de la vie dans des circonstances perturbantes mais qui ne manqueront pas d'intérêt… Quelles possibilités cette époque funeste lui réserve-t-elle en guise de d'avenir ?

Même s'il s'agit avant tout un roman historique dont l'action se déroule dans le Puy-de-Dôme, à Riom, sous Louis XIII, c'est aussi un roman gay et lesbien. Ce livre est rédigé avec soin. L'auteur fait preuve d'une grande compétence rédactionnelle en dépit de quelques maladresses de style, mais qui n'en commet pas ? Il s'agit, le plus souvent, de l'utilisation de tournures administratives, du genre « suite à ». Mais ces menus défauts n'entachent guère le livre. On peut toutefois se demander si la manière de parler des personnages est bien celle de cette époque. D'un autre côté, le style du XVIIe siècle serait sans doute difficilement accessible au lecteur moderne. L'action est menée avec compétence et rigueur. Ce roman est emprunt d'une légère torpeur, ce qui a un peu nui à l'intérêt que j'ai porté à l'intrigue. J'ai tout d'abord estimé que celle-ci manquait de force, de contrastes et que l'auteur ne faisait pas en sorte d'attiser l'intérêt du lecteur. Dans un second temps, le contenu et la manière du livre on évolué dans mon esprit et les défauts que j'avais cru repérer étaient aussi des qualités. L'auteur n'a pas voulu sombrer dans la littérature commerciale en attisant l'intérêt du lecteur d'une manière artificielle, comme auraient pu le faire des auteurs qui publient chez des éditeurs dont la fonction première est d'abêtir le public, afin de le mieux contrôler. Jean-Pierre Croizier a l'art des demi-teintes. Ce qu'il écrit est emprunt de douceur. L'auteur a développé des personnages principaux assez intéressants, mais jamais très tranchés. Ce sont, une fois de plus, des personnages en demi-teintes. Il a réservé ses contrastes aux personnages secondaires, très bien dessinés. Je pense notamment à l'hypocondriaque et au profiteur obsédé sexuel. Ils sont décrits avec finesse et nous font sourire. L'auteur a eu l'heureuse initiative d'introduire des personnages homo, fort bien décrits, parce que très normaux et ordinaires, ce qu'ils sont dans la réalité. Ce livre nous instruit tout en sollicitant notre sensibilité et notre réflexion. C'est un livre moderne qui s'adresse à des lecteurs dotés d'une certaine sensibilité.