Citations sur Les vertes Années (11)
Je me renfermai de plus en plus en moi-même, évitai le monde et fis une vertu de ma solitude. Lorsque Kate m'invitait, je trouvais toujours quelques bonnes excuses. Quand à Reid, je ne le voyais plus que rarement. Un jour, celui-ci me rencontra et me sourit de façon bizarre.
"Je fais ce que je peux pour vous être agréable, Shannon."
"Comment cela ?" demandai-je surpris.
"Et bien, je vous laisse seul."
C'est elle (Kate) qui puise pour moi dans sa propre bibliothèque de bons livres tels qu'Ivanhoé ou Quentin Durward. Et je sais aussi qu'il existe dans cette même bibliothèque, pour les avoir lus en cachette avec avidité, des romans où le héros, un beau ténébreux, tombe à genoux au dernier chapitre devant une pure jeune fille en robe de satin blanc qu'il avait jusque-là fort maltraitée.
618 - [Le Livre de Poche n°652, p. 94-95]
Lorsque je songe aux repas de mon enfance : dîners inconsistants et tiraillements d'estomac qui s'ensuivaient, je me rends compte que, moi aussi, je serais mort, sans le pénétrant réconfort que me procuraient les bonbons sucrés de Mademoiselle Minus.
« Un bel enfant, ma foi. Ce ne sont pas les difficultés qui lui manqueront ou je me trompe fort. » (p. 30)
Sous mon sourire ironique s'écroulait tout l'édifice de la révélation divine.Impossible pour un scientifique, un savant, de croire que le monde avait été créé en un jour, l'homme pétri de limon, la femme tirée d'une de ses côtes. Le Jardin d'Eden, Eve croquant la pomme sous le rire satanique du serpent, tout cela n'était plus pour moi qu'un charmant conte de fées. La science actuelle offrait des origines de la vie, une conception toute différente : le développement, au cours de millions d'années, de la nébuleuse primitive;
D'une imposante stature, d'une taille au-dessus de la moyenne, le teint frais, il devait avoir dans les soixante-dix ans. Une magnifique crinière de cheveux aux reflets cuivrés retombait en boucles sur son col. Des cheveux roux, en réalité, mais qui, touchés de blanc, prenaient à la lumière des tons dorés. Sa barbe bouclée, sa moustache conquérante étaient de la même teinte. Bien qu'il eût le blanc de l'œil tacheté de jaune, la pupille était claire, perçante et bleue, non du bleu fané des yeux de Maman, mais d'un bleu ardent, électrique, d'un bleu de myosotis, inattendu et charmant. Mais le trait le plus frappant de son visage, c'était son nez. Un grand et gros nez, rouge et pulpeux. Tandis que je l'examinais, ébahi, je ne pus trouver de meilleure comparaison qu'une énorme fraise mûre ; il avait la couleur et, criblé de petits trous, l'aspect grumeleux de ce fruit savoureux. Cet organe dominait tout son visage. Jamais, non jamais je n'avais vu nez si curieux !
« Toute mon enfance à Lomond View fut dominée par une règle monstrueuse : économiser à tout prix, même au détriment du strict nécessaire. Ah ! si Papa n’avait pas été hanté par l’argent ! S’il n’avait pas été la proie de cette avarice “écossaise” qui lui faisait préférer l’argent en banque à un bon repas, qui détruisit en lui toute générosité, véritable malédiction qui pesait sur notre foyer, comme tout aurait été différent. » (p. 224 & 225)
« Ces lettres, c’était tout Maman, un reflet de son âme. Pleines de nouvelles, de messages, de conseils, d’exhortations, elles marquaient bien son fervent désir de maintenir des liens étroits entre tous les membres de sa famille. » (p. 222)
« Pourquoi devrais-je épargner cet adolescent, ce Robert Shannon, puisque mon dessein est de vous en donner un portrait fidèle ? Analyser devant vous ses rêves, ses aspirations, ses folies avec le même et impitoyable sang-froid qu’il apporte à disséquer la malheureuse grenouille Rana temporaria. » (p. 238)
O Dieu, que je haïssais l'argent ! Y penser, même, me révoltait. Et cependant, je n'avais qu'un désir, en posséder un jour suffisamment pour poursuivre à l'université les études que j'aimais tant. La question de Kate me revint à la mémoire. Pourquoi ne quittais-je pas cette maison ? Par faiblesse ?... Par crainte de l'inconnu ?... Non, il existait une autre raison. Moins par affection que par un vif sens du devoir hérité sans doute de quelque ancêtre puritain, du côté maternel, je ne pouvais me résoudre à abandonner grand-père. Jusqu'où ne descendrait-il pas si je n'étais plus là pour le surveiller ? Je semblais condamné par le sort à finir mes jours dans cette petite ville.