Je remercie Babelio et l'opération Masse critique et l'éditeur le temps des cerises pour m'avoir offert ce livre édifiant, instructif, habilement écrit, et dont le texte poignant nous propose une immersion totale, au coeur de la révolution portugaise. Je les remercie de m'avoir donné la possibilité de partager des moments inoubliables aux côtés de Vaz, Paulo, Ramos, Renato, Manuel, Antonio, Ernesto, Maria, Isabel, Ermelinda et bien d'autres. Certains ont eu plus de chance que d'autres. Je vois un maillon de cette chaîne devant chaque prénom. Des acteurs qui comptent. Je les ai connus grâce à vous et je ne les oublierai pas.
1944 : La province du Ribatejo traversée par la vallée du Tage est le théâtre d'une conspiration contre la dictature des Généraux. Une clandestinité s'organise en sous-terrain. Les membres élus du parti communiste portugais s'organisent peu à peu, soutenus soit par une tradition familiale forte, soit parce que les privations, injustices et brimades ont laissé des cicatrices tellement appuyées qu'il leur est difficile de ne pas réagir.
Les ouvriers et les paysans exploités par une classe dominante puissante et argentée sont à bout de force.
« Oh Portugal, pays bien aimé ! tu sortiras du long cauchemar, tu en sortiras sans l'ombre d'un doute. Ton peuple s'éveille et lutte. le parti est finalement à la hauteur de ton peuple. »
La GNR (Garde Nationale Républicaine), « le casque enfoncé sur les yeux, affichant l'air mauvais et violent » patrouille en tous lieux et traque le moindre soubresaut d'un peuple affamé et soumis. La Police Internationale et de Défense de l'Etat, genre de police politique, complète et soutient la dictature mettant à mal toute tentative de soulèvement.
Organiser une grève n'est pas aisé et pourtant le débrayage est le seul moyen de pression des ouvriers qui espèrent un avenir meilleur. Ce livre nous projette dans un contexte où les moyens de communication n'ont aucune commune mesure avec ceux dont nous bénéficions aujourd‘hui. Les dangers sont décuplés. Les personnages font figure de leaders à la tête de cette fronde.
Chaque décideur à son rôle au sein de l'organisation communiste de cette province. Il a aussi son passé, sa personnalité, son histoire, histoire familiale, histoire d'amour, histoire de solitude. Au fil des pages nous les suivons comme leur ombre, approchant au mieux la singularité de chacun, frôlant et parfois devinant ses forces ou ses faiblesses, ses privations, sa dignité, sa souffrance, son degré d'épuisement.
La révolution dans son ensemble c'est tout autre chose. L''auteur Alvaro Cunhal (pressenti comme l'alter Ego du personnage clé de cette histoire :Vaz) nous la présente cette révolution, comme un rouleau compresseur qui, une fois en marche, ne peut plus s'arrêter. Cette révolution est une masse impersonnelle « un défilé de misère » qui ne fait que grossir, comptant dans ses rangs toute l'indignation vibrante d'un peuple privé de nourriture, de bien-être et de liberté.
Ill y a ceux qui craignaient de perdre leur gagne-pain « qui restèrent embarrassés et honteux mais sans courage suffisant pour rejoindre la lutte des paysans. ». Il y a ceux pour qui « renoncer signifiait détruire tout un rêve qu'il avait nourri en décidant de passer à la clandestinité. » « Chacun se sentait plus fort de la présence des autres et le simple fait d'être réunis ici venait de toutes parts , dans la pénombre d'une grange, dans un rendez-vous clandestin, leur semblait une révélation de la force, de la classe des travailleurs, de leur parti ».
C'est une longue histoire que nous raconte l'auteur, une histoire vue de l'intérieur, une histoire ponctuée par des accents de sincérité, de courage souvent, de lâcheté parfois, de fierté dans beaucoup de cas, d'espoir toujours.
Un état d'âme est expliqué parfois, comme celui-ci pris au hasard de ma lecture « Les paroles sont importantes mais les actes le sont encore plus………….un véritable sentiment d'écoeurement et d'antipathie pour les bavards le gagna peu à peu »
J'ai trouvé ce long récit (550 pages) passionnant. Un récit aussi fort que les plus valeureux des combattants, aussi sincère qu'un manifestant au coeur de la tourmente. L'auteur a fait de moi un partisan dès les premières pages. J'ai douté, j'ai aimé certains héros, j'ai eu peur, j'ai été effarée devant les tortures insoutenables. J'ai admiré ceux qui tenaient bon, compris malgré tout ceux qui lâchaient et dénonçaient, parce qu'ils étaient explosés littéralement et se tenaient tremblants dans l'antichambre du néant. J'ai lu des pages sur la beauté lorsque les sentiments amoureux occupaient harmonieusement le devant de la scène. le plus grand dénuement matériel n'empêche pas le coeur de battre. La dictature la plus hostile n'empêchera jamais cela. Heureusement !
A mes yeux ce livre est un témoignage cinglant du soulèvement des ouvriers, des paysans, des forestiers au Portugal. Il est documenté, argumenté et très agréablement mis en forme. J'ai aimé ce livre mais je crois bien l'avoir déjà dit…
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• Rappel du contexte historique, l'action du roman se situant en 1944 au Portugal :
En 1926, le coup d'Etat militaire dirigé par le général Gomez de Oliveira da Costa (1863-1929) met fin à une 1ère République affaiblie par des années d'instabilité. Salazar (1889-1970), un civil d'abord appelé pour redresser les finances publiques, étend peu à peu son influence. En 1932, il devient Président du Conseil des Ministres. En 1933, une nouvelle Constitution institutionnalise sa prise de pouvoir, sous une fine couche de vernis démocratique. Salazar quitte la fonction de Président du Conseil des Ministres en 1968, suite à un accident vasculaire cérébral. Pour conserver le pouvoir, Salazar ferme le pays aux influences extérieures "dangereuses" (y compris le tourisme), profite de la bienveillance des autres membres de l'OTAN, et s'appuie sur la complicité de l'Eglise catholique. Outre sa référence à la religion, la devise officielle du régime « Dieu, Famille et Patrie », évoque celle d'un autre régime fasciste chez nous…
En 1974, la 'Révolution des Oeillets' ramène la démocratie dans un pays quasiment sous-développé, dont l'empire colonial s'est étiolé.
• L'intrigue (sans spoiler, bien sûr) :
Dans ce roman, l'auteur montre les « camarades » (Vaz, Antonio, Maria, Ramos, Afonso, Rosa, et d'autres) tenter d'améliorer le quotidien de la classe laborieuse portugaise, privée de liberté et de nourriture. Les discussions entre camarades sur les stratégies du Parti communiste sont alors nombreuses et vivantes. Mais lorsque le Parti décide au nom de l'intérêt commun, l'obéissance s'impose ; les intérêts individuels doivent s'effacer devant un enjeu supérieur.
Outre les relations entre classes sociales, ce sont les rapports entre camarades qui sont présentés, ainsi que ceux entre hommes et femmes. Ces dernières peuvent aussi s'engager pour la cause commune, mais elles sont rarement au premier plan.
• Mon avis :
Les thématiques et le style descriptif rappellent beaucoup l'oeuvre de Zola. Ce regard sur un pays et une époque que je connais peu m'a beaucoup intéressé, m'amenant à reprendre un manuel d'histoire ('L'histoire du Portugal', Robert Durand, Hatier). A propos d'Alvaro Cunhal, ce manuel explique : « En 1948, le Mouvement d'Unité Démocratique toléré par le gouvernement soucieux de respectabilité aux yeux des Alliés fut dissous et le parti communiste dut de nouveau affronter la répression. Son nouveau secrétaire général, Alvaro Cunhal, fut emprisonné pendant dix ans à Peniche, avant de s'évader en 1960. Mais vivant plus souvent à Prague ou à Moscou, coupé des réalités portugaises, il contribua à ancrer son parti dans un dogmatisme suranné qui l'amènera notamment à approuver l'invasion de la Tchécoslovaquie par les armées du Pacte de Varsovie en 1968. Dès lors son audience allait être limitée. Le relais était alors pris par le parti socialiste. Né officiellement en 1972, il était l'aboutissement des efforts de l'avocat Mario Soares. »
L'alignement de Cunhal sur les thèses soviétiques me choque aussi, mais le déni dans lequel vivaient de nombreux communistes européens quant à la nature du régime soviétique était alors répandu...
Cette critique n'ôte rien à mon intérêt pour ce roman, témoignage de valeur sur les conditions de vie au Portugal au milieu des années 1940, et sur le fonctionnement clandestin d'un parti d'opposition.
■ Un grand merci à Babelio et aux éditions 'Le temps des cerises'.
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Tu as remarqué que tous les enfants naissent communistes? l'interrogea Conceïção. Regardes ce petit poing fermé. C'est en grandissant que certains se gâtent.
Les champs arborés en une immense danse enveloppent le train. Au premier plan, le long de la ligne, les arbres passent au vol pour aussItôt, somnolent, rester en arrière. Plus loin, ils se dédoublent en cercles, passent et repassent les uns devant les autres, se croisent dans de longues courbes sans fin. A l'horizon, tandis que les pinèdes tournent sur elles-mêmes, mélancoliques et nonchalante, les pins entrecroisent en un éclair la silhouette noire de leurs troncs, dessinant des rectangles denses et vibrants sur la profondeur clarté du ciel.
Les premiers arbres étaient tombés. Ils se penchant, d'abord lentement et hésitants, pour ensuite s'abattre avec fracas, brisant des branches sur leur passage, avant d'écraser sobrement leurs cimes sur le sol d'aiguilles de pins. Étendus, énormes, ils ressemblaient à des cadavres de géants fauchés par une rafale de mitrallette.
On a besoin de davantage de gens sérieux et à la morale élevée dit Paulo. Je ne crois pas beaucoup au sérieux de l'engagement de ceux qui ne sont pas sérieux dans leur vie privée
Oui les manières d'appréhender le mouvement étaient très diverses selon les personnes. L'ptimisme, la foi, la méfiance, la peur, la volonté, la sérénité, le sens du devoir, le courage, le doute, le trouble, tout régnait dans les coeurs