Les éditions La Volte proposent toujours des récits issus des littératures de l'imaginaire, mais volontairement en marge des codes habituels. Avec
Black Bottom, c'est l'occasion de (re)découvrir le style de
Philippe Curval, auteur de très nombreux ouvrages.
Découvrez Beth Raven !
Rien que dans son nom, mélange de légume et d'animal, ça donne le ton : le héros de
Black Bottom s'impose dès le départ comme un peu à part. Enseignant ayant démissionné, il est maintenant passé à l'activité de blogueur du quotidien. Et pour cela, il s'est fait implanter une puce qui lui permet de dicter son blog en temps réel, au fur et à mesure que se déroule sa journée. C'est de cette façon que nous suivons la description de sa déprime chronique, de la tromperie de sa femme et de ses rencontres fortuites mais tragiques. IL se fait écrivain spontané, mais introduit ses doutes et ses hésitations devant la page blanche que peut parfois être sa propre vie. Outre ces « drôles » d'aventures, Beth Raven c'est donc surtout une sacrée personnalité, au risque de devoir questionner sa crédibilité, ou plutôt sa fiabilité…
De la science-fiction schizophrène
Plonger dans
Black Bottom, c'est plonger dans la tête du protagoniste, Beth Raven, et déjà accepter d'avoir affaire à un personnage schizophrène. Sa maladie n'est pas véritablement annoncée telle quelle, toutefois le lecteur se rend progressivement compte que ce narrateur n'est pas vraiment digne de confiance : il raye certaines expressions, il change de style exprès pour tromper et il réécrit certains passages qui lui semblent trompeurs. C'est rigolo pour lui au départ, mais le récit montre très vite que cela va bien au-delà de simples caprices et que c'est l'ensemble de l'histoire qui est racontée par un transmetteur défectueux ; jusqu'où va le récit véridique et où commence la fable ? difficile de toujours faire la différence : vive la schizo'SF donc ! Cette séparation est d'autant plus trouble que le narrateur s'est convaincu qu'il existe une dimension que la plupart des humaines ne capte pas : l'aréel. Beth Raven a théorisé l'existence d'un « présent décalé » dont le héros peut prendre le contrôle et ainsi influé durablement sur son réel. À partir d'un récit de vie morne,
Philippe Curval crée un récit constamment en décalage et proche de la rupture.
Un récit très référencé culturellement
Lire du
Philippe Curval signifie aussi être aux aguets concernant la culture au sens très large. Ici, le récit tourne surtout autour de l'art contemporain. L'art dans toute sa splendeur donc, dirons-nous ; l' « art comptant pour rien », si vous préférez. Heureusement, l'auteur utilise ce thème avant tout pour s'en moquer et le montrer dans ses fastes les plus abjectes. L'antagoniste du héros, Festen, se réclame du « bloody art », c'est-à-dire des performances mettant en scène la douleur et la souffrance de sujets qui ne sont pas toujours (jamais) consentants. C'est à l'occasion de la Biennale de Venise que celui-ci concocte une exposition à la démesure de ce qu'inspire la ville à
Philippe Curval : dantesque, cauchemardesque et démesurée. le rythme du récit augmente et ralentit suivant l'envolée créatrice de chacun des chapitres, cela peut lasser certains lecteurs, mais l'ensemble se lit de manière agréable, même si les aspects artistiques vous passent au-dessus.
Il faut bien s'accrocher, mais
Black Bottom vaut le détour pour son originalité certaine. le rythme est particulier, tout comme le thème, en surfant sur un imaginaire fourni mais marginal. du pur La Volte donc !