Vous êtes des idéalistes de l’obscur, vous colportez le même manichéisme qui conduit les projets les plus extraordinaires à leur perte, qui condamne dans l’œuf toutes les tentatives de libération de l’individu par l’imaginaire et réduit les sociétés à des schémas où l’être humain n’a pas plus de signification qu’un éphémère graffiti à la surface de l’univers !
— Et après, qu’est-ce que j’en ai à faire, de la race humaine ! Tu lis trop, Alzine, ça te donne de mauvaises idées. Tu persistes à croire en une société utopique, c’est de la foutaise ! Moi, je ne rêve que d’une humanité idéale où chacun se prendrait en charge. On ne pourra jamais réaliser un ensemble cohérent en mélangeant les lions et les brebis, les renards et les cigognes, les fourmis et les marmottes. Vois, tous les animaux s’entre-dévorent, s’ignorent ou se contredisent par essence. Les hommes n’échappent pas à la règle. Ce n’est pas parce qu’ils ont inventé des manières plus sophistiquées de pratiquer le cannibalisme qu’il faut s’illusionner sur le sujet.
— Dans ces conditions, ça ne vaut peut-être pas la peine de vivre.
— Pourquoi ? Tout est tellement absurde ! Chaque matin, quand je me réveille, je ris en pensant à ce grouillement dérisoire qui agite les êtres ; à tel point que je suis de bonne humeur pour toute la journée.
— Ta manière de croire en l’individu fait tout de même un peu sentimentale ? Non ?
— Tais-toi, Alzine, tu sais bien que les conversations de ce genre m’ennuient à périr.
Défense de rêver le long des murs
Pour que la révolution s’instaure, il faut que le peuple en ait le désir ; ce n’est pas lorsqu’une poignée de privilégiés la provoque qu’elle peut aboutir artificiellement.
Le pire n’est jamais sûr, même s’il est hélas souvent probable.
[Préface]