À vous

Non, ce n'est pas l'envie de me confesser, de retrouver la transparence. Je ne suis pas si naïve. La transparence n'existe pas. Ce qui me pousse à parler, c'est la curiosité. C'est vous. Votre perversité. Vous me possédez. Votre silence est calculé. Vous savez que le silence torture.

Le souvenir qui me trouble le plus est celui de ces yeux noirs, des yeux curieux et attentionnés qui guettent mon plaisir, heureux de me le procurer. J'ai envie, en retour, de donner du plaisir. Il jouit dans ma main, et son sperme barbouille la peau de mon ventre.

C'est par l'écriture que se réalise le désir : par la distance qu'elle implique ; rappelle-toi. C'est la première fois que vous me tutoyez. Il n'y a aucune familiarité dans ce tutoiement, mais une gravité prophétique.

Ce qui fait la beauté du jeu, ce sont les efforts qu'il me coûte.

La certitude, pour moi c'est le miracle. Comment peut-on être suffisamment sûr pour formuler un jugement, pour faire un choix, pour prendre une décision.

Je viens seulement de comprendre : vous êtes un homme. Vous n'êtes qu'un homme. Gentil même et, qui sait, me voulant peut-être du bien. Vous tournez dans le couloir. Je me lève à mon tour. Dehors, tandis que le groupe s'éparpille en direction des Tuileries, de l'Assemblée ou de la Madeleine, je traverse la chaussée vers les Champs-Élysées. La vaste place baigne dans un halo bleuté. La lumière est belle à neuf heures du soir en été, quand le soleil vient de se coucher. Je vous vois, de loin, rentrer dans un taxi derrière la femme en rouge. La portière claque, le taxi file. Vous sortez de ma vie. Vous entrez dans mon livre.

Quand je suis heureuse, c'est comme s'il y avait une voix en moi qui ne pouvait s'empêcher de constater mon bonheur, de me le montrer en détail, et de me faire tout remarquer, la blancheur de la neige, l'éclat du ciel, de notre rire et des yeux d'Edo

Mon premier désir pour un homme, pour un garçon, après deux ans et demi, il n'y a pas de quoi rougir. D'ailleurs rien ne s'est passé, sinon en rêve, deux ou trois nuits plus tard. Je suis avec Tony dans une pièce meublée d'un lit d'enfant avec des montants de fer. Nous buvons du whisky au goulot d'une bouteille enveloppée d'un sac en papier brun. L'alcool, fort, répand une chaleur dans mon ventre. Tony remonte ma jupe, ôte mon slip. Il entre en moi brusquement, d'un coup, sans une caresse préliminaire. La douleur est bonne comme la brûlure du whisky.

Je rêve de violence, de coups, de meurtres. Je ne comprends pas par quelle folie je me retrouve prisonnière, avec cet étranger, dans la chambre étrangère d'une maison étrangère en pays étranger. J

Dans vos livres les femmes ne boivent pas de Coca, mais du whisky, ou du champagne. Vous souriez. Un Coca, commandez-vous au garçon. Vous me questionnez sur mes goûts littéraires. J'ai la tête vide, comme si je n'avais jamais rien lu, pas un seul livre. Je ne sais pas, dis-je, ça fait longtemps que je n'ai rien lu de bon. Trois minutes plus tard, je trouve le moyen d'ajouter que je vous ai lu hier. Je deviens toute rouge. Il n'y a pas moyen de préciser que votre livre m'a plu, le mensonge serait encore plus maladroit. Vous me demandez si j'aime la musique, la peinture, et quelles œuvres, précisément. Je ne sais pas quoi répondre. C'est le malaise qui me rend soudain agressive, ou le désir de reprendre l'avantage en vous surprenant par une attaque audacieuse. De toute façon, je n'ai plus rien à perdre. Tout le monde sait que vous êtes un dévoreur de petites filles, dis-je, et que vous séduisez les filles pour avoir quelque chose à écrire.