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Catherine Cuisset met en scène ce qui ressemble fort à un parcours autobiographique, vraisemblablement romancé, du moins le lui souhaite-t-on ! Car cette famille n'est pas de tout repos, c'est le moins qu'on puisse dire. Tout d'abord, le père, Philippe Tudec, Breton, fait preuve d'une sorte d'obsession maniaque de l'ordre. On aurait envie de mettre un O majuscule à ce mot, tant il est question de maniaquerie au plus au degré. Tout doit rester selon un ordre immuable dans la maison, les actions, les projets. Et malheur à qui déroge car Papa aurait bien une tendance à la violence au moins verbale. Plus inquiétante encore sa propension à imaginer immédiatement qu' « on » lui a volé ses affaires, la bonne, sa fille, n'importe qui. Il terrorise et fige sa femme, Elvire, la mère, pourtant dotée d'un caractère farfelu, léger, imprévisible est aussi tout à fait terroriste avec ses enfants quand il est question de leur réussite scolaire. Elle en a quatre, dont les réussites lui assurent un succès lors des dîners en ville. Elle est juge, vêtue de rouge, sa couleur fétiche (au point de devenir juge des tutelles juste pour l'habit écarlate!!). Bref, un peu déjantée et totalement envahissante. Une autre forme de terrorisme. Et enfin les enfants, Anne qui a réussi à s'échapper assez vite du cercle familial, a eu cinq enfants (dont un décédé), deux maris et une foule d'amants pour combler sa solitude affective ; Pierre, le philosophe talentueux, Nicolas, le comédien, fils bien-aimé de sa maman et enfin Marie la narratrice, enseignante en littérature. Tout ce petit monde a fait khâgne, Sciences Po ou Normale Sup. Les modèles s'appellent Sartre et Pompidou, on lit les livres les plus savants sur la critique littéraire ou la philo, cette pauvre Elvire qui se pique d'être une littéraire est totalement dépassée. Après les études, chacun essaie de vivre sa vie en dehors du cocon-carcan familial, de préférence aux États-Unis, mais tout le monde se réunit à Ploumor chaque été en Bretagne, la très confortable maison de famille héritée des grands-parents. Une vie apparemment rêvée au sein de la bonne bourgeoisie catholique. Il manque une figure à ce tableau de famille : la grand-mère. On l'a à peine esquissée quand en fin de livre la voilà qui occupe beaucoup de place. Simone, juive et athée, a tenu tête à la police française venue l'arrêter en 1943 . C'est un personnage, au caractère très fort, exigeante et passionnée. Malheureusement, le livre va se refermer pour elle dans des conditions de vie navrantes, de celles qui nous terrorisent tous et toutes. La dégradation du corps, la solitude, la tête qui se perd, tout ce qui nous fait peur. Et lire cela en période de confinement ! J'ai bien cru que j'allais abandonner ce livre, fatiguée par les problèmes de luxe de cette tribu ultra-privilégiée malgré ses soucis familiaux. J'ai quand même voulu en savoir un peu plus et aller jusqu'à la dernière ligne. Je ne le regrette pas. Au final, ce livre peut retenir l'intérêt, c'est un peu comme une expérience ethnologique, une plongée en terre inconnue ! L'écriture est parfois un peu dérangeante avec cette façon qu'a la narratrice(Marie) de passer dans le même paragraphe du « je » au « elle » alors qu'il est question d'elle à chaque fois. La dernière partie, consacrée à Simone, la grand-mère, est absolument bouleversante. + Lire la suite |