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Critique de Filox


Filox
01 décembre 2021
Je commence par ce qui m'est apparu comme l'essentiel ; à savoir la méthode d'analyse, Boris Cyrulnik la présentera à plusieurs reprises en leitmotiv, mais dans différents langages. Il s'agit de « raisonner en terme systémiques » ce qui donne dans l'expression la plus vulgarisée : « voir le monde comme un oignon où les causes d'un fait peuvent provenir d'une pelure proche autant que d'une pelure éloignée ». Autre traduction psycho-écologique, je cite :
- Au plus près du corps : température, lumière, climat, substances bénéfiques, maléfiques qui agissent sur le métabolisme
- A distance moyenne : la pression vient du corps de l'autre, de sa manière d'agir, d'établir des relations affectives médiatisées par des geste s et des mots
- Au plus loin des corps : le récit collectif, les organisations sociales, les sentiments, les croyances agissent sur notre cerveau, notre développement, notre histoire
En conséquence de quoi au fil de l'histoire, à chaque variation climatique, la culture a changé de forme
Et encore, sur l'exposé de la méthode cette belle expression mathématique : Selon deux axes ; en ordonnée l'hérédité verticale ; en abscisse l'héritage latéral fragmenté en 3 couches qui constituent l'enveloppe écologique ; proches, médians, lointains.
Boris Cyrulnik écrit comme il parle, ou parle comme il écrit, c'est agréable, truffé d'anecdotes, les digressions nombreuses sont intéressantes. C'est assez unique, la conjugaison d'une belle langue, mélodique, littéraire à la fois très classique et accueillant sans heurt le vocabulaire et les concepts scientifiques les plus actuels dans la discipline d'excellence de l'auteur neuropsychiatre. Je vous en livre un exemple :
"Mon corps est un carrefour de pressions écologiques, mon âme un carrefour de récits, l'esprit des êtres humains organise le milieu qui sculpte le corps et l'âme de ceux qui y vivent ".
Boris Cyrulnik passe constamment du niveau du sujet, à celui de la société, il scrute, commente voire imagine les évolutions de ce tandem au fil du temps et de l'histoire. C'est ainsi qu'il revient fréquemment sur la question des genres.
J'ai personnellement trouvé trop long le propos à partir d'une question sur la nécessité de la violence, ici lorsque l'espèce humaine est en guerre contre le climat, la réponse vient après bien des détours, plutôt conjuguée au masculin, et darwinienne : la violence est une adaptation.
L'inconvénient d'utiliser plusieurs registres, est ici aggravé par l'absence de structuration forte du propos, du coup ça donne l'impression de réchauffé, dommage ! l'ouvrage comporte beaucoup trop d'autocitations, au risque d'apparaître comme un simple résumé des étapes précédentes faiblement réactualisé et avec juste un léger changement d'angle au vu des sujets d'actualité.
Bon ! Si je me permets de ne pas verser dans une adoration iconique, je vous confesse bien volontiers que j'ai beaucoup apprécié la grande richesse des propos et notamment :
Sur le plan de la personne ;
- Ce qui se passe dans le cerveau, les observations cliniques rapportées de manière très intelligibles, plus -value décisive à des réflexions intelligentes.
- Comment apprendre à désespérer : autour de l'expérience sur des rats : sur l'aguerrissement : c'est l'espoir qui permet de continuer à se battre, il est d'autant plus réel, crédible lorsqu'on a l'expérience d'avoir été secouru antérieurement
- L'idéologisation de résultats de la biologie et ses ravages : sur l'hormone,
et au hasard la testostérone !
- Comment se constitue le capital du petit de l'homme : des facteurs de vulnérabilité, des facteurs de protection
- Quand les mots sculptent le cerveau ( l' exemple chez les dépressifs est très parlant, la comparaison chauffeur de taxi/chauffeur de bus presque édifiante)
- L'élagage synoptique de l'adolescence, révélé par la neuro-imagerie fait l'objet d'un développement très instructif.
Sur le plan sociétal :
- L'affirmation forte et surtout démontrée, documentée sur le fait que les êtres humains ne sont pas séparables de leur milieu comme nous l'a fait croire un individualisme simplificateur
- La répétition d'un même processus a provoqué les mêmes effets : le stockage des biens et la course aux profits ont régulièrement entraîné des épidémies mortelles et des bouleversements sociaux ( route de la soie, Covid 19)

- L'installation d' une nouvelle aristocratie c'est celle des diplômes et donc l'importance du porte-monnaie des parents.
Je partage totalement le diagnostic de Boris Cyrulnik, le fléau à combattre absolument est l'isolement. Il faut faire feu de tout bois ; avec l'espoir que développe l'auteur sur les bienfaits de L'effort mental pour comprendre et faire récit et qui entraîne le sujet à ressentir différemment
Je termine cette critique avec deux excellentes nouvelles :

- le dernier chapitre résume l'ensemble, en fait une belle synthèse

- L'envie de recommencer ou d'approfondir la lecture, plus savante, parce que je suis devenu un lecteur mieux aguerri, et, ami babéliote, nous avons le temps puisqu'avec avec humour Boris Cyrulnik nous convie à faire le bilan et l'évaluation de ses anticipations dans 50 ans !

En résumé, je salue le brio de Boris Cyrulnik, son sens des formules, la richesse incontestable de cette conférence écrite, qui reste pour moi néanmoins mal structurée, ce qui peut passer ici pour un détail mais qui aurait pu très mal servir un auteur-expert, moins.. aguerri !
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