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Critique de fanfan50


J'ai aimé la lecture de ce livre si riche et si touffu que j'aimerais en citer presque toutes les pages ! C'est un écrivain dont j'apprécie les convictions profondes et sa théorie de la résilience dont il nous a déjà maintes et maintes fois parlé dans tous ses écrits.
En Avril 2019, dans la Grande Librairie, François Busnel avait invité Boris Cyrulnik pour la sortie de son dernier livre La nuit, j'écrirai des soleils. A l'époque, j'avais aimé cette brillante confrontation et pris quelques notes que voici.
Dans ce livre il y est question de littérature et de résilience. Combattre la perte, le manque, la souffrance grâce aux mots. On y croise Romain Gary, Jean Genet, Jean-Paul Sartre, Balzac, Victor Hugo et bien d'autres.
François Busnel demande à Boris Cyrulnik : « Qui est Jean Laborde ?
- C'est le nom qui m'a protégé pendant la guerre. C'est le nom qui m'empêche de mourir mais ça n'est pas moi. A la Libération, j'ai été pressé de reprendre mon nom. »
Le silence communique beaucoup, même dans la musique. Quels souvenirs fixe-t-on à l'âge de six ans ? La mémoire traumatique est paradoxale. Il y a une trace presque toute la vie, un effet de sidération.
« Qu'est-ce qui se passe dans notre cerveau pour que la mémoire et les souvenirs soient si différents du réel. Dans la mémoire traumatique, elle n'évolue pas. La mémoire saine est évolutive. Elle dépend des récits collectifs. C'est la parole parlée et la parole écrite qui nous permettent d'évoluer. La psychothérapie et l'écriture. le mot écrit c'est la littérature, le roman, la fiction. La parole écrite agit sur la matière. »
« Quelles sont les conditions précises auxquelles l'écriture devient un facteur de résilience ? Parce qu'on redevient maître de son monde. le mot écrit est l'invention d'une réalité. le mot parlé, une intervention. »
Il a évoqué les écrivains résilients : les abandonnés tel Jean Genêt placé à l'âge de sept mois. Il faut distinguer l'orphelinage de l'isolement affectif. Genêt, enfant, se réfugie dans les livres, dans la rêverie. « Est-ce que la lecture nous ouvre un continent protecteur ? Oui, le monde actuel est en train de se séparer entre ceux qui lisent et ceux qui ne lisent pas. On possède chacun un monde mental différent. C'est une grande richesse, un large épanouissement. »*Est-ce qu'on voit la trace de la lecture dans le cerveau ? Oui. Les livres, c'est ce qui nous fait sortir de la prison, de l'ennui. C'est la nuit que nous pouvons le mieux rêver de liberté.
Le philosophe, Jean-Paul Sartre, perd son père à l'âge d'un an et demi. « N'ayant pas eu de père, j'avais toutes les libertés ». Il a écrit une trilogie : Les mots, La Nausée, les mains sales. Pour lui, le monde est sale, visqueux. Les chemins de la liberté, il les gagne.
A l'âge de 24 ans, Flaubert se sent délivré par la mort de son père.
Le manque invite à la créativité. La perte invite à la créativité immédiate.
Y a-t-il un rapport entre la perte, le manque et le génie ? Tolstoï, Gérard de Nerval, Rimbaud, Victor Hugo, Alexandre Dumas, Stendhal, Maupassant, ces grands écrivains ont tous lutté contre la perte, le manque en écrivant.
Un autre exemple : John le Carré, qui fut l'écrivain de la résilience, a été abandonné par sa mère à l'âge de 5 ans. A 80 ans, il écrivit son autobiographie dans le Tunnel aux pigeons. Il s'agit de la question du pardon. Qu'est-ce que cela évoque cette persistance du traumatisme, cette incapacité durable de pardonner ? La mémoire de travail s'efface à partir de 40 ans. Avec l'âge, cela révèle les empreintes de la mémoire traumatique : l'abandon de la mère.
Le philosophe et poète français qui annonça le siècle des Lumières, Fontenelle meurt à 100 ans et il a beaucoup écrit. Après « Ne prenez pas la vie au sérieux ; de toute façon, vous n'en sortirez pas vivant », sa dernière phrase fut « Maman, pourquoi m'as-tu abandonné ? »
Tout n'est pas aussi simple. On pourrait croire que toute littérature est résiliente mais non, bien au contraire ! Il y a eu après guerre une littérature de témoignage, de vengeance ce qui indique un syndrome post-traumatique. Pourquoi l'écrivain italien Primo Levi s'est-il suicidé ? Son ouvrage « Si c'est un homme », il ne l'a pas écrit pour remanier la représentation du passé.
La résistante, femme de Lettres et ethnologue française, Germaine Tillion (panthéonisée) a écrit ses souvenirs de guerre dans plusieurs livres dont Une opérette à Ravensbrück – le Verfügbar aux Enfers.
Les archives mentent aussi parfois. En France, on ne parle pas du bombardement de Dresde qui a plus tué qu'à Hiroshima. En Allemagne, on en parle.
François Villon, assassin, proxénète, coquillard (voleur dans une bande des plus féroces) a écrit en prison ses plus belles complaintes. Pour quelles raisons sommes-nous fascinés par les voyous littéraires ? Ils transgressent. On ne peut pas vivre dans l'eau tiède. Il nous faut des évènements pour nous rendre compte de qui nous sommes. Pour que résilience, il y ait, il faut métamorphoser le réel, accepter de faire ce long détour par une forme de fiction, que le langage soit énigmatique afin de laisser plus de place à l'interprétation. Les mots désignent non des choses mais des représentations de choses.
René Char – Pourquoi le chant de la blessure est-il de loin le plus prospère ?

On pourra toujours évoquer le pourquoi du comment des écrivains et ce sera toujours aussi passionnant. Un magnifique moment de lecture. Puisse-t-il continuer ainsi à refaire vivre tous ces disparus, ces moments tragiques et raconter encore et encore sur le phénomène de la résilience ! J'adore.
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