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Critique de michfred


Maison des autres est un petit récit tout en tension et pourtant presque dépourvu d'événements- le curé de Montelice le dit lui- même : « Ici, il n'arrive rien de rien. »

Les personnages sont des silhouettes qui hantent un paysage trop grand pour eux, un paysage de montagnes, de pluie, de ciel, où quelques maisons s'accrochent dans le brouillard violet, où les clarines des troupeaux brisent le silence, et où les chèvres semblent plus vivantes que les hommes.

Les hommes qui vieillissent et qui meurent.

Et pourtant, comment les oublier, ces fragiles silhouettes ? Comment oublier le couturier en carriole, un peu efféminé, le jeune curé de Braino, si plein de zèle, à ses débuts, la vieille Melide silencieuse et possessive, les dames patronnesses aux lèvres serrées sur leurs muets reproches, les paysans du « maggio », petite troupe théâtrale de la paroisse, pleins d'espoir et de détresse, les pleureuses aux revendications arrêtées, les ragazzi avec leurs confettis cruels- et surtout le gros « révérend » de Montelice , sorte de Falstaff aux pieds aussi fatigués que sa foi, le narrateur de ce récit, et face à lui, ployée sur son travail de lavandière, Zelinda, une pauvre vieille , misérable, obstinée, son ultime interlocutrice.

C'est que Zelinda veut lui poser une question, à ce curé de kermesse, comme il se définit lui-même.

Une question essentielle, une question fondamentale.

Mais l'usure du sacerdoce, celle de la vie rude, celle des répétitions sempiternelles , celle qui étouffe les individus derrière la règle, celle qui caparaçonne dans l'habitude les relations humaines, l'usure donc ne permet plus de répondre aux vraies questions.

Tout juste permet-elle d'en percevoir le scandale, la rébellion, le désordre. D'entrevoir l'immense désespoir de la condition humaine. Et de mesurer, face à lui, l'immense lâcheté des réponses institutionnelles.

Un petit livre pascalien, qui m'a fait penser à Un roi sans divertissement de Giono, pour la neige, la montagne et la souffrance sans réponse.

On le referme en frissonnant.
De froid, de chagrin, d'impuissance.
Et d'émotion esthétique : c'est merveilleusement écrit.

Pas un mot de trop, pas la moindre analyse, pas la moindre introspection : les aparté du curé à nous, lecteurs, se font toujours sur le mode ironique qui est la politesse du désespoir, on le sait. Ne l'appelait-on pas autrefois, du temps où il était jeune, maigre et confiant dans son sacerdoce, Docteur Ironicus ?

Rien que des faits, épurés. Mais plus on avance vers le face à face final, plus les divertissements rituels sont inopérants. Cortèges, pièces, veillées funèbres, pèlerinages, accident de convoi, premiers orages d'hiver, rien n'y fait plus. On touche presque le mystère de la condition humaine.

Rien que des mots, rares. Beaucoup d'ellipses et de silence.

Et dans ces vides, entre les faits, entre les mots, tout pèse, tout menace, tout se devine.

Magistral !
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