5
LA RENOMMÉE
Une nuée de journalistes, de reporters de tous les
pays, s'abattit sur la petite cité. Les commerçants firent
des affaires d'or et ne savaient plus, en vérité, où donner
de la tête et du tiroir-caisse.
La maison du maître faillit être envahie, voire prise
d'assaut par une foule venue de tous les azimuts, avide
de voir et de toucher le grand homme.
C'est alors que le service d`ordre, toujours composé du
brigadier Célestin Leharpon, du gendarme Prosper Ecto-
plasme et du garde champêtre Julien Lavoûtesombre,
auxquels s'étaient spontanément joints le sergent de
pompiers Valentin Chaudelalance et Ménélas Pompée,
dit le Merdeur — ces deux derniers avec leur pompe
respective — se montra à la hauteur de sa tâche et sut
prendre ses responsabilités. Car, avait dit Léopold, il
serait infiniment regrettable de voir notre Cénacle se
transformer en kermesse, ou en foire, même idéologi-
que, et perdre, en cette éventualité dangereuse, son
caractère de libre discussion dans le cadre forcément
limité de ses fervents adeptes. »
p.61
Comme prévu, c’est le vidame Symphorien de Mépouye qui fut élu, et il convient de le reconnaitre, à la satisfaction quasi-unanime de la circonscription.
Le vidame Symphorien de Mépouye est, en effet, un homme fort avenant et qui jouit, en dehors des moments où il fait ce qu’il faut pour y parvenir, de la considération et de l’estime générales.
Agé d’environ quarante-cinq ans, distingué d’allure et de taille bien élevée, il est apparenté, par voie de cousinage, au baron Hippolyte de la Motte-Engelée.
Natif de Serzuy-les-Valseuses, non loin de Villeneuve-la-Vieille, il prépara son droit et travailla son gauche, mais échoua, en définitive, dans le notariat auquel sa famille eût souhaité le destiner.
Après s’être essayé, avec plus ou moins de bonheur, en diverses branches, il se sentit attiré vers la politique et s’inscrivit au groupe agraire S.N.C.F. indépendant, dont il démissionna quelque temps plus tard, ne se trouvant pas suffisamment en communauté idéologique avec les autres membres et l’esprit qui les animait.
Il s’inscrivit alors au Parti sans laisser d’adresse, plus jeune, plus dynamique, plus orienté à gauche aussi, et dont les idéaux correspondaient davantage à ses aspirations et son désir de contribuer à l’amélioration du sort des classes laborieuses.
(p.246)
5
LA RENOMMÉE
LORSQUE, emporté par l'enthousiasme, le maire,
Séraphin Branlebas, s'était écrié, à l'issue de la première
assemblée préconstitutive des Pédicures de l'Ame :
« Grâce à Léopold, Villeneuve-la-Vieille va connaître
une nouvelle et glorieuse destinée ››, il ne se rendait
peut-être pas compte avec quelle rapidité allait se
réaliser son prophétique propos.
Car le débat au cours duquel il avait été traité de la
«Belle Epoque ›› et de la Pétomancie — et qui, en fait,
avait été le premier grand débat des Pédicures de l'Ame
— avait fait du bruit, beaucoup de bruit, énormément de
bruit.
Non seulement à Villeneuve-la-Vieille, mais partout
ailleurs.
Ça gagna d'abord l'ensemble du département, ça
envahit ensuite toute la France, ça commença de pas-
sionner Paris et enfin ça se répandit à l'étranger par delà
les monts, les océans et les mers, à l'exception d'une ou
deux de ces dernières, inutilisables et interdites à la
circulation, pour cause de travaux d'entretien et de
réfection.
p.60
5
LA RENOMMÉE
Aussi bien ça ne traîna pas. La presse, en son
ensemble, s'empara de l'exceptionnelle personnalité de
Jean-Marie-Léopold Sallecomble et des articles entiers
lui furent consacrés ainsi qu'à son œuvre, le Cénacle des
Pédicures de l'Ame.
Et c'est ainsi, comme il a déjà été dit plus haut, que le
préfet du département, venu à Villeneuve-la-Vieille pour
inaugurer une stèle commémorative à la mémoire du
père de Léopold, prononça, après avoir exalté la noble
figure de l'ancien survivant professionnel de Reichshof-
fen, la fameuse phrase suivante :
« Nous possédons maintenant, en la personne de Jean-
Marie-Léopold Sallecomble, un Platon français ! »
Un Platon français !
L'expression fit fortune.
Et Villeneuve-la-Vieille, par voie de conséquence, en
fit autant.
p.61
Le maire de Touffu-le-Morceau avait passé la nuit chez son ami, Séraphin Branlebas, et faillit défaillir d'émotion quand celui-ci le présenta à Léopold.
- Il a une bonne gueule, s'exclama le maître.
Le maire de Touffu-le-Morceau n'oublia jamais, par la suite, ces quelques mots qui contenaient tant de choses en leur simplicité, et il les rappela longtemps à ses administrés qui en conçurent gloire et fierté.
(P. 125)
En 1943-1944, la guerre se déroulait aussi sur les ondes. Un duel radiophonique a opposé le célèbre humoriste Pierre Dac, l'une des voix de la Résistance sur la BBC, à Philippe Henriot, secrétaire d'Etat à l'Information et à la Propagande du régime de Vichy et chroniqueur sur Radio Paris, pro allemand.