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EAN : 9782754105842
392 pages
Fernand Hazan (21/09/2011)
4/5   2 notes
Résumé :
Ce livre sur Picasso se veut différent de la littérature existante. Son propos n'est pas purement biographique : certes, tout n'a pas encore été écrit sur la vie du créateur le plus célèbre de son temps, mais elle est si connue que l'on peut se demander s'il est un artiste dont l'existence ait été aussi publique. Le propos, ici, s'énonce plutôt sous forme de questions. Que signifie être artiste au XXe siècle ? Que signifie être artiste au temps des journaux et des m... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
« Was ist dem Picasso ? » écrit Max Pechstein (l'un des fondateurs du groupe Die Brücke, à Dresde en 1905), le 25 avril 1912, à un moment où le cubisme est discuté partout et Picasso considéré comme l'inventeur de l'école moderne. Le Bordel d'Avignon, comme Picasso appelait « Les Demoiselles », peint en 1907, n'a pourtant pas encore été révélé au public (il ne le sera qu'en 1916).

Picasso est bien l'artiste et le personnage public dont la figure dépasse toutes les autres au XXe siècle. Il a inspiré et continue à susciter une production écrite parmi les plus abondantes ; multiplicité d'analyses, de commentaires et de critiques, sans parler des biographies, monographies ou autres catalogues dont cet essai de 2012, version poche d'une monographie de 2008 du même Dagen, fait incontestablement partie. Picasso est présenté ici un peu différemment par rapport à d'autres analyses, plus traditionnelles. C'est l'artiste, simultanément dessinateur, peintre, graveur, poète et sculpteur, et surtout l'extraordinaire expérimentateur que regarde Philippe Dagen, sans tenir compte d'un quelconque principe évolutionniste de l'oeuvre – idée que Picasso récusait vigoureusement –, généralement retenu la concernant (par périodes : bleue, rose, cubisme, classicisme etc.). Philippe Dagen laisse d'ailleurs souvent parler l'artiste afin que le lecteur puisse s'en convaincre :

« Les différentes manières que j'ai utilisées dans mon art ne doivent pas être considérées comme une évolution, ou comme des étapes sur le chemin qui mènerait à un idéal de peinture inconnu. Tout ce que j'ai jamais fait a été fait pour le présent et dans l'espoir que cela reste toujours pour le présent. Lorsque j'ai trouvé quelque chose à exprimer, je l'ai fait sans penser au passé ou à l'avenir. Je ne crois pas avoir utilisé des éléments radicalement différents dans les diverses manières que j'ai employées en peignant. Si les sujets que j'ai voulu exprimer proposaient plusieurs modes d'expression, je n'ai jamais hésité à les adopter. […] Les motifs différents exigent inévitablement des modes d'expression différents. Cela n'implique ni évolution ni progrès, mais une adaptation de l'idée qu'on veut exprimer et des moyens d'exprimer cette idée. » (Pablo Picasso, Propos sur l'art, cité p. 168 : « Inventer des codes nouveaux »).

L'oeuvre de Picasso, judicieusement cité, n'est guère du genre, en effet, à se laisser si opportunément circonscrire en séquences stylistiques successives, de mutation en mutation. Dagen s'intéresse donc, lui, plutôt aux continuités, réminiscences et dialectiques qui lui semblent inséparables du processus créateur picassien, et arpente un terrain nettement moins balisé lorsqu'il tente de décrypter les modes opératoires multiples et les cohérences internes propres au créateur ; suggérant des stratégies d'artiste ou des impondérables (comme la fameuse visite de 1907 au musée du Trocadéro), des va et vient et des chevauchements continus dans les manières chaque fois innovantes qui ne cessent de proliférer tout au cours de la vie de Picasso, avec pour impératif vital : l'adéquation des moyens aux sujets, le refus de la répétition, la mise à distance de l'orthodoxie, des modes et des goûts. C'est une démarche complexe mais bien plus opérante, à mes yeux, pour approcher le « phénomène » Picasso.

Car Picasso peut tout faire – pour qui n'en serait pas déjà convaincu la lecture de cet essai en serait une démonstration éclatante. Du dessin le plus fluide au trait le plus heurté, du beau style à la schématisation la plus extrême, il peut « tenir tous les styles dans sa main », « exprimer par le primitif », « construire jusqu'à l'émiettement», « faire surgir les monstres » (le sexe et la mort, mythologies et corridas) ou « dévisager l'inhumain » (scènes de souffrances, guerre d'Espagne ou de Corée, mais aussi guerre avec Olga). Picasso conjugue toujours l'art au présent, même s'il convoque ses collègues espagnols des temps passés, Gréco (« L'enterrement de Casagemas », 1901), et Velazquez (ensemble des Ménines dans les années 50/60). Il a découvert la modernité avec Gauguin, Manet, Degas, Toulouse-Lautrec,Van Gogh ou Cézanne, ignoré le fauvisme, s'est entiché d'Ingres, s'est mesuré à Matisse et Derain, a conversé avec des fétiches ou collaboré et exploré avec Braque, récupéré des vieux papiers et des débris, fait passer la sculpture dans la peinture. Il a donné à voir, en un mot, des formes graphiques, sculpturales et picturales absolument inédites jusqu'alors, des corps, des visages ou des nus comme on n'en avait jamais vu. Picasso est si doué, affirme Dagen, qu'il aurait pu faire une carrière extrêmement banale. Rien de plus vrai.

L'exposé est dense et foisonnant, le commentaire audacieux et riche, tant Dagen domine son sujet. Le fait biographique ou historique, sans être le pivot de l'analyse, n'est pas laissé de côté. Un certain nombre de malentendus sont dissipés au passage sur Picasso et le cubisme, Picasso et les communistes notamment. Ses rapports avec le surréalisme, avec Breton et surtout Bataille, sont passionnants (« Laisser surgir les monstres »). Le cheminement à travers les œuvres est quelquefois compliqué, non du fait de la pensée de l'auteur mais de l'iconographie qui n'appuie pas toujours le propos autant qu'on pourrait l'espérer. Le découpage chronologique en neuf parties équilibrées, ménage, fort heureusement, quelques respirations dans cette démarche touffue qui pâtit peut-être, à mon goût, de son format très compact. Figure exceptionnelle d'un artiste « Hors la loi » (André Breton), d'un œuvre en perpétuel renouvellement et totalement en phase avec son temps : Picasso, c'est le grand perturbateur du XXe siècle (rôle qu'il partage avec Duchamp), la liberté de tout oser, de tout déformer, bref, celle de créer.









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Citations et extraits (9) Voir plus Ajouter une citation
L'adoration du Greco par les modernistes catalans suscite les protestations des tenants de la tradition issue de Velázquez. En 1903, l'un d'eux proteste contre le culte voué à cet homme doué "d'un orgueil satanique pour se moquer avec une ironie solennelle et pathétique de tout ce que nous appelons nature, art, raison en tout lieu et en tout temps." Encore ne s'agit-il que de quelques événements dans une chronique qui pourrait être plus longue, tant le Greco fait l'objet de controverses autour de 1900. Que Picasso en ait eu connaissance est d'autant moins douteux qu'il connaît Rusiñol et Zuloaga, et qu'il a pu voir des Greco dans l'appartement parisien de ce dernier, dont son "Apocalypse". Quant à "L'enterrement du comte d'Orgaz", il l'a vu à Tolède, visite scolaire alors qu'il était élève à Madrid en 1897, et revu lors de son second séjour madrilène en 1901 : c'est dire à quel point la toile de 1566 est présente à sa mémoire quand il veut en déduire un hommage funèbre à l'ami Casagemas. (p. 33)
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Pas plus qu'au temps du Harem pour ce qui est d'Ingres, pas plus que du Greco, de Van Gogh ou de Cézanne, Picasso ne se met à l'école de la "tradition "française" tant célébrée après l'armistice. Comme auparavant, il s' approprie, il assimile, il métamorphose : le rapport demeure distancié, critique, parodique à l'occasion. Il ne retourne pas au musée, mais traverse la mode du musée, qui se réclame de lui à tort, et ne s' y arrête pas. Point de retour, point d'ordre.
"L'art d'un Picasso ne se borne pas à l'application d'un procédé ; par ses recherches aiguës et sévères, par sa préoccupation de tirer d'un objet tout ce qu'il peut donner d'émotion esthétique, il a profondément étendu le domaine de la peinture [...]"(Guillaume Apollinaire). (p. 197)
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[...] le voyage à Paris s'impose comme un devoir dans ce cercle artistique bien avant que Picasso ne prenne le train pour la France en compagnie de Casagemas. Le portrait de Picasso par Ramon Casas le montre devant un paysage urbain à peine esquissé, mais dans lequel se reconnaît l'architecture pseudo-byzantine du Sacré-Coeur. Schéma emblématique : "Aller à Paris et en venir est une habitude chez certains, une obsession chez d'autres, les plus jeunes", écrit Maria Teresa Ocaña. Elle poursuit : "Comme le dit Jaume Sabartés, "le fait d'aller à Paris était comme une maladie qui causait des ravages parmi nous." (p. 23)
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Ce qui prend forme dans les métropoles à partir du dernier tiers du XIXe siècle, c'est simplement le monde du capitalisme, le monde de la marchandise. Les écrivains français - Baudelaire, Flaubert, Zola, Huysmans, Maupassant - ont écrit cette histoire, que ce soit pour déplorer la fin du monde ancien ou pour commencer l'inventaire du nouveau : le temps de l'homme des foules, des passages, de la modernité économique - le temps de Karl Marx pour dire la chose brièvement et en pensant à Walter Benjamin. Leurs contemporains peintres, à l'exception de Manet et de Caillebotte, ont paru répugner à prendre pour sujet de telles réalités, leur préférant le plein air impressionniste ou, dans le cas unique de Gauguin, partant aux antipodes pour fuir "une époque terrible" après avoir subi l'expérience de la misère. Cette réalité qui n'est guère plus sensible dans les toiles des Nabis et des Fauves, fait intrusion chez Picasso de la façon la plus directe : en collant ces productions sur la toile et le papier. Le monde contemporain, celui des affiches Kub et Pernod, ne se voit nulle part mieux qu'au Bon Marché, un nom qui ne peut avoir été donné que par antiphrase ou par dérision (p.148).
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Puisqu'il faut une doctrine à cette supposée école cubiste, quelques uns prétendent l'expliquer par la géométrie de Riemann - quand ce n'est pas celle de Princet... -, alors que son expérimentation est empirique et exclut l'application d'une théorie. Autant d'erreurs et de contresens. Autant de manières d'aliéner sa liberté et de l'inclure dans un groupe, un programme, un système - et cela dans la bouche de gens qui n'ont de surcroît aucune connaissance des difficultés plastiques qu'il affronte, la perte de l'objet, la disparition de la représentation. La colère qu'il ressent [Picasso] s' entend encore dans ses propos des années 1920. En 1923, il dit à Marius de Zayas : "Pour en donner une interprétation plus facile, on a mis le cubisme en relation avec les mathématiques, la trigonométrie, la chimie, la psychanalyse, la musique et que sais-je encore. Tout cela est pure littérature, pour ne pas dire absurdité, et cela a donné de mauvais résultats, en aveuglant les gens avec des théories. "(p.126)
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Vidéo de Philippe Dagen
Conférence de Philippe DagenLa BnF propose un cycle de conférences pour s'initier aux principaux courants artistiques et comprendre les oeuvres d'art en regard de lectures critiques. La seconde édition est consacrée aux questions d'identités artistiques au XIXe siècle et au début du XXe siècle.Cette séance revient sur les mouvements artistiques et intellectuels européens qui font écho aux cultures africaines, amérindiennes, eurasiatiques et océaniques, autour de la notion de primitivisme.Par Philippe Dagen, critique d'art au journal le Monde, professeur d'histoire de l'art contemporain à l'université Paris 1 Panthéon-SorbonneConférence enregistrée le 25 janvier à la BnF I François-Mitterrand
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