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EAN : 9782848053288
336 pages
Sabine Wespieser (29/08/2019)
4.17/5   224 notes
Résumé :
À Sabratha, sur la côte libyenne, les surveillants font irruption dans l’entrepôt des femmes. Parmi celles qu’ils rudoient, Chochana, une Nigériane, et Semhar, une Érythréenne. Les deux se sont rencontrées là après des mois d’errance sur les routes du continent. Depuis qu’elles ont quitté leur terre natale, elles travaillent à réunir la somme qui pourra satisfaire l’avidité des passeurs. Ce soir, elles embarquent enfin pour la traversée.
Un peu plus tôt, à Tr... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (59) Voir plus Ajouter une critique
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Elles sont trois, trois femmes qui vont se retrouver à bord d'un chalutier, après des mois d'errance, unies dans le même espoir d'une nouvelle vie en Europe. Chochana, jeune nigériane, de forte corpulence qui souhaitait faire des études de droit pour devenir avocate et Semhar, petite Érythréenne sèche qui voulait devenir institutrice se retrouvent toute deux dans la cale. Dima, la bourgeoise, accompagnée de son mari et de ses deux fillettes fera le voyage, sur le pont. Dans la cale, en fait seront entassés tous les Subsahariens et sur le pont se retrouveront les Moyen-orientaux et les Maghrébins.
Louis-Philippe Dalembert va nous faire vivre avec ces trois personnages la furieuse traversée, vers cette île de Lampedusa, de manière plus que réaliste, sur ce rafiot de fortune.
Ce qui est tout à fait original et vraiment intéressant dans ce roman inspiré de la tragédie d'un bateau de clandestins sauvé par le pétrolier danois Torm Lotte pendant l'été 2014, c'est le portrait magnifique de ces trois femmes. L'auteur s'est attaché à nous les présenter et à nous faire saisir ce qui a pu les pousser à tout quitter pour un avenir plus qu'incertain. La plupart du temps, lorsqu'il est question de réfugiés dans les faits divers, c'est pour nous indiquer des chiffres et une masse de gens anonymes. Là, l'auteur a pris le parti de nous décrire la vie de chacune de ces femmes avant leur décision de faire le grand pas vers l'inconnu. Cette personnalisation a le très grand mérite de nous faire comprendre que ce n'est pas pour un voyage d'agrément qu'elles se préparent mais parce que c'est l'ultime solution qui leur permettra de rester vivantes.
Depuis leur départ de leur terre natale, l'Érythrée pour Semhar, le Nigéria pour Chochana et Alep pour Dima, nos trois protagonistes de confession chrétienne orthodoxe, juive et musulmane n'auront de cesse de s'adresser à leur Dieu respectif. Quel parcours, en effet notamment pour nos deux africaines avant de pouvoir embarquer ! Elles auront dû payer le prix fort avec les passeurs pour en arriver là.
On ne peut qu'être subjugué par le tempérament et l'énergie incroyables déployés par ces femmes qui, en plus, devront laisser en cours de route, pour un destin inconnu, des amies très chères et un frère.
La façon dont les passeurs maltraitent ces gens qui déjà, doivent laisser derrière eux leur famille, leurs amis, leur pays est abominable et indigne d'êtres humains. Profiter du malheur des autres pour asseoir son pouvoir et s'enrichir est scandaleux et ils sont pourtant nombreux à le faire et se font même concurrence ! de plus, même dans les pires moments de souffrance, s'ajoute le racisme des Arabes vis à vis des Africains.
Mur Méditerranée peint une fresque saisissante, bouleversante de la migration et de l'exil. Ce livre nous entraîne au coeur de cette tragédie que vivent chaque jour des centaines d'êtres humains et je suis sortie complètement épatée, ébranlée, retournée, à la fois par la force, le courage et la ténacité dépensés par ces personnes et l'horreur des conditions de leur périple.
Mais ce qui est sublime et qui est un petit rayon de soleil dans ce récit, récit d'ailleurs parfois non dénué d'humour, ce sont l'entraide et la solidarité manifestés par ces femmes.
À une période où le sujet de l'immigration est récurent, il me semble indispensable de lire Mur Méditerranée, roman captivant, qui ne peut laisser insensible !

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Mur Méditerranée est un grand roman absolument indispensable tant il rend compte du sort des réfugiés, en les faisant vivre, souffrir, espérer, déprimer, reprendre goût à la vie. Tous, ils fuient des conditions de vie impossibles, insupportables.

La guerre, la dictature, un service militaire qui n'en finit pas, la famine, des sècheresses aux conséquences dramatiques… les motifs pour partir ne manquent pas et Louis-Philippe Dalembert a le mérite de mettre tout cela en scène au travers de trois femmes d'origines géographiques et sociales différentes.
D'emblée, il m'a plongé en plein cauchemar, à Sebratha, en Lybie, à soixante-dix kilomètres de Tripoli. Ainsi, petit à petit, j'ai fait connaissance avec Semhar, jeune Érythréenne, Chochana qui vient du Nigéria et Dima, Syrienne accompagnée d'Hakim, son mari, et de leurs deux filles. Pour ces derniers, pas de doute, l'argent ne manque pas. S'ils fuient les bombes de Daech ou d'Assad, ils sont à l'hôtel en attendant le départ pour l'Europe.
L'intérêt de ce roman est immense car l'auteur fait partager la vie de chacune et connaître les motifs de leur départ, motifs qui apparaissent de plus en plus évidents. Régulièrement, les médias évoquent le sort tragique de réfugiés ou parlent du refus d'accueil de quelques pays mais ils n'abordent jamais en profondeur les causes de la migration. Louis-Philippe Dalembert le fait avec talent, ménageant suspense et intérêt jusqu'au bout.
D'autres auteurs ont parlé de ce sujet. Je pense à Laurent Gaudé dans Eldorado, ou à Delphine Coulin (Une fille dans la jungle) ou encore à Baudoin et Troubet dans leur BD, Humains, la Roya est un fleuve mais il y en a bien d'autres… Pourtant, jamais je n'avais lu autant de détails sur le cauchemar que vivent ces enfants, ces femmes et ces hommes qui voudraient simplement vivre dignement.
Pour écrire cela, l'auteur est allé vivre un mois sur l'île de Lampedusa et a recueilli de nombreux témoignages de réfugiés comme d'habitants de l'île ou encore de bénévoles travaillant pour les ONG. Son grand mérite est de ne stigmatiser personne mais sans épargner non plus ceux qui exploitent sans vergogne la détresse de leurs semblables. Il montre à l'oeuvre les passeurs, tous ces réseaux qui se sont constitués pour prospérer sur la misère, gagner un maximum d'argent tout en infligeant les pires souffrances et d'atroces outrages à celles et à ceux qui sont contraints de passer par eux.
Au passage, la France n'est pas épargnée. « le pays des Droits de l'homme » où l'on se gargarise de mots mais où l'on fait trop peu. L'Angleterre, l'Allemagne, les pays du nord de l'Europe semblent plus accueillants mais les mouvements d'extrême-droite sont très actifs pour refouler ces gens qui rêvent de s'intégrer pour vivre dignement. L'Italie est au premier rang avec la Grèce et Malte mais quand un bateau va couler en Méditerranée, il faut agir sans attendre. Combien de femmes et d'hommes n'ont pas pu être sauvés ?

Il faut lire ce Mur Méditerranée afin que ceux qui rêvent d'imiter les Nazis lorsqu'ils fortifiaient notre littoral méditerranéen, ne puissent pas réaliser leur projet.


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Inutile de se lancer dans un long résumé du livre...D'abord , prenez- le en mains et observez la couverture . Sur fond bleu , le titre " Mur Méditerranée".Erreur d'impression ? Bon , à voir...Maintenant , lisez attentivement la quatrième...deux fois si besoin ....Vous voyez bien que je n'aurais fait que me montrer redondant , pompeux et ....prétentieux , vous savez tout .
Et maintenant ? Vous le prenez ? Vous le reposez ? Ça a l'air bien , mais dur , non ? Et puis , savoir que la Méditerranée est un gigantesque cimetière, quand on revient juste d'y passer de belles ( et on ne peut plus légitimes ) vacances ,.....Et puis , les migrants , on en entend parler tous les jours à la télé , dans la presse , alors...Pour tout vous dire , si une circonstance ne m'avait pas obligé à le lire , ce livre , je ne l'aurais pas choisi , voilà , c'est dit , non pas que je sois indifférent , non , mais parce que ...quoi , au fait ? Oh , parce que je ne suis qu'un "citoyen lamda"et que tout ça me semble bien loin .....
Allez , on ouvre la première page et ...on plonge , c'est le cas de le dire, dans un univers ....incroyable .Et l'on se dit immédiatement que certains auteurs , vraiment , on se demande où " ils vont chercher ça " , qu'heureusement , c'est de la fiction , que non , l'Humanité , ce n'est pas ça, que forcément , il y aura une " happy end " aux atrocités que vont connaître " les candidats au voyage " dès lors qu'ils confient leur (s ) destin( s ) à des passeurs que je vous laisse le soin de découvrir. Sans commentaires . La lecture avance , avance , on attend l'apparition de cet éclat lumineux qui viendra mettre un terme à cette odyssée infernale .Mais non , pas la moindre lueur .C'est terrible et , malgré tout , on a envie , envie de poursuivre pour savoir , sinon à quoi bon , et puis , les principaux personnages, ceux dont on parle sur la quatrième, on les connait maintenant trop pour les abandonner aux mains d'assassins , aux flots déchaînés d'une mer démontée .
Et puis , la fin , l'arrivée en Europe sous le regards des baigneurs , sous les flashes des portables ......On n'envoie plus de cartes postales mais ça , transmis aux copains , quel souvenir de vacances .La " cerise sur le gâteau ". " Tu te rends compte , j'y étais "
Ça y est , la dernière page....Pas terrible la fin , l'espoir est mince...et tant de morts...
Ah , il y a quelques précisions à la fin du roman .Une bibliographie .Mais alors , ce n'était pas une fiction . C'était vrai ? Je comprends mieux la distance prise par l'auteur .C'est extraordinaire , il reste à l'écart , ne prend pas parti et , pourtant , il nous en relate des faits , il nous en donne à voir . Mais alors , c'est à moi de prendre parti ...Oui , mais les migrants , moi, c'est pas trop " mon truc " , je ne sais que penser...La Méditerranée ? Elle n'est pas loin ? Oui , c'est vrai.....
Comme je vous l'ai dit , ce livre , je ne l'aurais pas forcément lu ( je peux même affirmer que je NE l'aurais PAS lu ).....Et pourtant , c'est un texte fort , fort et brillant , comme son auteur .Et " non , rien de rien , non , je ne regrette rien ".
J'ai compris : le titre , c'est bien " Mur Méditerranée "......



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Un texte exceptionnel pour plusieurs raisons.
.
D'abord la plume. L'auteur privilégie un vocabulaire riche, précis sans être pédant. Et quelle plume ! Tout y est méticuleusement décrit et donné à ressentir. J'ai tellement aimé le style de l'auteur que, passant à la bibliothèque hier soir, j'ai pris un autre de ses livres. Juste pour le plaisir de son style sans même savoir quelle histoire raconte ce texte.
.
Autre point : le récit. Et là pour celles et ceux qui ne savent pas ce que raconte le livre, autant l'avouer tout de suite, vous êtes embarqués dans une histoire violente, très violente, mais réaliste.
3 femmes.
Une jeune nigériane juive qui décide de quitter sa terre autrefois fertile désormais aride, pour un voyage vers le Nord.
Une jeune érythréenne chrétienne qui fuit un service militaire sans fin (elle a déjà fait deux ans) dans son pays devenu un camp à ciel ouvert.
Une mère de famille syrienne qui fuit la guerre dans son pays avec son mari et ses deux petites filles.
3 parcours où se multiplient racket, violence, viols, tortures.... Tout ça pour arriver face à la Méditerranée à franchir....
3 histoires qui se rejoignent sur les berges lybiennes, 3 femmes qui vont se retrouver sur le même bateau. Un chalutier vétuste, terriblement vétuste. Une mer violente elle aussi.
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A lire pour savoir, pour refuser d'ignorer, pour affronter la réalité des chiffres, pour se rappeler que la Méditerranée n'est pas qu'un lieu de villégiature, c'est un lieu de mort aussi.
.
Sans lien avec le livre mais ça m'y a fait penser....
J'habite dans le Pas-de-Calais, je vais régulièrement à Calais pour mon travail. Je suis toujours effarée de l'argent dépensé pour empêcher les migrants de passer en Angleterre..... La double rangée de barbelés au port et à Eurotunnel, le grillage intelligent (capable d'alerter quand un homme essaie de l'escalader et de dire où exactement ça se passe), les 3 tunnels de vérification des camions (le 1er peut détecter la chaleur d'un corps - d'où les couvertures de survie, le 2e peut détecter le CO2 - d'où les sacs plastiques très dangereux sur le visage, le 3e est infranchissable : le scanner peut détecter un coeur qui bat dans un camion complet).
Nous vivons dans un triste monde.....
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L'Odyssée des «migrants»

Dans un roman bouleversant et richement documenté Louis-Philippe Dalembert nous fait découvrir le parcours de trois femmes venues du Nigéria, d'Érythrée et de Syrie et qui se retrouvent à bord d'un bateau voguant vers l'Europe.

La chose devient malheureusement courante: les êtres humains se transforment en statistique, les vies se marchandent en quotas et les destins individuels se retrouvent agglomérés sous le terme générique de «migrant». C'est pourquoi il convient de remercier d'emblée Louis-Philippe Dalembert pour ce roman qui leur dignité à ces personnes et en particulier aux trois femmes qui se retrouvent à bord d'un bateau qui vogue vers Lampedusa.
Chochana vient du Nigéria, Sembar d'Érythrée et Dima de Syrie. La construction du roman va nous permettre de découvrir successivement leurs parcours respectifs et nous faire comprendre combien le choix de l'exil ne se fait pas par gaieté de coeur, combien les risques sont extrêmes. Chochana vit tous les jours dans la crainte d'être la proie des partisans de Boko Haram, d'être prisonnière dans son propre pays, de n'avoir plus d'autre choix que la soumission et qui voit dans la fuite le seul espoir d'une vie meilleure.
Semhar, qui rêve de devenir institutrice, est quant à elle soumise à un pouvoir dictatorial qui l'enrôle dans son armée pour une durée qui n'est pas précisée – les habitants parlent de «prison à ciel ouvert» – et qui élabore avec son fiancé un plan pour fuir ce pays qui a l'indice de développement humain (IDH) le plus bas au monde et où elle n'a pas d'avenir.
Pour Dima, l'idée même de l'exil était impensable quelques mois plus tôt, faisant partie de la bourgeoisie syrienne et vivant très agréablement avec son mari ingénieur et ses deux filles à Alep. Au début de la guerre, elle a fait le dos rond et a pensé que la paix reviendrait vite, mais il lui a vite fallu déchanter en constatant que le déluge de bombes prenait de l'ampleur et qu'il était plus raisonnable de suivre les convois de réfugiés profitant d'un cessez-le-feu provisoire pour se mettre à l'abri, pour échapper aux Islamistes autant qu'à l'armée de Bachar el-Assad.
Si ce roman, qui s'appuie sur des témoignages et en particulier sur le récit du sauvetage effectuée en juillet 2014 par l'équipage du tanker danois Torm Lotte, est si fort, si prenant, c'est qu'il nous place littéralement aux côtés de ces centaines d'hommes, de femmes et d'enfants qui ont quasiment déjà tout perdu avant de monter à bord, victimes de passeurs sans scrupules et dont la survie devient au fil du temps de plus en plus incertaine.
Comment aurions-nous réagi en constatant que dans la cale l'air devenait de plus en plis irrespirable et que la place sur le pont était déjà réduite au minimum vital, en découvrant qu'une voie d'eau rendait les conditions de navigation de plus en plus aléatoire, que les passeurs devenaient de plus en plus nerveux et n'hésitaient pas à tabasser toutes les voix protestataires et à jeter par-dessus bord tous ceux qui étaient trop affaiblis pour survivre?
Bouleversant par son réalisme et par l'intensité extrême des situations, ce roman touche aussi par son humanité. On y découvre des femmes qui ne se connaissaient pas avant de se retrouver sur ce bateau, se solidariser, se battre pour sauver un enfant, s'unir pour survivre. Au moment où le jour se lève, où cette Odyssée tragique s'achève, on se prend à rêver que l'Europe sera à la hauteur, même en sachant qu'il ne sera rien.
Avec Louis-Philippe Dalembert, on ne pourra toutefois plus dire qu'on ne savait pas, que le message de Chochana, Semhar, Dima et les autres doit être entendu et relayé.


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critiques presse (3)
Actualitte
13 août 2020
Un livre essentiel : il rappelle que tous ces hommes, femmes et enfants, que l’on voit dans les rues et sous leurs tentes au bord du périphérique, ont un visage, une histoire, une soif de liberté, des rêves.
Lire la critique sur le site : Actualitte
LaCroix
14 novembre 2019
L’écrivain haïtien décrit avec réalisme les trajectoires de femmes candidates à une vie meilleure en Europe.
Lire la critique sur le site : LaCroix
LePoint
20 août 2019
Dans son livre magistral, Louis-Philippe Dalembert raconte de manière poignante le drame des migrants qui se noient en Méditerranée.
Lire la critique sur le site : LePoint
Citations et extraits (53) Voir plus Ajouter une citation
Parfois, les vagues se retiraient, en signe de trêve, de courte durée, hélas. Pas même le temps de les oublier, ni le temps de ressentir un quelconque soulagement. En fait, elles partaient recharger leurs batteries au loin avant de revenir, avec plus de hargne, cogner encore et encore contre la coque. Elles cognaient telles des possédées. Cognaient sans reprendre souffle. Et ça faisait un boucan qui déchirait les tympans, saisissait les corps d'anxiété, catapultait les cœurs à la gorge. Les estomacs déversaient leur bile. les intestins se lâchaient. Les cris de frayeur se multipliaient. La fin se rapprochait. Elle arriverait dans la prochaine vague. À la prochaine houle.
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Qu'est-ce que ça fait d'être banni de sa terre natale ? D'être réduit en esclavage ? À des centaines et des centaines de kilomètres des siens, de sa langue maternelle, des paysages et des odeurs de son enfance. Qu'est-ce qu'on ressent ? L'exil rend-il la patrie perdue plus chère à son cœur ? Plus vivaces les "souvenirs", le "temps passé" ? La servitude invite-t-elle à maudire à jamais son oppresseur et ses descendants ? Engendre-t-elle la haine de soi ?
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De l'intérieur de la cale, on entendait les rugissements conjugués des vents et de la Méditerranée. Le chalutier exécutait sa chorégraphie de bateau ivre et fou, faite de plaquages impressionnants à bâbord et à tribord, de précipités abyssaux et de montées golgothéennes, selon le mot de Semhar. Les cris de frayeur des passagers reprirent également. La voix stridente des femmes et déchirante des enfants venait s'emmêler à celle, rauque, des hommes. Elles disaient toutes le même effroi, la peur de finir en chair à requins et autres animaux marins.
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Des suppôts d'un groupuscule nommé Generazione identitaria, rejoints par des alliés d'extrême droite venus de Pologne, Hongrie, Autriche, pays-Bas, France parlaient d'affréter un navire pour bloquer le sauvetage des migrants en Méditerranée par Médecins sans frontières et les organisations dans son genre. leur rêve, à moyen terme, était d'ériger un mur en Méditerranée pour barrer la route aux envahisseurs musulmans du Sud, comme cela se faisait déjà dans d'autres régions du monde qui avaient plus à cœur l'avenir de leurs citoyens. Selon leur porte-parole, cela n'avait rien d'utopique. Il suffisait de le vouloir. En plus, une telle prouesse technologique démontrerait la supériorité de la civilisation européenne sur les autres.
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INCIPIT
LARGUEZ LES AMARRES!
La nuit finissait de tomber sur Sabratha lorsque l’un des geôliers pénétra dans l’entrepôt. Le soleil s’était retiré d’un coup, cédant la place à un ciel d’encre d’où émergeaient un croissant de lune pâlotte et les premières étoiles du désert limitrophe. L’homme tenait à la main une lampe torche allumée qu’il braqua sur la masse des corps enchevêtrés dans une poignante pagaille, à même le sol en béton brut ou, pour les plus chanceux, sur des nattes éparpillées çà et là. En dépit de la chaleur caniculaire à l’intérieur du bâtiment, les filles s’étaient repliées les unes contre les autres au seul bruit de la clé dans la serrure.
Comme si elles avaient voulu se protéger d’un danger qui ne pouvait venir que du dehors. Une odeur nauséeuse d’eau de Cologne se précipita pour se mêler aux relents de renfermé. Le maton balaya les visages déformés par les brimades et les privations quotidiennes, avant de figer la lumière sur l’un d’eux, le crispant de terreur. Le hangar résonna d’un « You. Out ! », accompagné d’un geste impérieux de l’index. La fille désignée s’empressa de ramasser sa prostration et le balluchon avec ses maigres affaires dedans, comme ça lui avait été demandé, de peur d’être relevée à coups de rangers dans les côtes.
En temps normal, le geôlier, le même ou un autre, en choisissait trois ou quatre qu’il ramènerait une poignée d’heures plus tard, quelquefois au bout de la journée, les propulsant tels des sacs de merde au milieu des autres recroquevillées par terre. La plupart trouvaient refuge dans un coin de la pièce, murées dans leur douleur ou blotties dans les bras de qui avait encore un peu de compassion à partager. D’aucunes laissaient échapper des sanglots étouffés, qui ne duraient guère, par pudeur ou par dignité. Toutes savaient l’enfer que les « revenantes » avaient vécu entre le moment où elles avaient été arrachées de l’entrepôt et celui où elles rejoignaient le groupe. Même les dernières arrivées étaient au courant, les anciennes les avaient mises au parfum.
Au besoin, l’état de leurs camarades d’infortune, se tenant le bas-ventre d’une main, les fesses de l’autre, le visage tuméfié parfois, suffisait à leur donner une idée de ce qui les attendait au prochain tour de clé.
Ce soir-là, le surveillant en désigna beaucoup plus que d’habitude, les houspillant et les bousculant pour accélérer la sortie de la pièce. « Move ! Move ! Prenez vos affaires. Allez, bougez-vous le cul. » Dieu seul sait selon quel critère il les choisissait, tant l’évacuation se passait dans la hâte. Le hasard voulut que Semhar et Chochana en fassent partie.
Ces deux-là ne se quittaient plus, sinon pour aller aux toilettes ou lorsque le geôlier avait décidé, un jour, d’en lever une et pas l’autre. N’était la différence de physionomie et d’origine – Semhar était une petite Érythréenne sèche ;
Chochana, une Nigériane de forte corpulence –, on aurait dit un bébé koala et sa mère. Elles dormaient collées l’une à l’autre. Partageaient le peu qu’on leur servait à manger. Échangeaient des mots de réconfort et d’espoir, dans un anglais assez fluide pour Semhar, bien que ce ne soit pas sa langue maternelle. Priaient, chacune, dans une langue mystérieuse pour l’autre. Et fredonnaient des chansons connues d’elles seules. « Quoi qu’il se passe, pensa Semhar, au moins on sera ensemble. »
Au total, une soixantaine de filles se retrouvèrent à l’extérieur, agglutinées dans le noir, attendant les ordres du cerbère. Elles savaient d’instinct ou par ouï-dire que ça n’aurait servi à rien de tenter de fuir. Lors même qu’elles auraient réussi à échapper à la vigilance de leurs bourreaux, où auraient-elles pu aller ? Le hangar où elles étaient retenues se trouvait à des kilomètres de l’agglomération urbaine la plus proche. À un quart d’heure de marche d’une piste en terre battue, où ne semblaient s’aventurer que les 4 X 4 des matons et les pick-up qui avaient servi à les transporter dans cette bâtisse aux murs décrépits, oubliée du ciel et des hommes. Les seuls bruits de moteur qu’elles aient entendus jusque-là. Aucune chance de tomber sur une âme charitable qui se serait hasardée à leur porter secours.
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Vidéo de Louis-Philippe Dalembert
À l'occasion de la 45ème édition du festival "Le livre sur la place" à Nancy, Louis-Philippe Dalembert vous présente son ouvrage "Une histoire romaine" aux éditions Sabine Wespieser. Rentrée littéraire automne 2023.
Retrouvez le livre : https://www.mollat.com/livres/2886319/louis-philippe-dalembert-une-histoire-romaine
Note de musique : © mollat Sous-titres générés automatiquement en français par YouTube.
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