Un petit livre de philosophie morale plus profond que son titre pourrait le laisser penser.
Comment vivre dans un monde désenchanté ou l'argent a pris le pouvoir ? En n'ayant pas peur de "vivre de traviole", répond Yann Dall'aglio. Une réjouissante déclaration d'amour à la vie dans ce qu'elle a de plus simple et de plus imprévisible ..
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J'ai beau avoir passé huit heures par semaine en cours de philosophie en classe de terminale, j'avoue ne pas en avoir retenu grand chose si ce n'est qu'il ne faut pas s'arrêter au apparences et aux idées reçues.
A partir de la célèbre phrase de Séguéla, publicitaire, qui a soulevé de vives réactions, Yann Dall'Aglio pose des questions sur la réussite et l'analyse par le prisme de la philosophie.
L'analyse passe par les conceptions exposées par certains philosophes et les conceptions de la réussite au fil des époques.
Personnellement, j'avoue que je suis passée à côté de certains concepts qui m'ont paru complexes. Et il faudrait aller à la découverte de certains auteurs évoqués. J'ai été plus réceptive à certaines réflexions plus" abordables".
Avoir une connaissance approfondie de la philosophie est nécessaire pour comprendre certains aspects de cet ouvrage qui a le mérite, par des exemples concrets et parfois plein d'humour, d'inviter le lecteur à s'interroger sur la réussite et sur son époque. Et de là, de se forger une opinion personnelle exempte des poncifs et des diktats en vogue.
Ce livre m'a été transmis suite à mon inscription à l'opération Masse Critique.
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Comprendre ce qui se dit à travers une boutade finalement très sérieuse, et décrypter à partir de celle-ci comment fonctionne notre rapport à l'argent. Drôle et décapante, cette méditation sur la réussite et ses parures inaugure une nouvelle collection de philosophie qui compte déjà trois autres titres.
Lire la critique sur le site : Lexpress
Un petit livre impertinent de Yann Dall’aglio sur le sens de la réussite.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
Contre le théorème de Séguéla, le philosophe Yann Dall'Aglio défend le droit de développer «une vie de traviole».
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Conclusion
Dans une nouvelle de Maupassant intitulée La Parure (1884), un petit fonctionnaire tend une invitation à Mathilde, son épouse : ils sont conviés à passer une soirée au ministère ! Paniquée à l'idée de se présenter sans apparat à une réunion aussi prestigieuse, la jeune femme emprunte un collier de diamants à Mme Forestier, une amie beaucoup plus riche qu'elle. Le raout se passe merveilleusement, mais, de retour chez elle, Mathilde constate avec horreur que la parure n'est plus autour de son cou. Le couple, qui ne manque pas de la common decency que George Orwell prêtait aux gens ordinaires, s'endette alors pour 18 000 francs de l'époque, c'est-à-dire à vie, afin d'acheter un collier en tout point semblable au premier, et le « rendre » à sa « propriétaire ». Or il se trouve que, après bien des années de labeur et de misère, Mathilde rencontre par hasard son ancienne amie et lui raconte enfin la vérité. Mme Forestier en est fort émue, puis lui prend les mains en disant : « Oh ! ma pauvre Mathilde ! Mais la mienne était fausse. Elle valait au plus cinq cents francs !... » La nouvelle finit ainsi, nihiliste comme le fut Maupassant. On peut la réduire à une blague cruelle, ou l'interpréter comme une allégorie existentielle : la parure fausse, ce n'est rien d'autre que la vie qu'on croit réussie chez les autres et qu'on veut réussir à son tour. Pour la justifier, lui donner du sens. Or la vie offre une infinie variété de choses ; mais sûrement pas du sens. Rien ne peut racheter sa gratuité, ni une Rolex, ni même un chapelet de diamants. Aucune sagesse, fût-elle taillée sur le patron d'une pseudo-loi naturelle ; aucune religion, même la plus lentement suicidaire ; aucune prouesse technique, fût-elle la plus sécuritaire ; aucun retour prétendument éternel sur investissement n'annuleront le temps qui nous fait, et nous défait, dans une expropriation réciproque de l'être et du néant.
Sans pouvoir rater ni réussir notre vie, nous allons donc toujours de réussites ratées en ratés réussis, en bifurquant jusqu'à perdre de vue la logique du parcours. Nous rêvons alors de lignes fléchées et droites ; d'autoroutes allemandes ; d'aquariums où, sans se toucher, deux poissons rouges se croisent dans une eau dormante et aseptisée.
Prendre la vie de traviole, c'est, au contraire, jouir de la brisure de ses propres projets ; la provoquer, par l'humour et l'idiotie, afin de s'insubordonner à toutes ces planifications, lesquelles vont finir par nous faire crever de survie. À la spéculation, qui fonde et prévoit, la vie de traviole substitue la trouvaille, qui reçoit, renvoie, sans donner de raison ni mimer l'éternité.
Il ne s'agit pas d'être justifié, mais d'être chatouillé. Car vivre, c'est apprendre à mourir pour rien.
p. 111-113
"Conclusion
Dans une nouvelle de Maupassant intitulée La Parure (1884), un petit fonctionnaire tend une invitation à Mathilde, son épouse : ils sont conviés à passer une soirée au ministère ! Paniquée à l'idée de se présenter sans apparat à une réunion aussi prestigieuse, la jeune femme emprunte un collier de diamants à Mme Forestier, une amie beaucoup plus riche qu'elle. Le raout se passe merveilleusement, mais, de retour chez elle, Mathilde constate avec horreur que la parure n'est plus autour de son cou. Le couple, qui ne manque pas de la common decency que George Orwell prêtait aux gens ordinaires, s'endette alors pour 18 000 francs de l'époque, c'est-à-dire à vie, afin d'acheter un collier en tout point semblable au premier, et le « rendre » à sa « propriétaire ». Or il se trouve que, après bien des années de labeur et de misère, Mathilde rencontre par hasard son ancienne amie et lui raconte enfin la vérité. Mme Forestier en est fort émue, puis lui prend les mains en disant : « Oh ! ma pauvre Mathilde ! Mais la mienne était fausse. Elle valait au plus cinq cents francs !... » La nouvelle finit ainsi, nihiliste comme le fut Maupassant. On peut la réduire à une blague cruelle, ou l'interpréter comme une allégorie existentielle : la parure fausse, ce n'est rien d'autre que la vie qu'on croit réussie chez les autres et qu'on veut réussir à son tour. Pour la justifier, lui donner du sens. Or la vie offre une infinie variété de choses , mais sûrement pas du sens. Rien ne peut racheter sa gratuité, ni une Rolex, ni même un chapelet de diamants. Aucune sagesse, fût-elle taillée sur le patron d'une pseudo-loi naturelle , aucune religion, même la plus lentement suicidaire , aucune prouesse technique, fût-elle la plus sécuritaire , aucun retour prétendument éternel sur investissement n'annuleront le temps qui nous fait, et nous défait, dans une expropriation réciproque de l'être et du néant.Sans pouvoir rater ni réussir notre vie, nous allons donc toujours de réussites ratées en ratés réussis, en bifurquant jusqu'à perdre de vue la logique du parcours. Nous rêvons alors de lignes fléchées et droites , d'autoroutes allemandes , d'aquariums où, sans se toucher, deux poissons rouges se croisent dans une eau dormante et aseptisée.Prendre la vie de traviole, c'est, au contraire, jouir de la brisure de ses propres projets , la provoquer, par l'humour et l'idiotie, afin de s'insubordonner à toutes ces planifications, lesquelles vont finir par nous faire crever de survie. À la spéculation, qui fonde et prévoit, la vie de traviole substitue la trouvaille, qui reçoit, renvoie, sans donner de raison ni mimer l'éternité.Il ne s'agit pas d'être justifié, mais d'être chatouillé. Car vivre, c'est apprendre à mourir pour rien.
p. 111-113"
Etre digne, c'est-à-dire vivre conformément à son identité, devrait, selon l'antique sagesse, suffire à rendre l'homme heureux. Or, cela ne semble pas toujours évident. Car le temps qui passe, irréversible; les mauvais coups du sort, qui frappent aveuglément; enfin, la prospérité des méchants trouble l'ordre naturel.
Une hirondelle ne fait pas le printemps, ni un rat mort la peste. Parler de vie réussie ou ratée suppose donc qu'on hiérarchise les buts que les hommes poursuivent, afin de définir la réussite par l'accomplissement du plus ou des plus désirables d'entre eux.
C'est la fable du roi Midas, "dont la prière, dit Aristote dans sa Politique, cupide au-delà de toute mesure, avait pour effet de changer en or tout ce qu'on lui présentait". Il mourut ainsi de faim, comme un signe privé de ce qu'il désigne. L'argent pour l'argent est une chouquette invisible. (page 30)