Si Avant et après ne se lit pas comme un roman ou une banale autobiographie, en revanche,
Je, Gauguin, de
Jean-Marie Dallet se lit comme une fiction et permet de saisir le contexte social avec le recul historique. Pour bien comprendre l'artiste, sans doute faut-il commencer par lire le roman qui dévoile, entre autres, la face cachée du peintre. Vous apprendrez que sa grand-mère n'était autre que
Flora Tristan (il en parle dans Avant et Après), que son père a dû fuir au Pérou les persécutions de
Napoléon III, le Pérou où Paul vécut toute sa petite enfance jusqu'à l'âge de sept ans, avant de rejoindre Paris, une ville qui ne lui conviendra jamais mais qu'il ne cessera de fuir pour y revenir maintes fois. Mariée à Mette, une Danoise, il pense trouver une vie plus facile et le succès à Copenhague. Une désillusion parmi tant d'autres, toutes celles qui ont jalonné la vie du peintre, dont les voyages - le Panama, Tahiti, les Iles Marquises pour ultime demeure, mais aussi bien avant, Rouen, Pont Aven, Arles - sont inscrits dans son oeuvre.
vant-gardiste au même titre que Huysmans, qui l'admire, et Pissarro dont il se sent proche, il sera un perpétuel fauché après avoir quitté son emploi de courtier à la Bourse pour se consacrer entièrement à sa peinture, question de vie ou de mort : "J'en ai marre tout simplement. J'en ai assez de la vie boursière, du quotidien besogneux, je me veut peintre à part entière, et j'en étouffe." Il veut aller plus loin que les impressionnistes, ses frères ennemis : "(...) libérer l'oeil de ses contraintes séculaires, bravo ! mais libérer l'oeil et l'esprit ne serait-il pas encore mieux ?"
"Je me remonte le moral avec mes nouveaux compagnons de route, ni académiciens, ni impressionnistes ! Puvis de Chavannes avec ses fresques immobiles,
Odile Redon avec ses rêves de mondes imaginaires,
Gustave Moreau avec son travail de ciseleur, tous trois me font naviguer au-delà des apparences, dans les eaux profondes de l'inconscient, tout comme m'emportent loin du réel les Japonais que l'Europe vient de découvrir, Utamaro, Hokusai, Hiroshige, ces maîtres lointains qui, eux, comblent mon goût - jamais tari - d'exotisme."
J'ai été emportée par cette autobiographie fictionnelle qui plonge à la fois dans la violence historique du Paris de l'époque et la vie artistique. On prend l'air également, avec tous les voyages de l'artiste. On ressent toute la pugnacité, le désespoir, le caractère entier et ombrageux de
Paul Gauguin, toute sa vie vouée à sa conception de l'art. Une âme sauvage qui ne se laisse pas enfermer.
Jean-Marie Dallet a eu l'idée originale de faire parler Gauguin depuis sa dernière demeure : "Cinquante-cinq ans, ma vie et moi qui du fond de la mort ressasse tout en long et en couleur, une vie trop vite close en cette tombe du bout du monde où, bien allongé à plat sur ce qu'il me reste de dos, avec du sable noir des Marquises débordant de mes orbites fixées sur un ciel de terre, je peux revivre - privilège extrême, épreuve extrême qui me vaudront peut-être enfin l'éternel salut ? (...)".
Immortel, c'est aujourd'hui quelque chose de certain ! Un bel hommage à l'artiste.
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