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3,76

sur 471 notes

Critiques filtrées sur 2 étoiles  
Je crois bien que c'est la fois de trop avec Damasio. J'avais souffert pendant La Horde du Contrevent mais les leçons de vie que j'en ai retirées valaient vraiment le coup, mais j'ai dû abandonner Les Furtifs pour cause d'incompatibilité avec le style, et mon intelligence s'est sentie insultée par sa nouvelle « pour adolescents » Scarlet et Novak. Et là, son recueil Aucun souvenir assez solide m'a tellement insupporté qu'il faudrait un miracle pour que je lise à nouveau cet auteur un jour.

Pendant tout le début de ce livre, je n'arrivais pas à déterminer s'il était très bon ou très mauvais. Alors je me suis demandé sur quels critères je juge un livre. Et de me rendre compte que Damasio et moi n'avons pas du tout les mêmes. Pour un lecteur qui a les mêmes lubies que lui, ce doit être un sacré coup de foudre littéraire ! Mais vraiment, avec moi, ce n'est pas passé. Tâchons d'analyser pourquoi, pour au moins retirer quelque chose de constructif de cette lecture qui fut très désagréable.

Premièrement, la majorité de ses nouvelles baignent dans le courant anti-technologie.
J'en suis absolument convaincue, les technologies modernes comportent des dérives réellement dangereuses et pas assez de barrages ne sont dressés par les populations et les dirigeants pour s'en prémunir. Me parler de la vigilence que l'on doit avoir sur ce sujet, c'est prêcher du convaincu. Mais Damasio le fait avec de tels gros sabots que le propos devient caricatural et n'a pas réussi à m'amener vers des réflexions très profondes.
Damasio cite énormément de noms de marques, donne une multitude de détails techniques très précis, et montre l'omniprésence de capteurs connectés. Je comprends la démarche : montrer que les vies des personnages, et par parallèle les nôtres aussi, sont d'une grande artificialité et que tout est mercantile. Mais ce propos est très répétitif. Et à force de tuer ainsi toute émotion chez le personnage, il l'a aussi tué pour moi lecteur. Il ne reste alors que cette peur/haine de la technologie, et un mépris prononcé pour ceux qui l'acceptent. Cette manière de traiter du sujet m'a donc plus irritée que fait réfléchir, et c'est bien dommage...

Je ne vais pas toutes les lister, mais il y a énormément de répétitions d'idées entre les nouvelles et les romans de Damasio, qui peuvent faire penser à de la facilité d'écriture.
Plusieurs nouvelles reposent sur le même principe narratif un peu bancal : dans une dystopie techno-capitaliste, des activistes anarchistes en marge de la société font une tentative pour déstabiliser le système, qui se conclut par une lueur d'espoir un peu magique, c'est-à-dire une série d'événements positifs mais sans liens de causalité expliqués.
Il y a aussi plusieurs fois une figure de mystique qui donne les règles du jeu au lecteur au fur et à mesure que se déroule l'action. Cela m'a paru assez artificiel pour forcer l'enchaînement de ces événements : c'est normal que cela se passe ainsi, le mystique l'a dit avant — mais nous lecteurs n'étions pas au courant qu'il l'avait dit.
Autre élément récurrent : la suite de l'histoire est un peu floue ou déformée. Personnellement, je trouve cela un peu facile pour éviter de conclure.

Attaquons maintenant le style. Vaste sujet, sur lequel je ne pourrai jamais être objective. Car je n'en peux plus de ses jeux de mots. Certes, je reconnais qu'ils sont travaillés, il a dû passer énormément de temps à peaufiner ses homonymes. Mais certains reviennent ad nauseam, comme « île et aile » ou les références à ses idoles (« tour de Leuze », « médiathèque Borges », etc). D'autres interrompent inutilement le récit, par exemple lorsqu'un personnage souligne au milieu d'un dialogue sans rapport que « s'ébruiter » se prononce comme « c'est bruité ».
Quand les jeux de mots permettent d'exprimer élégamment une idée complexe en jouant sur des images et des sonorités, j'adore. Mais là où j'aime les phrases et paragraphes, Damasio aime les lettres et les mots. Et je ne suis absolument pas sensible à ses effets de style, et il m'est impossible de passer outre car ses histoires en sont imprégnées. Au début, je pensais que les nouvelles servaient de prétextes à faire des jeux de mots, mais les nouvelles Sam va mieux et El Levir m'ont convaincue que c'était en fait l'inverse : les jeux de mots sont le prétexte, le point de départ, la raison même d'exister de ces nouvelles.

Toujours dans le style, de nombreux mots m'ont paru très mal choisis. Loin de créer un style riche, cela ressemble parfois un peu à un cache-misère, qui confond complexité et profondeur. Je suis peut-être dure en le formulant ainsi, mais c'est ce que j'ai ressenti à la lecture.
Les mots ont chacun leur nuance unique et leurs connotations associées, ce qui me fait tiquer quand je lis « trottoir blond » ou quand « pointillé de lait » pour parler de la ligne blanche discontinue sur la route. Là où ce tic d'écriture devient plus gênant, c'est lorsqu'il utilise « Russkoff », « Lombard » ou « nègre ».
Des noms rares (vuvuzela, didjeridoo) ou compliqués (rhizostome = méduse) sont utilisés sans aucune raison. Il y a aussi beaucoup de mots anglais ; même pas des anglicismes, juste des mots non traduits.
Et de nombreuses fois, des adjectifs semblent en trop et évoquent des images difficiles à saisir : « le noir savoureux », « ta vie poudreuse », « de l'air mat ». « Asphalte liquide » revient de nombreuses fois, dans une des nouvelles cela a un sens littéral, mais après ce sont juste des répétitions que je n'ai pas comprises.

Passons à mon avis rapide sur chaque nouvelle en particulier :

- Les Hauts&#xNaN Parleurs&#xNaN
Dans une société où les mots sont privatisés, les marques font payer des droits d'utilisation dessus.

Ce concept reprend l'idée explorée dans Les Furtifs, le fait qu'orange soit une couleur, une ville, et que la marque du même nom pourrait se les approprier.


- Annah à travers la Harpe
Un père va aux enfers pour retrouver sa fille décédée à deux ans. Les enfers sont peuplés de technologies modernes de communication.

Cela me rappelle encore Les Furtifs (Damasio a-t-il un vécu qui explique son obsession pour la mort des petites filles ?).

Ce qui ressort le plus de cette nouvelle, c'est la haine de la technologie. Je l'ai lue alors que je voyageais à l'étranger et qu'un coup du sort a fait que je me suis retrouvée sans argent et sans possibilité d'en retirer. Avoir mon téléphone (ou comme l'appelerait Damasio, mon smartphone 4 pouces tactile full HD à capteur biométrique de la marque de la Pomme), cela m'a un peu sauvée quand même, me permettant d'arriver à bon port et accessoirement de pouvoir manger pour survivre. J'ai donc eu un peu de mal à adhérer à un tel manque de subtilité sur l'analogie entre la technologie et l'enfer.


- le bruit des bagues
Un vendeur rejoint une cellule qui vit en marge de la société et a pour but de déconnecter les gens pour qu'ils redeviennent plus humains.

J'ai malheureusement trouvé l'intrigue assez clichée.


- C@PTCH@
D'un côté les enfants, de l'autre les adultes (qui donnent naissance à des enfants qui se téléportent de l'autre côté), et entre les deux s'étend « la Ville » munie de tous types de capteurs captcha. Elle récupère toutes les données de ceux qui tentent de la traverser et les dématérialise.

Très étrange, j'ai dû passer à côté. le message final est intéressant, à savoir que le désir d'être dématérialisé ne vient pas de la Ville mais est en chacun de nous ; mais il aurait pu être plus développé.


- So phare away
Le monde est submergé d'un océan d'asphalte liquide, qui durçit de temps en temps. Il y a ceux qui vivent dans des phares et ceux qui roulent, métaphore de ceux qui travaillent à domicile, dont le travail est de communiquer ; et ceux qui se rendent à leur travail en voiture.

Cette nouvelle est celle qui m'a le plus parlé, car elle illustre certains phénomènes sur les réseaux sociaux.
Les jeunes rêvent de notoriété, émettent tous les mêmes signaux, se copient, se lissent, et font en sorte d'être compris du plus grand nombre. Au contraire, certains parlent avec un signal que peu comprennent : les vieilles générations, les gens avec des idées extrémistes complexes. Il y a ceux qui vulgarisent, font de l'art, traduisent les signaux pour d'autres types de populations. Et il y a ceux qui abusent de leur pouvoir pour obtenir des faveurs...
Les gros annonceurs demandent à ce qu'on leur fasse de la publicité, et il y a même l'équivalent des « strikes » aléatoires de Youtube avec quelqu'un qui tire sur des petits créateurs sans raison.

Idée intéressante : trop de lumière fait qu'on ne voit plus rien. Car avec trop de contenus, on ne peut plus saisir les nuances. Tout rejoint alors des messages simplistes : on lit quelques bribes, comme sur Twitter, puis on zappe.
La mise en page joue avec cette idée en montrant visuellement les signaux les uns sur les autres, les messages étant trop nombreux pour être tous compréhensibles.
Et il y a de plus en plus de lumières qui s'allument.

C'est la nouvelle que je trouve la plus inspirée et la plus intéressante.


- Les Hybres
C'est un artiste-« sculpteur » qui chasse des monstres (les hybres) pour les céramifier (comme dans Les Furtifs).

Un peu facile. Beaucoup de détours pour une histoire très simple.


- El Levir et le Livre
Un Maître scribe écrit le Livre, censé contenir une vérité. Chaque mot doit être deux fois plus grand que le précédent et être d'une encre et d'un support différent. le livre ne peut pas être relu, une fois lu il est oublié, et après l'avoir écrit, le scribe meurt.

Le kiff ultime de Damasio : un livre entier en palindrome. Sauf qu'il ne l'est pas, alors je n'ai pas compris l'intérêt !


Sam va mieux
- le dernier survivant de Paris construit des objets dont le son ressemblent à la voix humaine. Mais ils ont des dysfonctionnements, la prononciation des R (air) et des O (eau). C'est l'occasion pour Damasio de faire encore plein de jeux de mots...

... et j'en ai déjà un peu marre de ses jeux de mots, malheureusement !


- Une stupéfiante salve d'escarbilles...
J'ai abandonné. Parce que Damasio a lui-même abandonné l'idée d'être compréhensible.


- Aucun souvenir assez solide
Pas compris non plus, et le peu que j'ai compris est extrêmement glauque. Une petit fille « lolita » de 5 ans, et on nous parle de désir pour elle ?! J'avoue que je n'ai pas réussi à finir cette nouvelle de seulement deux pages.




Concluons. Je n'ai pas écrit ce billet pour descendre ce livre, même si c'est un peu l'impression que cela peut donner au final (et je m'en excuse si c'est le cas !). Je me demandais seulement — comme je le disais plus haut — si j'avais affaire à un très bon livre ou à un très mauvais. J'avais besoin de développer les raisons pour lesquelles je n'ai vraiment pas réussi à adhérer malgré mes efforts.

À les sous-peser maintenant qu'elles sont écrites noir sur blanc, c'est surtout le style qui a été un immense obstacle pour moi. Mais c'est un critère très subjectif, et peut-être qu'il parlera bien plus à d'autres lecteurs.

Concernant les messages anti-technologie, j'aurais pu les trouver intéressants s'ils avaient été moins dans le jugement et plus dans la compréhension. C'est sans doute pour cela que So phare away est la seule nouvelle de ce recueil que j'aie un peu appréciée.
Mais je sais que lorsque l'on est militant, on oublie souvent d'expliquer aux personnes hors de sa bulle ce qui nous semble évident, que telle chose est néfaste et doit être abattue. Damasio nous dit que les technologies et le capitalisme sont mauvais (et je suis d'accord avec le fait que leurs dérives sont à éviter à tout prix), mais il oublie complètement d'argumenter le pourquoi, ce qui donne à ses personnages des airs d'homme de paille.

Dommage pour cette fois !
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Alain Damasio se fait critique des dérives de notre société. Ces nouvelles sont de qualités inégales et peuvent rapidement lasser.
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Un recueil de nouvelles finalement plutôt décevant en comparaison aux deux précédents romans (La Horde et la Zone du dehors) qui sont à classer dans les meilleurs romans de SF
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