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3,96

sur 1956 notes
Publié initialement en 2001 (donc avant la horde du contrevent) il a fait l'objet d'une nouvelle version en 2007 (après donc), celle lu ici.


2084. Un siècle après le célèbre livre d'Orwell auquel l'auteur fait référence toute les deux pages, nous sommes à Cerclon, une démocratie manipulée sur un satellite de Saturne, mais où tous semblent heureux, protégés de tous et surtout d'eux-mêmes. Tous ? Non, la Volte, emmené par Captp, des « révoltés » de pacotille, jusqu'à ce qu'ils se réveillent et commencent à entreprendre de véritables coups contre le système. Mais là où dans une tyrannie bien identifiée, le mot d'ordre est « Ferme-là », ici, dans cette sociale-démocratie au ventre mou, c'est « cause toujours ».
Leurs actions seront-elles à la hauteur ? Les risques de récupération, de trahison,d 'inefficacité sont là.


Loin de la noirceur de mes souvenirs de 1984, le ton global est ici finalement assez optimiste et léger. Si on accepte de se faire bassiner à toutes les pages par du Deleuze, du Foucault et du Nietzsche, dans le texte ou vu et revisité par l'auteur, on peut passer un bon moment.
Mais Dieu que ce livre est mou et lent. On voit ici et là de l'action et de la flamboyance. J'y ai surtout vu beaucoup, beaucoup trop de parlottes qui pour moi, n'apportaient pas grand-chose au récit. Amputé de 200 pages, il aurait, je pense, été plus vivant.


On passera (ou pas, surtout en ce moment) sur le traitement, limite apologie du terrorisme, mais on appréciera, en tout cas, la dénonciation du traitement médiatique et de la récupération que l'on peut en faire (toujours d'actualité, d'ailleurs) ainsi que la critique assez acerbe du système de nos démocraties modernes et sondagières (autre sujet abordé assez jouissif dans le cynisme et la manipulation).


Au final, un livre au ton léger, mais pas facile à lire, assez optimiste, plus dans le style meilleur des mondes que 1984, trop long et bavard à l'extrême mais qui laisse malgré tout une bonne impression générale (une fois fini).
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Une bonne grosse claque. Voilà ce que vous prendrez en pleine face en lisant « La Zone du Dehors ». Premier roman écrit par Alain Damasio en 1992, puis retravaillé par l'auteur il y a quelques années, l'ouvrage cherche a répondre à une question au premier abord d'une grande simplicité mais qui, au fond, relève d'une complexité abyssale : comment, aujourd'hui en Occident, se révolter ? Contre qui ? Contre quoi ? Pourquoi? En six cent pages, Damasio nous propose non pas LA réponse mais UNE réponse, inspirée des écrits de Nietzsche, Foucault ou encore Deleuze, et qui dénonce avec virulence ces belles sociétés de contrôle qui font notre fierté, celles « de codes souples et de normes poisseuses, qui désamorcent, rognent la rage, adoucissent, assouplissent, régulent et strangulent. » J'en vois déjà qui commencent à reculer en se disant : « Oulà, un auteur engagé qui nous assomme de ses idées politiques et déballe sa propagande sous couvert de science-fiction, très peu pour moi ! » Et bien détrompez-vous car « La Zone du Dehors » est tout autre chose. Contrairement à des auteurs comme Terry Goodkind, qui arrive avec ses gros sabots pour nous marteler à coups de burin dans ses romans les grands principes de sa fameuse politique objectiviste (apparemment très en vogue aux États-Unis...), Damasio a, lui, le bon goût de ne pas prendre ses lecteurs pour des imbéciles incapables d'aligner deux idées à la suite.

Le roman qu'il nous offre est ainsi infiniment complexe et demandera aux lecteurs un gros travail d'attention et de réflexion, mais qui se révélera finalement payant. L'auteur frappe dur, fort, et met le doigt là où ça fait le plus mal : sur ces systèmes et ces actions qui rythment et régulent notre quotidien sans que l'on y prête parfois même plus d'attention. Par habitude, par lassitude... « L'espèce humaine, en pays riche, est en passe de devenir invertébrée. » Voilà le triste constat ici dénoncé. La multiplication des caméras de sécurité dans les rues ; les inepties débitées chaque jour par les médias qui « conforment plus qu'ils n'informent » ; ces panneaux, affiches ou slogans infantilisant qui nous rappellent encore et encore LE « bon » comportement à adopter (« Ne pas mangez trop salé, trop gras, trop sucré. », « Pratiquez une activité physique régulière », « A consommer avec modération »)..., c'est de tout cela que veut nous faire prendre conscience Damasio qui, pour mieux marquer les esprits, force évidemment le trait par le biais de la science-fiction. L'action prend ainsi place dans une société du futur (pas si éloignée que ça, cela dit...) dite « idéale » : la ville de Cerclon, petit modèle de démocratie constituant l'une des premières colonies spatiales nées de la quasi disparition de la Terre, ravagée par la Quatrième Guerre Mondiale ayant rendu une bonne partie de la planète inhabitable.

Outre la qualité de la réflexion proposée, « La Zone du Dehors » séduit ainsi également par celle du décor imaginé par Damasio. Les rouages qui régissent le système politique de la ville de Cerclon sont notamment très bien pensés, qu'il s'agisse de la hiérarchisation des individus se traduisant en lettres qui indiquent la place exacte occupée dans la société, ou encore de la séparation radicale des espaces riches/pauvres au moyen des nouvelles technologies. Comme dans « La Horde du Contrevent », les personnages constituent également l'un des plus gros points forts du roman. Capt et ses discours idéalistes plein de fougue ; Kamio et son souci constant du respect de la morale ; Slift et son incroyable témérité..., ce n'est pas sans tristesse que l'on quitte tous ces êtres attachants dont je sais qu'ils me hanteront longtemps. Reste, pour clore cette pluie d'éloges, à mentionner le style incomparable de l'auteur qui offre à ses lecteurs des moments de pure beauté, parfois lyriques, parfois incisifs mais toujours d'une incroyable poésie. Si « La Horde du Contrevent » m'avait permis de complètement m'évader en embarquant pour un voyage extraordinaire, « La Zone du Dehors », elle, a le mérite de nous faire profondément réfléchir, non seulement sur notre société mais aussi sur nous, nos modes de vies, nos aspirations, nos petites révoltes au quotidien.

Quoi de mieux, pour finir, que les mots de l'auteur lui-même, ces mots qui, pour beaucoup, ne manqueront pas de résonner longtemps : « Déchirez la gangue qui scande « vous êtes ceci », « vous êtes cela », « vous êtes... ». Ne soyez rien : devenez sans cesse. L'intériorité est un piège. L'individu ? Une camisole. Soyez toujours pour vous-même votre dehors, le dehors de toute chose. »
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> Salut michemuche tu fais quoi ce soir?
< Salut bison, ce soir je vais au vaisseau écouter boule de chat.
> C'est qui boule de chat ? une chanteuse, un groupe de rock ?
< Pfff !! nan, tu viens d'où le bison, de la planète terre ou de cerclon ?
< Dis moi bison ( coup d'oeil à droite coup d'oeil à gauche) tu serais pas une balance du président A , j'ai pas envie de me faire encuber tu comprend
> Pas de soucis michemuche je suis clean, pas de digicode sur l'ongle ou une quelconque puce identitaire, je ne suis pas clastré ni encarté.
< Bienvenue à la volte mon cher bison, ce soir il y a une réunion au vaisseau avec boule de chat, elle a connue le bosquet dans toute sa splendeur, les membres historiques de la volte : Capt, Kamio, Brihx, et Obffs, unis comme les doigts de la mains, les SUR- VOLTES
> Super michemuche, il y aura des gens connus à la réunion ?
< Oui bison du beau monde, il y a rabanne, stockard, cardabelle, casusbelli, koalas et même bouledegom et j'en oublie surement.
< Tiens bison je te donne le mot de passe sans quoi tu vas faire vitrine.
" Change l'ordre du monde plutôt que tes désirs "
< Surtout bison reste discret tu es un radieux, tu fais parti des voltes, maintenant ta vie est dans la zone du dehors, tu peux participer à la fondation d'Anarkhia 1, première polycité volutionnaire du cosmos habité !
" La maturité de l'homme, c'est d'avoir retrouvé le sérieux qu'on avait au jeu lorsqu'on était enfant ".
Si vous avez envie de découvrir " La zone du dehors" après mon billet c'est que j'aurai accompli ma tache, ce premier roman d'Alain Damasio est une pure merveille.
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Je n'ai jamais aimé les gens préfabriqués(*).
C'est un livre détonant, antisystème, aux idées anars, qui se situe en 2084. L'humanité s'est déplacée autour de Saturne. Et, 100 ans après celle d'Orwell, elle est toujours privée de liberté.
La zone du dehors est un endroit aux limites du périphérique où il n'y a pas de caméras. C'est là que se retrouvent les êtres épris de justice et surtout de liberté. Ce ne sont pas des êtres conformes.

Tous les habitants, que l'on forme, ont leur identité basée sur un ordre alphabétique qui résulte d'un classement annuel par des pairs. Ce classement donne des droits et des privilèges. le président s'appelle donc A et le dernier des 7 millions d'habitants quelque chose comme ZZOPIYG. Les plus mal classés vivent dans une zone radioactive. Les plus aisés ont plus d'oxygène, plus de confort et ils ont surtout le pouvoir.
Mais une opposition souterraine de dresse, commettant des attentats aveugles ... On trouvera dans ce livre alors une résonance particulière par rapport à l'actualité récente. C'est un choc de lecture. Un malaise.
J'ai cependant adhéré à la réflexion de Damasio sur la privation rampante des libertés. Rien que pour cela, il vaut le détour.

(*) extrait d'une chanson de Trust
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Lecture de pleine nuit jusqu'à ce que la fatigue l'emporte à 6h du matin, lecture sidérante et dévorante, lecture de rage, happée, captivée... Lecture de veille, de réveil, dans tous les sens du terme.
Après le bouleversement de la Horde du contrevent, je repoussais celle-ci, craignant la fin de l'idylle, la déception, le désamour qui parfois nous éloignent, irrémédiablement, d'un auteur adoré ; heureusement, il n'en fut rien.

Les hommes de la Volte sont-ils les enfants ou les ancêtres de ceux de la Horde? Ils sont en tout cas leurs frères, frères surhumains que Nietzsche, dont la flamme court tout au long cette dystopie, appelait de ses voeux, frères trop humains où chacun se reconnaîtra, interrogeant ses failles, ses fulgurances, ce qui fonde son humanité : "Aucun destin n'est inéluctable, l'arborescence des possibles nous tisse le sang aux poignets".

Interrogeant aussi, et c'est une différence majeure avec La Horde du Contrevent, notre société post-moderne et son devenir, la tyrannie de nos démocraties molles qui endorment nos révoltes ( "nous n'avons jamais été aussi proches de ce que j'estime être le summum du pouvoir : une aliénation optimum sous les apparences d'une liberté totale"), la frontière fragile qui transforme la résistance en terrorisme, la tension entre morale et liberté, idéal et efficacité, la volonté de puissance.

Ce n'est pas un livre qui se donne facilement, ni qui se donne à tous. La lecture est ardue, lecture de combat qui se heurte à la chair incomparable d'une écriture ambitieuse, et doit la saisir, s'y heurter, l'escalader, s'y éprouver :
"Un! L'homme en vie, vitaliste, aux aguets
tout en explosion, frication,
ressenti, éprouve et épreuve."

Roman de paroles, de circulation de la parole, à l'image des concertos des Voltés, c'est aussi un roman d'action et de tension dramatique, de suspens efficace, de lutte armée, de trahison, de résistance.

L'univers est somptueux, on y retrouve les éléments chers à Damasio qui construisent aussi celui de la Horde : la matérialité et l'énergie, la métamorphose, l'élan et la friction, à travers un langue qui sans cesse elle aussi se transforme, éprouve ses limites, les dépasse, expérimente, saisit et dynamite, s'y frotte, explose; la langue d'un poète tout autant que celle d'un romancier :

"Leur voix articulait de la roche et du sable, et dans leur frottement sourd montaient des animaux mythiques, méduses s'immisçant flottantes à travers les rideaux d'ammoniac ou tigres pourpres entraperçus dans les brumes du Dehors [...]"

"Change l'ordre du monde... plutôt que tes désirs... Tes désirs sont désordres..."



Lien : http://solasubnocte.blogspot..
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- Hello Fils, aujourd'hui je vais te présenter un ouvrage de science-fiction contemporaine : « la zone du dehors » écrit par Damasio, un des rares écrivains français ayant une certaine notoriété. Ici c'est son premier ouvrage, sorti en 1998 et retravaillé par la suite lors de rééditions.
- Et ? Quel est le sujet ?
- Suite à une guerre sur terre, dont nous n'entendrons pas plus parler, un groupe d'hommes s'est installé sur un satellite de Saturne et a fondé Cerclon. Ils sont 7 millions au début de cette histoire. le sujet est avant tout politique au sens noble (vie de la polis). En effet cette société est démocratique au sens où chacun vote, elle offre à tout citoyen une vie confortable et la sécurité. La mobilité sociale est effective puisque tous les deux ans il y a le clastre où chacun va se voir attribuer un nouveau rang en fonction de sa productivité, de l'appréciation de son entourage et de son comportement. Ce rang est manifesté par un nom comprenant 1 lettre pour les dirigeants (A est le premier) et 5 lettres pour le bas de l'échelle sociale. de nombreuses décisions sont prises par des référendums et l'essentiel de la population est globalement satisfait de son sort.
- Par certains aspects cette société ressemble donc à la nôtre ?
- Oui, par la plupart à dire vrai puisque le but de Damasio est avant tout de critiquer avec virulence nos sociétés occidentales contemporaines.
- Qu'est ce qui lui déplaît ?
- Cet auteur, en s'inspirant de Nietzsche (ou plus exactement de Nietzsche relu par Deleuze) et de Foucault va proposer une critique radicale de nos sociétés à travers celle de Cerclon. Pour lui nos sociétés sont des sociétés de contrôle. le gouvernement mais aussi les multinationales, les technologies et les médias manipulent les individus et les opinions pour obtenir le consentement de chacun à une forme d'aliénation. L'individu devient normalisé et perd sa liberté. Il se soumet à une servitude volontaire, accepte une hiérarchie aliénante et finit anesthésié, paralysé dans une vie étriquée et triste. En ayant renoncé à une liberté effective en échange de la sécurité, d'un consumérisme de masse et d'une position sociale il finit en réalité seul et invertébré, malléable et éteint.
- Rien que cela ?! En même temps tu as dû adorer, toi qui ne cesses de critiquer l'abandon des libertés individuelles effectives, le marché de dupes qu'est le consumérisme de masse et le côté invasif et infantilisant de l'État lorsque, par exemple, il impose des étiquettes sur le tabac mais aussi sur les aliments gras. Je sais que tu revendiques le fait que chacun puisse faire ses choix et assumer ses risques en toute indépendance. Tu n'es pas non plus le dernier à dire que les sondages visent à manipuler l'opinion et que la démocratie masque souvent des rapports de forces et une grande brutalité, à déplorer l'absence d'initiative des individus et je pourrais poursuivre. Enfin je te sais passionné par Nietzsche, Deleuze voire Foucault. Damasio est donc ton auteur fétiche du moment ?
- Pas du tout ! À dire vrai j'ai lu ce livre car je n'avais pas aimé du tout « La horde du contrevent », adulé par tout un lectorat et ai aussi peu apprécié celui-ci, pour des raisons voisines.
- Ah ?
- Oui, mais j'en reviens à l'histoire dans un premier temps. Nous suivons un mouvement qui s'oppose à cette forme de consensus mou : la Volte. Il est dirigé par 5 personnes qui forment le Bosquet et que nous suivons durant tout l'ouvrage. Damasio fera d'ailleurs s'exprimer chacun, avec son style, ses préoccupations, sa voix propre durant le récit et c'est très agréable d'avoir des points de vue et un style différent selon la personne qui s'exprime. J'en profite pour dire que l'auteur a une très belle plume, un style soigné, une écriture inventive et organique. Les jeux de mots mais aussi de sonorité ou de sens sont en prime rarement gratuits et servent à rendre le propos à la fois clair et vivant. le personnage principal, car il y en a un, s'appelle Captp et enseigne la philosophie à l'université, ce qui permet à Damasio de le faire disserter et, donc, de développer ses points de vue. Différents lecteurs sont critiques quant à des passages qu'ils trouvent lents et théoriques, complexes parfois aussi, je ne suis pas de cet avis. Ils sont sans doute maladroits mais c'est une oeuvre de jeunesse et ils concourent à la clarté d'exposition de l'ensemble.
- Je comprends de moins en moins tes critiques.
- J'y arrive. Cette Volte va s'opposer aux dirigeants de Cerclon mais aussi à la population pour tenter de la secouer, de la pousser à évoluer, non à se révolter mais à pratiquer une « volition » et à vivre autrement, de façon plus libre. Pour se faire il y aura des actions de plus en plus violentes, des morts et une forme d'apologie d'actions brutales pouvant être associées à une forme de terrorisme. Même si cet ouvrage prétend réfléchir à la question cet auteur, dans la lignée de ses positionnements « anarchistes et à la gauche de toute gauche » (je cite Damasio) revendique clairement le fait que la fin justifie à peu près tous les moyens.
- Oui, tu apprécies peu cette forme de radicalité.
- C'est exact. Je considère que, si chacun doit pouvoir vivre comme il l'entend, cela vaut pour tous, justement, et que nul n'a à dire à autrui comment il doit vivre, encore moins en le tuant. La liberté individuelle peut et doit trouver d'autres voies d'expression. Mais, au-delà, je reproche à Damasio, d'avoir une lecture pauvre et caricaturale de Nietzsche, guère plus juste que celle que voulaient en avoir les nazis en leur temps. Ce philosophe défend bien par exemple la notion de surhomme ou la volonté de puissance mais il parle des idées et de la vie de l'esprit. Et il ne cache pas son mépris pour qui veut enrôler des disciples. Plus généralement les passages où Damasio expose ses idées ne valent guère plus qu'une médiocre dissertation de terminale. Vouloir en faire un écrivain intellectuel me semble abusif, au moins pour le second terme car, je le répète, il a une belle plume.
Au-delà de ce reproche quant à la maîtrise profonde des « grands noms », invoqués plus qu'évoqués, et qui ne sauraient, selon moi, servir de caution intellectuelle à ce roman je vois aussi deux autres points faibles principaux.
Le premier a été relevé par la critique de PdB et elle est que cet écrivain donne aux femmes un rôle de second plan. Elles sont en effet avant tout des objets sexuels ou des mères ou des repos du guerrier. Elles n'ont en tous les cas pas un statut équivalent à celui des hommes. C'est d'ailleurs surprenant pour cette mouvance politique, habituellement dénuée de sexisme. Dommage pour un modèle social se voulant idéal.
Le second, plus général, est que Damasio propose comme modèle alternatif à nos sociétés démocratiques, ici comme dans « La horde du contrevent » d'ailleurs, la constitution d'une micro société associant quelques individus différents et complémentaires qui luttent toujours contre un ennemi dont ils ont d'ailleurs besoin pour assurer leur cohésion. Ici c'est un pouvoir détesté, dans l'autre ouvrage c'est un vent omniprésent. Ce « modèle » repose aussi beaucoup sur la sexualité en dehors du combat, sur des amitiés et inimitiés et sur des liens sociaux forts entre un petit nombre de personnes. L'individu existe aussi avant tout dans l'acte, l'action et pas dans la réflexion. de ceci doit naître la joie, un feu, un « jouir ». C'est un peu court et donne largement l'impression que l'auteur, en réalité, peine à appréhender ce qu'il veut dénoncer à savoir les organisations collectives complexes unissant des millions d'individus et propose un retour à un modèle somme toute très proche d'une tribu idéalisée de chasseurs-cueilleurs confrontés à une nature hostile. Sans doute conscient de cette limite Damasio insiste, dans les sociétés se voulant porteuses de sens de la fin de l'ouvrage, sur l'importance de l'art, de la création, sur le fait de repousser les frontières, mais c'est peu convaincant. Son "modèle" ne semble à dire vrai pouvoir correspondre qu'à quelques mâles jeunes, avec des convictions anarchistes, un penchant pour l'action, la fête, le sexe, des relations sociales peu nombreuses et denses, affectionnant les rapports de force et l'adrénaline voire la violence et abhorrant l'autorité, le consensus et toute organisation où ils ne sont pas dominants... Cela ne fait pas une société mais représente au plus certaines aspirations d'un petit groupe de personnes. Faire société est justement réussir à faire coexister des êtres infiniment plus différents dans ce qu'ils sont mais aussi dans ce qu'ils aspirent à faire, à être, à vivre, à partager.
- Papa tu deviens bavard. Et si tu devais, pour une fois, proposer une synthèse en quelques lignes de cet ouvrage que dirais-tu ?
- Ce livre est l'oeuvre d'un individu de sexe masculin, fort jeune et marqué par un refus épidermique de la social-démocratie. Ces caractéristiques pèsent lourdement sur ce roman qui se veut une critique radicale de nos sociétés et peine à convaincre. C'est encore bien pire lorsque Damasio propose un modèle alternatif qui se voudrait à large portée ou tente de s'appuyer sur des philosophes qu'il caricature. En revanche la plume est belle et souvent inventive, les scènes d'action sont plaisantes et rythmées et l'ensemble se laisse découvrir sans déplaisir à condition de ne pas en attendre trop. Ce peut donc être une lecture agréable pour qui renonce à son esprit critique et se laisse charmer. Pour qui recherche en revanche une réelle réflexion sur ce type d'idées il faut lire Nietzsche, Deleuze Foucault mais aussi Harari ou Stiegler. le lien que j'indique pour conclure, tout en restant d'un accès facile, est bien plus concis, complet et riche qu'un ouvrage de Damasio. Ce peut être une bonne introduction pour une réflexion sur ces concepts.
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Science-fiction à saveur philosophique sur un satellite de Saturne.

Après des catastrophes et des guerres terriennes, des populations ont trouvé refuge à Cerclon, une ville où tout est bien réglé. Les gens sont évalués annuellement et, selon leur performance, on leur donne un nouveau nom. le président aura la lettre A et les derniers auront un nom de cinq lettres commençant par QZ.

Le héros possède un nom à quatre lettres, CAPT, qui lui valent le surnom de capitaine. Il fait partie des meneurs de la Volte, un groupe qui veut un changement social. On ne cherche pas la Ré-volution, ni même l'È-volution, seulement la « volution », le mouvement. On veut sortir du cadre, avoir la liberté d'explorer la zone du dehors, bouger, créer et jouir de la vie. Mais le système résiste et les affrontements sont inévitables…

CAPT est aussi un professeur d'université, il aime le discours et la réflexion philosophique. Il abreuve donc généreusement le lecteur de longues pages de ses enseignements. C'est un peu lassant à mon avis et c'est bien dommage, car ce monde inventé par Damasio est complexe, cohérent et foisonnant d'imagination. de plus, l'écriture est de qualité et l'histoire, pleine de rebondissements.

Un excellent roman, si on lui pardonne ses quelques longueurs.
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Déception... après La Horde du Contrevent et les Furtifs, que j'ai tous les deux adorés, me voici face à ce roman commencé dans les années 90 puis repris entre les deux cités précédemment.
Ca commençait bien pourtant, tout de suite dans la dynamique, Capt et Boule dans la zone du dehors, risquant leur vie, se cherchant. On est en 2084, loin de la Terre, sur cette planète artificielle appelée le Cube. Capt et Boule sont des dissidents, des membres de la Volte, prête à tous les coups d'éclat pour réveiller les habitants du Cube. Dans ce nouveau monde aux contours cotonneux et aseptisés, où la nature a été reproduite sans ses excès terrestres, où le danger est prévenu, chaque habitant est fiché, surveillé, identifié selon un système de lettres permettant d'immédiatement les ranger selon leur importance pour le Cube.
La Volte, dont le gros des membres est né sur Terre et se souvient de l'ancien monde, prépare le grand coup qui réveillera les consciences.
Et c'est là que le bât blesse: on arrive vite aux réunions de la Volte où Damasio s'éclate dans tous les sens du terme, autant du point de vue de ses opinions et revendications à peine déguisées (dont il ne se cache pas dans la postface) que dans le style qui lui est propre, quand il fait parler ses personnages. Il invente, provoque, poétise à tout va, ce qui est une force dans certains romans mais qui m'a prodigieusement agacée ici, puis ennuyée.
Ce que je reproche à ce roman, c'est qu'il y a beaucoup trop de blablas, des personnages - et un auteur?- qui s'écoutent parler, que c'est démagogique, que ça manque de simplicité, d'humilité.
Bref, rendez-vous manqué avec un auteur dont j'ai recommandé je ne sais combien de fois ces deux autres romans qui m'ont profondément marquée.

Ps: est-ce moi ou ce roman a vraiment été inspiré des Justes de Camus? Il se trouve que je l'ai lu très récemment et les deux suivent le même fil.
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Mon avis sur cette fameuse "zone du dehors" étant très proche de celui de fnitter (sa critique est facile à trouver : c'est la plus appréciée!), je me permets, une fois n'est pas coutume, de renvoyer à la sienne, en y ajoutant juste ces quelques points :
- ce qui m'a poussée vers ce livre, outre la personnalité de Damasio dont j'apprécie la fougue et les rugosités, est cette sorte d'exégèse que j'en avais lu, "le dehors de toutes choses" qui est composée d'une part du texte d'une pièce sous forme de long monologue condensant le propos du livre, et d'autre part d'un long commentaire de l'auteur. L'imprécation qui nous y est faite de trouver en soi son propre dehors, sa propre 'volte' dans l'univers médiocratisé, technologisé et aliénant dans lequel nous vivons y était extrêmement salutaire sous ce format court
- il y a dans ce livre quelques scènes qui méritent vraiment le détour : la scène introductive surtout, dans laquelle Capt met littéralement en oeuvre cette libération de soi en explorant le 'dehors', hostile mais libre, de Cerklon; celle également , hallucinée et brutale, où Capt fait son chemin dans le cube; celle enfin qui le met face au Président de Cerklon, propre à vous remettre les pendules politiques à l'heure.
Une lecture certes un peu longue et enflée, mais vivifiante et salutaire à l'heure de la démocratie vieillissante et de la technologie intrusive.
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Voilà un roman fascinant, d'une très grande richesse, un de ceux dont les thèmes abordés ne laissent pas indifférents et qui laisse dans son sillage beaucoup de réflexions et de questions sur ce qu'est le devenir de nos sociétés démocratiques. Je vais essayer d'ajouter mon commentaire de lecture aux très nombreux et remarquables que j'ai pu lire ici.

Une de mes proches, qui me parle depuis des années de sa passion pour Damasio, un auteur de science-fiction dont la production est rare, m'a prêté ce roman, préférant que je commence par celui-là plutôt que par la Horde du Contrevent, dont j'ai lu depuis les critiques dithyrambiques, dont celle en tous points remarquable de mon amie babeliote Chrystèle, qui a choisi, et ce n'est pas un hasard, le titre du livre pour pseudo.

Deux réserves pour commencer.
D'abord sur l'écriture. Pour moi qui suis d'un certain âge et plutôt habitué à l'écriture fluide d'un Kundera ou d'un Modiano, à celle sinueuse de Proust ou de Woolf, cette écriture éruptive, parfois grossière m'a déconcerté. Mais, aussi j'ai.été extrêmement séduit par la construction du récit avec ses différentes voix, ses inventions de langage; à ce propos le récit du séjour du héros Capt dans le Cube est époustouflant.
Et puis, et j'ai lu que cela avait été relevé par une autre babeliote, la place des personnages féminins dans le récit est bien faible, souvent le faire-valoir des hommes, telle BCDT alias Boule de Chat. C'est quand même dommage pour un récit libertaire d'avoir une tonalité non pas machiste, mais «masculino-centrée », car tous les leaders sont des hommes!

Malgré ces deux réserves, c'est un roman que j'ai trouvé vraiment très original, aussi bien dans la trame du récit que dans la dimension philosophique qui le sous-tend.

Nous sommes en 2084, soit 100 ans après Orwell, et ce n'est pas un hasard.
Une colonie d'environ 7 millions d'humains s'est installée sur un satellite de Saturne, des humains qui ont quitté la Terre ravagée par des conflits pour bâtir ce qui est présumé être le « Meilleur des Mondes ». Ils ont bâti Cerclon I, une immense ville constitué de cercles avec un cube central. Dans cette ville, tout est fabriqué par l'Homme, pesanteur, air que l'on respire, mais aussi organisation urbaine en lien avec l'organisation sociale. Tout est géré, tout est sous contrôle sous les apparences d'une démocratie idéale.
Mais en réalité, et le roman nous le montre progressivement, ce doux régime démocratique est celui, d'abord, du consumérisme poussé à l'extrême, avec par exemple ces stupéfiants chariots « intelligents » qui choisissent dans les rayons selon vos goûts, avec les médias omniprésents qui vous conditionnent pour tout, et puis, celui de la perte de l'identité puisque vous ne pouvez plus être Dupont ou Dupond, vous êtes un « dividu », vous n'existez que par le Clastre (un hybride de Classe, Caste, Castre?) un classement de la population à partir de notations réalisées par tous les collègues pour tous leurs collègues (excepté les moins de 12 ans, les retraités et ceux qui ont été déclassés définitivement) et qui sont compilées tous les deux ans par un ordinateur, le Terminor (contraction de Terminator?). Ainsi, vous n'existez et ne résidez dans Cerclon I que par les lettres que le Clastre vous attribue, depuis les 1- lettrés, de A à Z qui habitent le cube central du gouvernement de Cerclon (avec tout en haut, A, le Président), puis les 2-, 3-, 4-, 5-lettrés ( en bas de l'échelle) qui habitent selon leur classement dans un des cercles de Cerclon, le dernier de la Clastre étant non pas ZZZZZ, mais, étant donné la taille de la population, QZAAC! Et ainsi vous pouvez tous les deux ans, monter ou descendre dans l'échelle sociétale, changer de lettres, …et de zone de résidence.
Et puis, il y a le contrôle de tous par tous, dont le témoignage le plus frappant est au centre de chacun des 5 cercles une tour panoptique qui permet à chacune et chacun de surveiller tous les résidents de cette «prison» dorée, car tous les immeubles sont transparents et même leur façade arrière est visible grâce à un ingénieux système de miroirs.
Et enfin, la chirurgie a fait des progrès magnifiques, permettant à tout un chacun d'être un être « augmenté ».
L'ensemble de ces «progrès », qui nous sont décrits au cours de l'action du roman, fait froid dans le dos, car nous percevons que tout cela est déjà en marche de nos jours: les choix de consommation dirigés selon nos goûts enregistrés par les géants de l'internet, le traçage, les caméras de surveillance, l'appréciation quantifiée des professionnels dans les entreprises, mais aussi toutes ces notations anonymes de tout et n'importe quoi, qui fleurissent sur le net et sur les réseaux sociaux, la réalité virtuelle et enfin les évolutions du modelage humain.

Le roman est l'histoire présente et à venir de cercloniens qui rejettent cette société normative, de leur combat, et de leur construction difficile d'une société utopique qui se veut plus libre, plus décentralisée, dans la « Zone du Dehors », cette partie inhospitalière du satellite de Saturne.
Le début de l'intrigue est celui d'un tournant dans ce groupe de cercloniens, qui avait choisi jusqu'à présent une mode de protestation non violente, après la condamnation à mort de son leader, Zorlk, qui avait assassiné le Président précédent. Sous l'impulsion de Capt, un enseignant universitaire, et de ses acolytes rassemblés dans une cellule dénommée Bosquet, une stratégie d'action plus radicale et violente est décidée, et celles et ceux qui font ce choix entrent dans la « Volte » le préfixe Ré ayant été supprimé pour bien signifier la volonté d'aller de l'avant.
Je ne dévoilerais pas le fil de l'intrigue, et tous ces aspects passionnants, romanesques, car il faut dire que Damasio est un conteur prodigieux, et philosophiques, car une grande place est réservée aux débats, qu'il s'agisse de ceux de Capt avec ses amis, avec ses étudiants, et même avec A, le Président.

Il faut noter que ce récit vif, flamboyant, plein de rebondissements, évite aussi le machinéisme, la vision simplificatrice, qui est parfois le défaut des romans de SF. Ainsi en est il des interrogations et des doutes de Capt sur le bien-fondé de l'action violente. Ainsi on verra que la construction de villages indépendants dans la Zone du Dehors se traduit par l'apparition de cités gangrenées par la drogue et où une mafia prend le pouvoir.
Enfin, ce qui est original dans ce récit, et ce doit être volontaire, c'est qu'il se termine par un nouveau projet vers «plus loin », et qu'il est une sorte de « work in progress ». Cela traduit, je pense, que face à un monde normalisé et contraint, il faut prendre le risque de la liberté et que cela n'est pas simple.

En conclusion, un très beau roman, une anticipation astucieuse de ce que pourrait devenir notre monde, avec en creux tous les travers émergents de notre époque, le poids des médias, du contrôle de nos vies par internet, de l'artifice dans nos vies.
Mais je ne partage pas la vision utopique de l'auteur sur la libération humaine par une (ré)volte libertaire.
J'ai lu que Damasio était proche du mouvement des « gilets jaunes ». Si j'approuve le fait que l'on ne peut continuer avec notre société actuelle, avec son information biaisée en continu, dont la tendance est que les décisions se prennent d'en haut, où le pouvoir démocratiquement élu est trop loin des réalités humaines, je trouve que la volonté de liberté individuelle absolue se heurte à la nécessité pratique du vivre ensemble dans nos gigantesques sociétés modernes. Et les phalanstères et les communautés hippies, entre autres, ne sont pas allées bien loin dans la « Zone du Dehors ».
Mais l'intérêt des romans d'anticipation de qualité, c'est qu'il participent à l'éveil de votre conscience, et en ce qui concerne celui-ci, à nous inciter à être vigilants face au soft power de nos démocraties, à nous interroger en permanence sur les incitations normatives au sein de nos sociétés, sur les limites à définir à la surveillance de nos vies. Mais ce roman laisse entière pour moi la question de la révolte, de son bien-fondé, de son efficacité.

Enfin, quelques derniers mots pour saluer l'inventivité de l'auteur, dans ses jeux avec les mots, ses titres de chapitres étonnants, ses inventions typographiques.
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