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Critique de Sarindar


On m'excusera d'y revenir (cf. mon commentaire sur la thèse de Margot Delon), mais il me semble que la question du bidonville et de l'habitat précaire s'impose naturellement - oui, naturellement, n'en déplaise à la gêne que nous pouvons en éprouver - dans un monde où les difficultés rencontrées par le plus grand nombre éclatent maintenant au grand jour.
L'arrivée en Europe de réfugiés syriens et irakiens en raison des conflits devenus récurrents au Moyen-Orient et l'insistance d'un nombre sans cesse croissant de migrants candidats au départ vers la Grande-Bretagne depuis Calais où se regroupent des populations qui vivent cette expérience du bidonville ravivent d'autant mieux cette question qu'elle nous révèle qu'elle n'a rien d'éphémère, contrairement à ce que nous pourrions croire.
Aussi ai-je pris intérêt à lire ce livre : Un monde de bidonvilles signé Julien Damon, bien connu de Pierre Levené, secrétaire général de la Fondation Caritas France.
Comment, dans un premier temps, ignorer la vision négative que nous nous faisons du bidonville ? Cela blesse-t-il nos consciences aveugles ? On a vite fait de croire que C'est une affaire qui ne concerne que notre ministère de l'intérieur, chargé de veiller au respect de l'ordre public et toujours empressé de donner à l'opinion publique l'illusion de pouvoir éradiquer ce problème par des moyens coercitifs d'expulsion. Comme si supprimer des regroupements humains dits "illégaux" pouvait faire disparaître une pauvreté massive que la concentration de richesses par quelques-uns enfante.
Il faut en réalité essayer de mieux cerner la question, en la rapportant à ses causes, et en la replaçant dans une réflexion plus globale sur la question urbaine et son traitement rationnel.
Ce dernier point n'est pas négligeable, puisque si l'on considère l'ampleur du phénomène on peut déjà le mieux en tenant compte d'une donnée sociologique et historique récente, à savoir que l'année 2008 semble bien être un point de bascule chronologique en ce sens que la population urbaine est devenue alors majoritaire et que la population rurale a perdu - définitivement semble-t-il - le leadership en termes démographiques. On nous prédit que 70 % de la population mondiale habitera en ville d'ici 2050, alors qu'au début du XXème siècle on ne comptait qu'un citadin sur dix individus, et cela pour bien montrer comment ce phénomène urbain absorbe tout, et à la vitesse grand V.
Ce d'autant plus que les croissances démographiques feront bientôt doubler les populations urbaines en Asie et les feront tripler en Afrique. La centralité des grandes et moyennes métropoles, partout dans le monde, s'impose à nous, tandis que les conditions de vie dégradées, soit du fait des hommes soit en raison de la dureté des conditions climatiques et de la détérioration environnementales dans les zones géographiques et économiques les moins avantagées, par suite de conflits, de surexploitation des richesses naturelles et minières, et d'implacabilité de régimes dictatoriaux mis en place avec la complicité des puissances les plus riches, drainent des masses apauvries vers les lieux où semblent régner l'aisance, mouvements de population que voudraient ne pas avoir à gérer nos hypocrites sociétés pharisiennes occidentales. Mais le boomerang nous arrive en pleine face et une part non négligeable de la population mondiale est de fait "bidonvillisée".
Regardons donc les choses comme elles sont et seront au lieu de nous voiler la face. Mais regardons-les objectivement, autant que faire se peut.
Au premier regard, dans nos villes occidentales, pour ne prendre en compte qu'un "paysage" qui nous est familier, deux phénomènes se juxtaposent : le suréquipement des grandes villes dans les quartiers les plus riches et le sous-équipement évident dans les quartiers les plus pauvres, avec dans ce dernier cas une double tendance lourde à la ghettoïsation et à la bidonvillisation.
Survalorise-t-on ou sous évalue-t-on le nombre de personnes qui vivent dans ces zones délaissées ? La question n'est pas tranchée. Et doit-on chercher à résorber ce "problème" en chassant les populations de ces lieux ou ne doit-on pas au contraire accepter le phénomène mais en veillant alors à réhabiliter cet habitat et à le faire entrer dans les critères pointés par Onu Habitat des critères qui, au lieu d'être regardés comme des manques, devraient contribuer à la définition de solutions plus humaines avec la reconnaissance pour ces lieux d'un foncier enfin sécurisé, d'une amélioration du bâti et de l'obligation d'un décloisonnement des zones concernées dans une perspective de dynamique urbaine avec le développement en parallèle d'une politique des transports permettant de relier ces lieux à ceux où se concentre l'activité économique et financière ?
Loin de moi l'idée de faire un compte rendu exhaustif de l'ouvrage de Julien Damon qui veut voir dans le phénomène du bidonville non pas un chancre intraitable mais bien au contraire une chance pour nos sociétés développées et une occasion de réinventer notre "vivre ensemble", à condition de ne pas traiter naïvement la question, de ne pas ignorer celle des conflits possibles entre communautés appelées à se rencontrer, à ne pas ignorer que pendant que l'on s'occupe de "débidonvilliser" certaines zones des pans entiers d'espaces urbains tendent à se paupériser et que l'entassement vertical dans des tours et des "barres" de logements ne doit pas être la réponse automatique, unique et systématique pour empêcher que ne se développe de manière incontrôlée un entassement horizontal.
Qui a dit que les utopies d'aujourd'hui ne pourraient pas être les réalités vécues de demain ?
Plutôt que de cacher une réalité dont on n'est que par trop tenté de détourner le regard, on fera mieux - et l'on aura l'ardente obligation - de l'accepter pour la traiter les yeux et le coeur ouverts et l'esprit en éveil, bien viligamment, comme nous y invite Julien Damon.

François Sarindar


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