AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Biblioroz


John Danalis, dans son instabilité professionnelle, décide, à l'aube de la quarantaine, de reprendre des études pour devenir enseignant. Dans son cursus universitaire, il choisit l'option littérature indigène. Tout au fond de lui subsiste, latente, une honte vis-à-vis de l'ignorance et du rejet orchestrés par son monde blanc envers les Aborigènes de ce pays acquis par la force. Une connaissance limitée à quelques clichés, des rapports inexistants sous peine d'être rejeté par sa race et une volonté de les tenir à l'écart, le plus loin possible, résument l'attitude des siens envers les autochtones.
Lorsqu'il explique, en classe, qu'il a vécu 40 ans avec un crâne aborigène dans le salon parental, un crâne qui fut baptisé Mary mais qui se révéla finalement être celui d'un homme, il suscite incrédulité, horreur, dégoût. Il réalise alors que dans sa famille, l'Aborigène est au même stade que le kangourou ; un emblème indésirable.
Hanté par le regard des autres, il se décide à rechercher le crâne qu'il avait fait cacher afin de ne pas effrayer ses propres filles. L'ayant retrouvé, un sentiment brumeux se profile ; celui de ramener Mary chez lui, sur sa terre. Au nom de la dignité des morts, il réussit à convaincre son père de la nécessité de cette restitution.

Lors de la rédaction de ce récit, la honte refait surface alors qu'il se doit de poser sur le papier tous les stéréotypes affreusement et injustement négatifs que les siens attribuaient à ce peuple noir, dans leurs conversations, dans les films d'alors, lourds de préjugés de toutes sortes, dans d'ignobles blagues racistes.
C'est pour lui, subitement, à l'image d'une déflagration, la douloureuse mise en lumière du racisme. Les informations qu'il avait sur ce peuple indigène se cantonnaient à consolider la peur qu'il fallait en avoir, donc la haine, en ne montrant que leur côté coléreux face à l'injustice dont ils étaient bel et bien victimes dans leur propre pays.

La cérémonie de restitution de Mary est émouvante et ne peut qu'ébranler la pauvreté de notre monde moderne face à une si belle et totale humanité. Comment ne pas ressentir de la honte et du dégoût face à l'occultation, sans aucun scrupule, de l'importance que revêt pour ce peuple le fait que leurs ancêtres doivent demeurer au pays ? le colonisateur désire la terre pour satisfaire sa soif de conquêtes mais n'y éprouve aucun attachement profond comme ce peuple bien plus proche de la nature.
Au-delà de la cérémonie pour réparer cette profanation des restes de personnes qui avaient autant le droit, si ce n'est plus, de reposer dignement dans leurs terres, c'est un fil lancé entre deux peuples dont les premières interactions furent immédiatement haineuses, racistes.
L'auteur a désiré aller plus loin, a voulu creuser dans l'histoire de cette colonisation. Ce fut le constat de l'abomination du vol de bébés aborigènes pendant des décennies, des sites funéraires mis à nus pour effectuer des travaux d'irrigation ou de voirie, des dépouilles stockées dans des cartons poussiéreux remisés dans d'innombrables musées sous prétexte de recherches inexistantes, de la destruction des arbres qui constituaient l'habitat du cacatoès noir d'où la raréfaction de cet oiseau…
Il déplore la facilité de mettre des étiquettes sur des hommes, des coutumes, sans creuser plus avant dans leurs motivations bien plus belles, plus humaines et plus respectueuses que bon nombre de nos comportements dits civilisés. C'est finalement la pauvreté de notre vie qui éclatera aux yeux de John Danalis. L'homme blanc est fort pour juger que sa culture est celle qui doit être appliquée, tout en écrasant et profanant celle des autres.

On respire dans ce récit les senteurs de myrte citronné et d'eucalyptus, tout en cherchant des yeux les plumes rouges du cacatoès noir qui nous pousse son cri de défi « Karak, Karak ! » Cet oiseau agira comme messager, guidera notre narrateur pour lui ouvrir les portes de ce monde aborigène qui le bouleversera jusqu'à l'extrême.
Ce récit suscite aussi une profonde réflexion sur l'absence de rites et de totems étroitement liés à la nature de notre civilisation qui pourraient pourtant apporter une plus belle harmonie de vie et surtout un respect plus profitable à la terre qui nous héberge.
Il y a des passages particulièrement chargés d'émotions, dans l'évolution de l'opinion du père, dans le soulagement manifesté par la mère, mais aussi dans la simplicité et la générosité des Aborigènes contemporains. Ils font monter la larme à l'oeil.

C'est un récit d'une très grande franchise, empli d'humilité. Je remercie vivement Babelio pour cette proposition de Masse Critique privilégiée ainsi que les Editions Marchialy pour leur magnifique ouvrage édité avec un si grand soin.
Commenter  J’apprécie          392



Ont apprécié cette critique (38)voir plus




{* *}