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Critique de svecs


svecs
17 décembre 2018
En lisant cet étrange objet livresque qu'est "la maison des feuilles", je me suis un moment laissé porter par une étrange digression.

"La maison des feuilles" de Mark Z. Danielewski est un livre étonnant à plus d'un titre. Né sur internet, il sortira finalement sur support papier en 2000. de son origine digitale, il conserve un caractère très inhabituel. Livre-monde difficile à résumer, il alterne les couches narratives, jusqu'à perdre le lecteur dans les méandres d'un labyrinthe étonnant.

Dans l'introduction, le narrateur, Johnny Errand, relate comment il s'est retrouvé en possession du manuscrit de "la maison des feuilles". Ce livre est l'oeuvre de Zampano, un vieillard aveugle vivant en ermite dans un appartement miteux. Il est mort subitement, sans proches pour vider son appartement qui, de toute façon, ne contenait rien de valeur. Mais Johnny se senti compulsivement attiré par ce coffre qui contenait des centaines de feuillets épars.

Cette "maison des feuilles", que nous découvrons par la suite, consiste en l'analyse quasi obsessionnelle d'un film: "Navidson Record". Etrange film dont on ne sait s'il existe vraiment. Véritable légende urbaine, ce documentaire retracerait les effets de la découverte par Will Navidson, photographe de guerre, d'une pièce secrète dans sa maison. Non pas une pièce réelle mais dissimulée, mais bien une pièce qui ne peut simplement pas exister. Cela commence par une porte qui apparaît dans le mur de la chambre, qui donne sur un débarras sombre, mais qui va rapidement s'étendre et donner accès à une structure immense aux ramifications infinies.

Certains pensent que ce film est véridique. D'autres que c'est un canular très élaboré (et dans lequel l'auteur préfigure d'ailleurs toute la vague des found footage, popularisé par Blair Witch Project). Il n'existe pourtant pas de preuve formelle que ce film existe vraiment. Et si cette "maison des feuilles" n'était qu'un canular mené par Zampano lui-même ? Si son analyse est extrêmement précise et érudite, multipliant les références et invoquant une bibliographie rigoureuse, on peut se demander quelle part de cette bibliographie est réelle et quelle part est tout simplement fictive. Zampano lui-même instille le doute dans des notes en bas de page. Puis il y a les annotations apportées par Johnny, qui s'interroge lui-même sur la santé mentale de son auteur. Mais au fil des annotations de Johnny, où il se livre de plus en plus, nous commençons à douter sérieusement de la sienne. Progressivement, il se laisse happer par la "maison". Par la présence qui semble l'habiter, comme elle a happé Will Navidson. Comme elle a affecté Zampano. Et d'ailleurs, la mort de Zampano est-elle aussi claire que cela ?

Vous pensez sans doute que je viens de vous raconter l'essentiel du roman. Ce n'est pas entièrement faux. Pourtant, tout cela est planté dès les premières pages. L'essentiel de ce livre est ailleurs. Il s'agit d'un véritable Objet Littéraire Non-Identifié. Vous pensez que c'est un roman d'horreur dans le genre de Stephen King sous influence d'HP Lovecraft ? Ce ne serait pas complètement faux, mais ce serait terriblement réducteur. parce que ce livre est aussi une histoire d'amour. Il propose aussi une satire assez réjouissante de l'onanisme académique. Il propose aussi une expérience de lecture et d'écriture assez unique. Ce qui m'amène à cette digression qui m'est venue en cours de lecture.

Disons le tout net, Ce livre n'est pas facile à lire. le but de l'auteur n'est pas tant l'histoire que les sensations. Ce qui fait qu'il se laisse aller à un moment à plus d'une dizaine de pages de considération philosophico-fumeuses sur l'écho. On pourrait penser que ces pages sont inutiles tant elles sont indigestes. Elles servent pourtant à caractériser un peu plus l'état d'esprit de Zampano, puis de Johnny Errand dans son interprétation. A plusieurs moments, les élucubrations de Johnny répondent à celles de Zampano, ponctuées par considérations absurdes d'intellectuels fictifs dans des extraits d'articles tentent d'interpréter jusqu'à l'absurde un plan isolé du "Navidson record". Et, au fur et à mesure que nous nous enfonçons, littéralement et métaphoriquement dans la maison, la mise en page s'altère. Les notes de bas de page prennent le dessus sur le texte, faisant de l'interprétation des faits le sujet, au lieu du sujet initial lui-même. Les textes commencent à se chevaucher. Des textes apparaissent en transparence, des parties de textes disparaissent, lettres, mots ou phrases entières, laissant le lecteur face à un texte de plus en plus obscur. Puis les mots commencent à

















déserter



















la page











.















Le vide











































devient























































tout























































ce









































qui





















































subsiste.









Pages quasi vides, où le texte, limité à quelques mots, voire un seul, se retrouve en haut, en bas, au milieu, à l'envers, tête-bêche... là où il prend tout son sens. Ce jeu sur le blanc autour des mots, ou, au contraire, sur cet empilement de texte, Porté à son paroxysme lorsque les pages sont mangées par un litanie de nom de photographes, une notice de chaudière et un note bibliographique sur l'architecture nous rappelle brusquement qu'écrire, ce n'est pas que noircir des pages. L'angoisse de la page blanche laisse à penser que l'écriture ne peut tolérer le blanc. le vide. Il faut remplir. Noircie des pages et des pages. Avec comme objet fantasmé un rouleau ininterrompu, rempli de textes. Comme si les interlignes, les passages à la lignes, les alinéas étant un espace perdu. Un gaspillage pour l'écrivain.

Mark Z. Danielewski donne un tout autre sens à cette angoisse de la page blanche. Une phrase étirée sur plusieurs pages, aussi hérétique que cela puisse paraître, devient infiniment plus parlante et chargée de sens que si les mots s'étaient gentiment alignés en rang d'oignons. La page blanche n'est pas un espace à noircir, mais à utiliser. Voilà ce que nous démontre l'auteur. Évidemment, tout un livre ne peut être construit sur cette seule technique, mais cette "maison des feuilles" en fait un usage particulièrement intéressant. Elle bouscule le lecteur dans ses habitudes, l'obligeant parfois à des retours en arrières, à retourner son livre. Et cette implication nouvelle du lecteur aide à l'immersion dans un livre-maison étrange, dont l'entrée apparaît un jour sans crier gare mais dont on ne sait si on en sortira vraiment un jour.

Je ne sais pas ce qu'est "la maison des feuilles".

Ce n'est pas une histoire d'amour.

Ce n'est pas un roman d'horreur.

Ce n'est pas une satire de l'onanisme académique.

Ce n'est pas une histoire de fo.us.lles (je m'aperçois ne pas avoir mentionner les lettres de Pelafina, proposé en annexe et qu'il ne faut pas négliger)

C'est un OLNI
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