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EAN : 9782070321407
128 pages
Gallimard (16/10/1974)
4.14/5   37 notes
Résumé :

La Vie nouvelle, premier grand texte lyrique en langue vulgaire, marque la naissance – en prose et en vers – de l’auto-biographisme. Le jeune Alighieri, à partir du "livre" de sa mémoire, y ordonne, selon une structure tripartite restituée par l’édition Gorni (annonçant l’architecture de La Comédie), ses poèmes d’amour en fonction de la louange de Béatrice ; plaçant, nous dit-il, "... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (7) Voir plus Ajouter une critique
Supposée écrite entre 1290 et 1295, « Vita Nova » est une oeuvre de jeunesse, originale à plus d'un titre, du grand poète toscan Dante Alighieri (1265-1321).
Originale, tout d'abord parce qu'elle est la première oeuvre à avoir été écrite en langue dite vulgaire, l'italien de sa région natale, le toscan.
Ensuite parce qu'elle se veut autobiographique, racontant la rencontre de Dante avec Béatrice, le sentiment amoureux qu'il éprouve pour cette noble et gente dame, puis la souffrance ressentie à la mort brutale de cette dernière.
Enfin, « Vita Nova » offre un mélange des genres peu commun pour l'époque. Les pièces poétiques versifiées se greffent à des passages narratifs en prose dans lesquels l'auteur explique lui-même ses poèmes et ce qu'il a tenté d'exprimer dans ses élégies.

Ayant étudié l'art de la versification et repensant à la Dame aimée qu'il nomme Béatrice, Dante décide de composer un ouvrage poétique à la façon des trouvères de son temps, dans lequel il salue à la fois Celle qui a peuplé ses pensées et l'Amour qu'elle lui a inspiré.
En réalité, le patronyme de la jeune personne est Bice Portinari. Dante en a masqué l'identité en désignant l'objet de sa passion - ce que les troubadours appellent le « senhal » - sous le nom de Béatrice et par diverses expressions affectueuses, « Belle joie », « ma Dame », « Dame Courtoise », « la Bénie »…
Chaque poème dédié à son Amour est ensuite associé à un commentaire de l'auteur, à la façon d'une auto-analyse de son propre travail, expliquant en plan précis, la démarche poétique, les allégories, les images et toutes les variantes du sentiment amoureux qu'il a tenté d'exprimer dans ses vers.
La narration en prose se teinte également d'une large part d'onirisme, de l'exposition de songes, de rêves et de visions dans lesquels l'Etre aimé apparaît dans toute sa majesté, sa grâce, sa « béatitude ». Transcendé par un sentiment pieux, platonique, absolu, religieux, l'Amour est personnifié et révéré, honoré et glorifié, semblable à la dévotion chrétienne portée à Dieu.

« Vita Nova » est donc le récit d'une expérience sentimentale personnelle.
Lorsqu'il rencontre Béatrice pour la première fois, Dante n'a que neuf ans. D'emblée, son jeune esprit chavire et malgré son âge juvénile, « Amour » a pénétré son coeur.
Béatrice lui apparaît ensuite neuf ans plus tard, « vêtue de couleur blanche », et de nouveau sa beauté pleine de grâce le subjugue. Dés lors, elle ne quitte plus ses pensées, alimente ses rêves, s'inscrit même dans des songes à caractère prémonitoire.
Lorsque cette jeune dame bien née et appréciée de tous meurt brusquement, toute la ville de Florence «en reste comme veuve et dépouillée». Dante, douloureusement affecté, verse alors dans une profonde et morbide mélancolie. Son deuil est lourd, son âme en peine, ses yeux, « las de pleurer », ne peuvent plus « soulager sa tristesse ». Ses chansons et ses sonnets expriment la souffrance d'un coeur brisé.
Plus d'un an s'écoule ainsi, lorsqu'il croise un beau jour, le regard empreint de pitié d'une belle et jeune femme touchée par la détresse sentimentale dans laquelle il s'abîme. le visage, l'attrait, la grâce de cette personne sont un baume au coeur pour le poète qui sent alors refluer en lui la sève de la vie. Ainsi, si le souvenir persiste, sa douleur s'adoucit au seuil d'une « vie nouvelle », avec l'apparition d'un nouvel amour dont chanter les louanges et célébrer.
Le dernier chapitre de « Vita Nova » se clôt sur une « admirable vision » par laquelle le poète florentin sent en lui les bourgeons fleurissant d'une grande oeuvre à venir, qui donnera quelques années plus tard la grandiose « Divine Comédie ».

A la fois livre sur la mémoire et le souvenir, autobiographie amoureuse, recueil de poèmes courtois, on ne peut s'empêcher de penser en lisant « Vita Nova » que Dante est allé bien au-delà des canons littéraires de l'époque et qu'il a permis un réel essor dans le domaine de la littérature, en l'affranchissant et en la libérant des contraintes de son époque et en l'ouvrant sur des horizons plus vastes où les genres se confondent, se complètent et s'unissent, en langue italienne qui plus est !
Cependant, la lecture de ce petit ouvrage en vers et prose n'est pas des plus évidentes. L'interaction entre les pièces poétiques et les morceaux en prose si elle est intéressante, n'est pas toujours des plus captivantes. En ce faisant le commentateur sobre et détaché de sa propre poésie, Dante, tout en nous immergeant dans sa mémoire et dans son sentiment amoureux, nous éloigne en même temps de l'aspect empathique et profond de son amour et de sa peine.
L'oeuvre recèle donc de beaux moments, lyriques et inspirés, avec l'illustration parfaite de l'amour courtois tel que le chantaient les troubadours de Provence, que viennent quelquefois assombrir certains passages trop explicatifs, plus ternes et insipides, qui occultent le plaisir d'une lecture au demeurant enrichissante qui gagnerait sans doute à être lue dans sa langue originelle pour en apprécier toutes les sonorités chantantes et toute l'harmonie musicale.
« Vie Nouvelle » n'en reste pas moins une célébration pleine de grâce de l'Amour et de l'Etre aimé.
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Composée sous sa forme définitive, entre 1293 et 1295, La Vita Nuova est considérée comme une ouevre de jeunesse de Dante. le texte s'organise autour de 31 poèmes, insérés dans un texte en prose. Il s'agit à la fois d'un commentaire de poèmes, mais aussi et surtout, d'un cadre narratif, qui présente l'histoire d'amour de Dante pour Béatrice, dans un déroulement chronologique. On peut noter le lien avec les vidas et razos des troubadours : textes présentant la vie de troubadours et des explications de leurs poèmes en fonction d'éléments de cette vie. Une différence de taille existe : les vidas et razos ont été écrit à posteriori, par des commentateurs qui ne sont pas eux-mêmes les auteurs de poèmes qu'ils expliquent.

Dante innove : il est le premier dans la littérature européenne à raconter son histoire personnelle en langue vulgaire, directement à la première personne. Cela constitue une transgression de ce qu'enseigne la rhétorique : il est inconvenant de parler de soit, sauf pour réfuter des attaques personnelles. Même si on considère souvent la Vita Nuova comme la première autobiographie moderne, elle est très peu factuelle et pittoresque ; il s'agit de l'histoire d'un amour exemplaire, vécu plus d'une façon intériorisée qu'en actes.

Dante relate les débuts de son amour, la rencontre avec sa Dame. Puis, le moment où Béatrice refuse de le saluer, qui marque une nouvelle phase du sentiment amoureux. L'amour n'a pas besoin de réciprocité pour exister, il doit être désintéressé, le bonheur consiste à chanter sa Dame. Puis enfin, la mort de Béatrice fait surgir la tentation d'une autre rencontre : une gentille Dame.

La construction de la Vita Nuova, semble chronologique et logique, mais les poèmes qui la composent n'ont pas forcément été écrits dans cet ordre. Ils ont été utilisés par Dante pour s'intégrer dans sa trame en prose, le commentaire en prose est postérieur à la majorité des poèmes.

Plus que de parler d'une véritable histoire d'amour, la Vita Nuova cherche à évoquer l'essence de l'amour idéal, et au-delà, de l'homme, dans une aspiration à transcender l'enveloppe charnelle et la finitude. La rencontre de Béatrice est au final un prétexte, elle permet d'accéder à la métaphysique. La gentille Dame a d'ailleurs été interprétée par certains exégètes comme la philosophie.

C'est un texte étrange, difficile d'accès et captivant, comme peuvent être fascinants les textes que l'on comprend à moitié, tant ils sont complexes et riches, et qui à cause de cela, donnent envie d'y revenir sans cesse pour essayer d'un saisir peut être quelque chose d'encore demeuré obscur.
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Première oeuvre que Dante a écrit en toscan et qui a contribué à la création de la langue italienne standard, la vie nouvelle est tout d'abord une oeuvre autobiographique dans laquelle le poète et homme politique évoque sa rencontre et sa passion pour sa muse Béatrice, alors qu'il n'avait que neuf ans. Cet ouvrage s'avère être aussi un travail d'argumentation et d'auto-critique de certains vers et passages, minutieusement expliqués et justifiés par le poète. Pour ma part, cette oeuvre, bien que décisive dans la carrière de notre cher Dante Alighieri, n'arrive pas à la cheville de son chef-d'oeuvre: la divine comédie. La preuve: j'ai passé certains passages du livre qui me semblaient très redondants, d'autant plus que je l'ai lu en langue originale, sous la forme d'un latin vulgaire, non moins raffiné. Ce travail du poète reste à lire et il servira néanmoins de tremplin aux voyages en enfer, au purgatoire et au paradis!
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C'est une oeuvre poétique difficile et je pense que pour apprécier vraiment la poésie il est nécessaire de connaître l'auteur, sa vie, son environnement.
Le XIIIème siècle est une période de l'histoire que je ne connais pas. C'est le siècle où la littérature s'éloigne de l'écriture latine pour les langues vulgaires.
Dante écrit ce récit suite à sa rencontre avec Béatrice dont il tombe éperdument amoureux. Puis elle meurt.
L'auteur alterne chansons, sonnets, dialogue ; invoque Amour, Dieu.
Dans une seconde partie, moins audacieuse et élégante, Dante compose des dialogues.
C'est un recueil émouvant, malgré tout.
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De nombreuses visions couronnent ce récit. La langue italienne utilisée, autrefois langue familière du latin, est devenue aujourd'hui la langue la plus belle et poétique. Dante fait part de songes et d'hallucinations pour le moins évocatrices, même si, ainsi qu'il le dit lui-même, il ne faut pas prendre au pied de la lettre certains de ses procédés, ainsi sa personnification récurrente de l'Amour, qu'il dit rencontrer à plusieurs reprises, et avec lequel il a régulièrement des conversations... Sa passion pour la divine Béatrice vire presque à l'idolâtrie.
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Citations et extraits (62) Voir plus Ajouter une citation
Mes yeux dolents ont plaint mon coeur;
ils ont subi la souffrance des pleurs
et restent vaincus à jamais.
Pour désormais épancher la douleur
qui par degrés me conduit à la mort,
ma voix devra crier mon deuil.
Et puiqu'il me souvient que de ma Dame
j'aimais à vous parler, dames courtoises,
au temps qu'elle vivait,
à nulle autre ne parlerait
qu'à dame de coeur noble,
et dans les pleurs la chanterai,
car elle s'en est allée au ciel soudain,
laissant Amour en peine auprès de moi.
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Quelques jours après ceci, il m’advint dans certaines parties de ma personne une maladie douloureuse, dont je souffris terriblement pendant plusieurs jours, et elle me fit tomber dans une telle faiblesse qu’il me fallut rester semblable à ceux qui ne peuvent plus se mouvoir. Et, comme le neuvième jour je fus pris de douleurs intolérables, il me vint une pensée qui était celle de ma Dame. Et, quand j’eus suivi cette pensée pendant quelque temps, je revins à celle de ma vie misérable. Et, voyant combien la vie tient à peu de chose, même quand la santé est parfaite, je me mis à pleurer en dedans de moi-même sur tant de misère, et, dans mes soupirs, je me disais : « il faudra que cette divine Béatrice meure un jour ! » Et je tombai alors dans un égarement tel que je fermai les yeux et commençai à m’agiter comme un frénétique, puis à divaguer.

Alors m’apparurent certains visages de femmes échevelées qui me disaient : « tu mourras aussi ». Et après ces femmes vinrent d’autres visages étranges et horribles à voir qui me disaient : « tu es mort ». Et mon imagination continuant à s’égarer, j’en vins à ce point que je ne savais plus où j’étais. Je croyais toujours voir des femmes échevelées, extrêmement tristes, et qui pleuraient. Et il me sembla que le soleil s’obscurcissait tellement que les étoiles se montraient d’une couleur qui me faisait juger qu’elles pleuraient. Et je croyais voir les oiseaux qui volaient dans l’air tomber morts, et qu’il y avait de grands tremblemens de terre[1]. Et au milieu de ma surprise et de mon effroi, je m’imaginai qu’un de mes amis venait me dire : « tu ne sais pas ? Ton admirable Dame n’est plus de ce monde ».

Alors, je me mis à pleurer à chaudes larmes. Et ce n’est pas seulement dans mon imagination que je pleurais, je versais de vraies larmes. En ce moment, je regardai le ciel, et je crus voir une multitude d’anges qui remontaient en suivant un petit nuage très blanc. Et ils chantaient d’un air de triomphe hosanna in excelsis, sans que j’entendisse autre chose[2].

Il me sembla alors que mon cœur, qui était tout amour, me disait : il est vrai que notre Dame est étendue sans vie ; et je crus aller voir ce corps qui avait logé cette âme bienheureuse et si pure. Et cette imagination fut si forte qu’elle me montra effectivement cette femme morte, et des femmes qui lui couvraient la tête d’un voile blanc. Et son visage avait une telle apparence de repos qu’il semblait dire : « Voici que je vois le commencement de la paix. » Et je sentais tant de douceur à la regarder que j’appelais la mort, et je disais : Ô douce mort, viens à moi, ne me repousse pas. Tu dois être bonne, puisque tu as habité ce corps. Viens à moi, car je te désire beaucoup : tu vois que je porte déjà ton empreinte.

Et il me sembla alors qu’après avoir vu remplir ces douloureux offices que l’on rend aux morts, je retournais dans ma chambre, et je regardais le ciel, et je disais à haute voix : « Ô âme bienheureuse, bienheureux est celui qui te voit ! »

Et comme je disais ces mots au milieu de sanglots douloureux, et appelant la mort, une femme jeune et gentille qui se tenait près de mon lit, croyant que mes pleurs et mes plaintes s’adressaient à ma propre maladie, se mit tout effrayée à pleurer comme moi. Et les autres femmes qui étaient dans la chambre, attirées par ses pleurs et s’apercevant que je pleurais aussi, l’éloignèrent de moi : cette jeune femme était une de mes plus proches parentes.

Alors elles s’approchèrent toutes de mon lit et voulurent me réveiller, car elles croyaient que je rêvais, et elles me disaient : « Ne dors plus, ne te laisse pas décourager ainsi. » Et pendant qu’elles me parlaient, mon imagination se calma, au point que je voulais dire : « Ô Béatrice, sois bénie ! » Et à peine avais-je prononcé Béatrice que j’ouvris les yeux en tressaillant, et je vis bien que je m’étais trompé. Et, tout en prononçant ce nom, ma voix était tellement brisée que ces femmes ne pouvaient me comprendre. Et quoique je me sentisse tout honteux, un avertissement de l’Amour me fit me retourner vers elles. Et alors elles se mirent à dire : « On dirait qu’il est mort. » Puis elles ajoutèrent entre elles : « Il faut le ranimer. » Et elles me dirent beaucoup de choses pour me remonter. Elles me demandaient de quoi j’avais eu peur. Et moi, ayant retrouvé un peu de force, et reconnaissant l’erreur de mon imagination, je leur répondis : « Je vais vous dire ce que j’ai eu. » Alors je commençai par le commencement, et je finis en leur disant ce que j’avais vu, mais sans prononcer le nom de ma bien-aimée. Et plus tard, guéri de ma maladie, je résolus de raconter ce qui m’était arrivé, parce qu’il m’a semblé que ce serait une chose intéressante.

Une femme jeune et compatissante[3],
Ornée de toutes les grâces humaines,
Se trouvait là où j’appelais à chaque instant la mort.
Voyant mes yeux pleins d’angoisse

Et entendant mes paroles dépourvues de sens,
Elle s’effraya et se mit à pleurer à chaudes larmes.
Et d’autres femmes, attirées près de moi
Par celle qui pleurait ainsi,
L’éloignèrent et cherchèrent à me faire revenir à moi.
L’une me disait : il ne faut pas dormir,
Et une autre : pourquoi te décourager ?
Alors je laissai cette étrange fantaisie
Et je prononçai le nom de ma Dame.
Ma voix était si douloureuse
Et tellement brisée par l’angoisse et les pleurs
Que mon cœur seul entendit ce nom résonner.
Et, la honte peinte sur mon visage,
L’Amour me fit me tourner vers elles.
Ma pâleur était telle
Qu’elles se mirent à parler de ma mort :
Il faut le remonter, disaient-elles doucement l’une à l’autre.
Et elles me répétaient :
« Qu’as-tu donc vu, que tu parais si abattu ? »
Quand j’eus repris un peu de force
Je dis : « Mesdames, je vais vous le dire.
Tandis que je pensais à la fragilité de ma vie,
Et que je voyais combien sa durée tient à peu de chose,
L’Amour qui demeure dans mon cœur se mit à pleurer ;
De sorte que mon âme fut si égarée
Que je disais en soupirant, dans ma pensée :
« Il faudra bien que ma Dame meure un jour ! »
Et mon égarement devint tel alors
Que je fermai mes yeux appesantis ;
Et mes esprits étaient tellement affaiblis

Qu’ils ne pouvaient plus s’arrêter sur rien.
Et alors mon imagination,
Incapable de distinguer l’erreur de la vérité,
Me fit voir des femmes désolées
Qui me disaient : « Tu mourras, tu mourras. »
Puis je vis des choses terribles.
Dans la fantaisie où j’entrais
Je ne savais pas où je me trouvais,
Et il me semblait voir des femmes échevelées
Qui pleuraient, et qui lançaient leurs lamentations
Comme des flèches de feu.
Puis je vis le soleil s’obscurcir peu à peu,
Et les étoiles apparaître,
Et elles pleuraient ainsi que le soleil.
Je voyais les oiseaux qui volaient dans l’air tomber
Et je sentais la terre trembler.
Alors m’apparut un homme pâle et défait
Qui me dit : « Qu’est-ce que tu fais là ? Tu ne sais pas la nouvelle ?
Ta Dame est morte, elle qui était si belle. »
Je levais mes yeux baignés de pleurs
Quand je vis (comme une pluie de manne)
Des anges se dirigeant vers le ciel,
Précédés d’un petit nuage
Derrière lequel ils criaient tous : hosanna !
S’ils avaient crié autre chose, je vous le dirais bien.
Alors l’Amour me dit : je ne te le cache plus,
Viens voir notre Dame qui est gisante.
Mon imagination, dans mon erreur,
Me mena voir ma Dame morte ;
Et quand je l’aperçus

Je voyais des femmes la recouvrir d’un voile.
Et elle avait une telle apparence de repos
Qu’elle semblait dire : je suis dans la paix.
Et la voyant si calme
Je ressentis une telle douceur
Que je disais : Ô mort, désormais que tu me parais douce,
Et que tu dois être une chose aimable,
Puisque tu as habité dans ma Dame !
Tu dois avoir pitié et non colère.
Tu vois que je désire tant t’appartenir
Que je porte déjà tes couleurs.
Viens, c’est mon cœur qui t’appelle.
Puis, je me retirai, ne sentant plus aucun mal.
Et, quand je fus seul,
Je disais en regardant le ciel :
Heureux qui te voit, ô belle âme….
C’est alors que vous m’avez appelé,
Et grâce à vous ma vision disparut[4].



......O heavy hour !
Methink it should be now a huge éclipse
O sun and moon, and that th’affrighted globe
Should yawn in alteration…

(Shakspeare, Otello, act. V.)

Ce petit nuage très blanc était l’âme de Béatrice.
Donna pietosa e di novella etate…
Commentaire du ch. XXIII.
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Tous mes pensers parlent d’Amour
De leurs voix discordantes:
En sa puissance l’un m’appelle,
L’autre me dit que sa force est folie ;
L’un de l’espoir m’apporte la douceur,
Souvent l’autre me fait pleurer,
Mais tous, tremblant dedans mon cœur,
Ne s’accordent qu’à crier pitié.
Aussi ne sais-je à quelle source prendre,
Perdu dans l’amoureuse errance
Je voudrais dire et je ne sais que dire.
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Maintenant, revenant à mon récit, je dirai que, après que ma Béatitude m’eut été refusée, je fus pris d’une douleur si vive que je me séparai de tout le monde, et j’allai dans la solitude arroser la terre de mes larmes et, lorsque mes pleurs se furent un peu apaisés, je me réfugiai dans ma chambre, où je pouvais me lamenter sans être entendu. Et là, demandant miséricorde à la reine de la courtoisie, je disais : Amour, viens en aide à ton fidèle. Et je m’endormis en pleurant comme un enfant qui vient d’être battu.

Et il arriva qu’au milieu de mon sommeil, je crus voir dans ma chambre, tout près de moi, un jeune homme couvert d’un vêtement d’une grande blancheur, et tout pensif d’apparence ; il me regardait, étendu comme j’étais, et après m’avoir regardé quelque temps, il me sembla qu’il m’appelait en soupirant et me disait ces paroles : « Fili, tempus est ut prætermittantur simulata nostra[1]. »

Il me sembla alors que je le connaissais, parce que c’est ainsi qu’il m’avait appelé plusieurs fois pendant que je dormais. Et en le regardant, je crus voir qu’il pleurait avec attendrissement, et il paraissait attendre quelques paroles de moi. Me sentant moi-même rassuré, je commençai à lui parler ainsi : « Noble seigneur, pourquoi pleures-tu ? » Et lui : « Ego tanquam centrum circuli, cui simili modo se habent circumferentiæ partes ; tu autem non sic[2]. »

Alors, en pensant à ses paroles, il me parut qu’il m’avait parlé d’une façon très obscure, et je lui dis : « Qu’est cela, Seigneur, que tu me parles d’une manière si obscure ? » Il me répondit en langue vulgaire : « Ne demande pas plus qu’il n’est bon que tu saches. »

Puis, je lui parlai du salut qui m’avait été refusé, et je lui demandai quelle en avait été la raison. Voici comment il me répondit : « Notre Béatrice a entendu de certaines personnes qui parlaient de toi que la femme que je t’ai nommée sur le chemin des soupirs éprouvait à cause de toi quelques ennuis. C’est pour cela que cette très noble femme, qui est ennemie de toute espèce de tort, n’a pas daigné saluer ta personne, craignant d’avoir à en subir elle-même quelque désagrément. Aussi comme ton secret n’est pas inconnu d’elle depuis le temps qu’il dure, je veux que tu écrives quelque chose sous la forme de vers, où tu exprimeras l’empire que j’exerce sur toi à son sujet, et comment elle te fit sien dès ton enfance. Et tu peux en appeler en témoignage celui qui le sait bien, et que tu pries de le lui dire, et moi qui suis celui-là, je lui en parlerai volontiers. Elle connaîtra ainsi ce que tu penses, et comprendra comment on s’y est trompé. Fais en sorte que tes paroles ne soient qu’indirectes, de sorte que tu ne t’adresseras pas précisément à elle, ce qui ne conviendrait guère. Et ne lui envoie rien sans moi pour que ce soit bien compris d’elle. Mais orne tes paroles d’une suave harmonie : j’y interviendrai toutes les fois qu’il sera nécessaire[3]. »

Cela dit, il disparut, et mon sommeil aussi. Et en y pensant je trouvai que cette vision m’était apparue à la neuvième heure du jour. Et avant d’être sorti de ma chambre, j’avais résolu de faire une ballade où je suivrais ce que m’avait recommandé mon Seigneur.

Ballade, je veux que tu ailles retrouver l’Amour[4]
Et que tu te présentes avec lui devant ma Dame,
Afin que mon Seigneur s’entretienne avec elle
De mes excuses que tu lui chanteras.
Tu t’en vas, Ballade, d’une façon si courtoise
Que, même sans sa compagnie,
Tu pourras te présenter partout sans crainte.
Mais si tu veux y aller en toute sécurité,
Va d’abord retrouver l’Amour ;
Il ne serait pas bon de t’en aller sans lui.
Car celle qui doit t’entendre

Si, comme je le crois, elle est irritée contre moi,
S’il ne t’accompagnait pas,
Elle pourrait bien te recevoir mal.
Et, quand vous serez là ensemble,
Commence à lui dire avec douceur,
Après lui en avoir d’abord demandé la permission :
Madame, celui qui m’envoie vers vous
Veut, s’il vous plaît,
Et s’il en a la permission, que vous m’entendiez.
C’est l’amour qui, à cause de votre beauté,
A fait, comme il l’a voulu, changer d’objet à ses regards.
Aussi, pourquoi il a regardé ailleurs,
Jugez-en par vous-même, du moment que son cœur n’a pas changé.
Dis-lui : Madame, son cœur a gardé
Une foi si fidèle
Que sa pensée est à tout instant prête à vous servir.
Il a été vôtre tout d’abord, et il ne s’est pas démenti.
Si elle ne le croit pas,
Dis qu’elle demande à l’Amour si cela est vrai,
Et à la fin prie-la humblement,
S’il ne lui plaît pas de me pardonner,
Qu’elle m’envoie par un messager l’ordre de mourir,
Et elle verra son serviteur lui obéir.
Et dis à celui qui est la clef de toute pitié[5],
Avant que tu ne t’en ailles,
De lui expliquer mes bonnes raisons[6]
Par la grâce de mes paroles harmonieuses.

Reste ici auprès d’elle
Et dis-lui ce que tu voudras de son serviteur.
Et si elle lui pardonne à ta prière
Viens lui annoncer cette belle paix.
Ma gentille Ballade, vas quand il te plaira,
Au moment qui te paraîtra le meilleur, pour que l’honneur t’en revienne[7].



« Mon fils, il est temps d’en finir avec ces simulations. »
« Je suis comme le centre d’un cercle dont tous les points sont à égale distance de lui ; il n’en est pas ainsi de toi. » (Je suis toujours le même, et toi tu changes.) Commentaire de Giuliani.
Commentaire du ch. XII.
Ballata, io vo’ che tu ritruovi amore…
L’Amour.
Ceci veut dire sans doute : c’était pour ne pas vous compromettre.
Commentaire du ch. XII.
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Extrait du chapitre XVIII


Alors ces dames commencèrent à parler entre elles. Et comme on voit tomber l’eau mêlée de belle neige, il me sembla entendre leurs paroles sortir mêlées de soupirs. Et après qu’elles eurent conversé ensemble, cette dame qui m’avait auparavant parlé me dit encore : « Nous te prions de nous dire où réside ta béatitude ». Et moi, lui répondant, je dis simplement : « Dans ces mots qui louent Madame ». Alors celle qui me parlait me dit : « Si tu nous disais vrai, ces mots que tu nous as adressés à ce propos en décrivant ta condition, tu les aurais autrement formulés ». Alors, y réfléchissant, je les quittai presque honteux et me disais à moi-même : « Puisque tant de béatitude réside dans ces mots qui louent Madame, pourquoi mes propos ont-ils été autres ? » Aussi décidai-je de prendre pour sujet de mes discours toujours ce qui serait une louange de cette très noble dame. Et, y pensant fort, je me dis que c’était un sujet trop élevé pour moi, de sorte que je n’osai commencer. Et je demeurai ainsi avec le désir de dire, mais la peur de commencer.


/nouvelle traduction de René de Ceccatty,
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