« Je n'étais pas le seul à m'intéresser au Zohar, au Tao, au bouddhisme, au soufisme, ou au gnosticisme chrétien. Un certain nombre d'entre nous partageaient le point de vue de McSculley et de Randrashankar, selon lequel le cerveau était une merveille de biotechnologie avancée, dont l'humanité cherchait désespérément le mode d'emploi depuis les origines. Nous étions de plus en plus nombreux à penser que les frontières et les « rideaux de fer » qui avaient divisé le monde de la conscience en deux rameaux antagonistes, la « science technique et rationnelle » d'un côté, le « mysticisme romantique » de l'autre, devaient être abattus.»
Je n'ai jamais lu de ma vie une quantité babylonienne d'auteurs mais, dans le cadre de la SF, c'est bien plus rare. Dantec, écrivain pourtant francophone et fortement médiatisé en plus, fait partie de ces étranges exceptions. Ayant reçu en MC une biographie de lui, j'ai décidé de lire un livre de lui au moins. Visiblement, beaucoup de gens considèrent les Racines du mal comme un de ses trois plus grands succès. J'y ai donc enterré mon innocence.
« Je me suis tourné vers la baie vitrée. La nuit recouvrait l'infinie galaxie urbaine qui étendait ses bras de lumière, là-bas, jusqu'à ce qui semblait l'autre bout de l'univers. Je me suis dit que tout ça n'était qu'une charmante illusion, qu'en fait, la galaxie lumineuse recouvrait un puits de ténèbres. L'envers du miroir, la face cachée du cauchemar urbain. Et quelqu'un se baladait dans ces ténèbres. Quelqu'un pour qui c'était son élément naturel. »
« Une expérience à côté de laquelle le plus mauvais des bad trips à l'acide ressemble à une fantaisie disneyenne. »
Les Racines du mal ou l'évangélisation du polar très noir. Le livre est en tout cas clairement millénariste.
« Ces textes reflétaient une vision extrêmement angoissée et parfois très pertinente du monde dans lequel nous vivons. »
On lit Dantec et on se demande si au-delà de la métaphysique et du polar cramé, l'auteur ne vampirise pas les déboires de notre société pour édifier une sorte de roman social du 21ème siècle mais néanmoins rempli d'humour noir, très noir. « Mettre le feu aux poudres », voilà une expression qui prend tout son sens avec Dantec. Une chose est sure, l'auteur sait prendre son temps tout en peaufinant la forme, on est pris dans « l'excitation de la chasse ».
« Compliqués, hein, les arcanes de la bureaucratie française ? ai-je laissé tomber, sarcastique. Ça a permis à un bon millier de gosses hémophiles de vivre une expérience médicale tout à fait passionnante dernièrement. »
« La France est sans doute la seule nation dont le philosophe emblématique (Pascal bien entendu) a pu affirmer que « les malheurs de l'homme ont commencé dès lors qu'il a voulu quitter sa chambre ».
C'est ce genre de pesanteurs qui m'avait déjà poussé à m'expatrier une première fois, en 1986. »
La France ou plutôt l'administration publique française en prend pour son grade régulièrement, l'auteur étale les manquements et ratés du système dans ses pages comme un gosse le Nutella sur sa tartine. Mais que l'on ne s'y trompe pas, c'est bien aux « fonctionnaires de la pensée », « bastilles intellectuelles », « pompes égocentriques » que l'auteur s'attaque, ce robot automatique et inhumain qui nous guette tous.
« Et vous savez que l'ennui répétitif produit frustration et surtout dépression, donc perte de l'image de soi, fluctuation chaotique des contours de la personnalité, à la recherche de stimuli extérieurs (…) C'est la « loi de frustration » qui veut que plus la frustration dure et plus les besoins qu'elle provoque sont exigeants... » »
De même, à la lecture de ce livre en couches multiples, qui semble très personnel et parle beaucoup de relations familiales et de filiations, on se demande clairement ce que l'auteur a inévitablement mis de lui dedans. Les figures du vengeur et celle du sacrifié/crucifié injustement sont en tout cas multiples dans le livre. Dantec avait-il vraiment le choix de faire autre chose que du Dantec ? Sans doute pas. La scène qui passe de l'explication des tueurs en série avec la société du loisir au cauchemar de l'AI est assez illustratrice de cela, à tous le moins pleine de second degré sur la psychologie d'une personnalité créatrice. On assiste comme à une phénomène de décompensation de l'inconscient face à l'incidence du conscient.
« Les ténèbres avaient sûrement envahi toute la planète aux alentours de 1945, et les nazis et les créatures de Vega avaient décidé de faire croire le contraire à toutes leurs populations sujettes ! Propagation de l'illusion, masquant un règne de cauchemar. »
Évidemment, l'hommage multiple à Phillip K Dick est à peine voilé tout au long du livre.
« Les Alpes ressemblaient à un animal posé sur l'étal du boucher. »
Le livre est allumé, son inspiration créatrice est chaotique comme un papillon qui se grille sur la flamme.
Il faut quand même dire que l'auteur utilise beaucoup les émotions, la peur pour cacher parfois une certaine pensée ésotérique voire un irréalisme.
« un peu de mauvaise science-fiction sous la forme d'écrits de Jimmy Guieu, de Jacques Bergier et Louis Pauwels, de Jean Edern Hallier et de Rika Zaraï. »
J'ai étudié les simulations numériques, le chaos et les fractales dans des cours spécialisés à l'université mais le prétexte général de Dantec, genre la vie et le cerveau sont chaotiques (parlant du quantique, il oublie d'ailleurs les phénomènes auto-organisés pour expliquer les « sauts »), est resté assez mystique pour moi tout le long du livre. Il est resté ce que c'était, une image pour se donner un genre, un prétexte fumeux à un style littéraire certain. Bref, je ne parlerai pas de hard science dans le cas de Dantec mais bien de (très) bonne SF. Par contre, il est clair que l'approche psychologique est un point fort de Dantec, il ose trancher dans la psyché.
« Les fleurs du mal, c'est parfois l'antidote de la racine. »
« Alors le feu devint livre. Ou l'inverse, cela n'avait aucune importance. »
En définitive, le livre nous suggère que, plutôt que de parler du mal sur cette planète, peut-être devrions nous plutôt parler de barbarie face à l'intelligence, celle-là même qui se lie par essence à l'univers, celle-là même qui regarde son absence pour y voir des germes de création. Comme dirait l'autre, derrière tout cynique se cache un grand idéaliste.
+ Lire la suite