Une rencontre. Celle de la narratrice et d'un romancier. Elle est l'aboutissement d'une longue correspondance. L'auteur est embarrassé par l'allure joufflue de la fille, tandis que celle-ci est déçue de la désinvolture avec laquelle il l'a quittée à une des bouches du métro parisien. Elle espérait trouver en lui un recoin où se recaser, sorte de bouée de sauvetage pour mettre fin au vide dans lequel elle se noie. Elle se réfugie de nouveau dans les livres, la photographie et le cinéma, tout en connaissance de cause : l'art ne sauve pas parce qu'il est toujours mitigé, il n'a ni commencent ni fin ou plutôt son commencement est sa propre fin et vice versa. D'ailleurs le nom de l'école où elle suit des études cinématographiques le révèle à juste titre : « EndC ». Entendez, fin commencement.
La jeune narratrice, anti-héroïne, est toute diffuse, presque insaisissable. Son quotidien lui échappe, elle ne sait où elle va, sa vie semble être une plume voletant au gré du vent, sans but, sans destination particulière. Il ne lui reste alors plus que l'amour. L'ultime tremplin pour redorer peut-être son blason, sacrifier au conformisme, être comme les autres. Toutefois inconstante et fluctuante, elle change d'amants comme de chemisiers. A Joseph, elle sert d'alcôve. Jim, aux mains magiques, est une figure angélique, donc un indomptable. Pour Serge, marchand d'art, elle constitue elle-même une oeuvre artistique qu'il aime à contempler, nue. Yann, le taciturne, est peut-être le rivage vers lequel elle pourrait dériver pour renouer avec la terre ferme. Mais ce dernier demeure si indifférent de la vie qu'il semble vivre au bord de l'existence.
Génica. Qui est-elle en fin de compte ? La narratrice ou l'héroïne dans la peau de laquelle la première voudrait s'insinuer ? L'une et l'autre se confondent et se dissocient incessamment. Une tangente au sens propre et figuré. Ligne vide qui se confond avec la courbe d'un monde angoissant obéissant à la tyrannie de l'orthodoxie.
En tournant la dernière page du roman, on semble indéfectiblement lié à la vacuité du scénario et des personnages. Une intention bien délibérée d'Anima Danton signant là son premier livre. Ainsi, le film réalisé par la narratrice et projeté à la chute du roman n'est rien d'autre qu'une critique interne de l'ouvrage. Selon Monteret, professeur émérite de cinéma, il s'agit d' « un film de photographe, sans action véritable, une flânerie introspective, aux accents romantiques, une « stylistique » du désert là où on attendrait légitimement une vision neuve ». Et un autre critique de rebondir : « un film un peu dépressif, un peu sévère, austère, sec et âpre… une sorte de poème cinématographique ».
Le livre et le style de la romancière s'imbriquent parfaitement dans cette recension. Son écriture vibre d'une poésie scintillant sans éblouir le lecteur.
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Mes journées passaient comme moi, sans but ni fin, je n’en attendais rien. Je me rêvais en Génica (mince, en jeans, sortant d’une galerie de photos qui organisait ma première expo. Je courais, heureuse, vers un homme au bout de la petite rue pavée où la galerie était nichée). J’avais toujours l’apparence de ce mollusque à l’air maussade qui donnait à ma mère des envies de meurtres. Mais mes rêves me tiraient par la manche. Je savais que Génica pouvait contourner ma peur des gens, faire de moi-même un pont au-dessus du vide. Elle était celle que j’aurais dû être le jour de ma rencontre avec Pierre. Cette fille était décisive, il fallait la faire apparaître. Mais la fille en moi qui avait été si jolie, si sage, si silencieuse, si bien rangée derrière sa maman, qu’allait-elle devenir ?
Je prenais des photos en silence, heureuse d’être sans pensées, sans attente. Etre belle, être Génica, c’était cela : marcher dans les rues et se sentir étale. On peut devenir belle et continuer d’être seule. Je n’étais pas dupe sur ce point.
Amina Danton - La Tangente
Amina Danton présente La Tangente (Gallimard, 2009)