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EAN : 9782707156822
497 pages
La Découverte (20/01/2009)
4.18/5   11 notes
Résumé :
Il est devenu banal de dénoncer l'absurdité d'un marché omniscient, omnipotent et autorégulateur. Cet ouvrage montre cependant que ce chaos procède d'une rationalité dont l'action est souterraine, diffuse et globale. Cette rationalité, qui est la raison du capitalisme contemporain, est le néolibéralisme lui-même. Explorant sa genèse doctrinale et les circonstances politiques et économiques de son déploiement, les auteurs lèvent de nombreux malentendus : le néolibér... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
« La nouvelle raison du monde » est une somme qu'il est impossible de résumer en quelques lignes. Il faut ici brosser à gros traits la démarche et donner seulement quelques-unes des conclusions. D'une grande érudition, ce livre, qui réclame une véritable attention de la part du lecteur, est une invitation pressante à pousser la critique théorique et sociale de l'ordre néolibéral au-delà des analyses les plus ordinaires.


Ce qui est en jeu avec le néolibéralisme, c'est la forme même de nos existences, absorbées tout entières qu'elles sont par l'odieux totalitarisme de la concurrence généralisée. Pour arracher nos vies aux vies de travail auxquelles elles sont si médiocrement rabaissées, il convient aujourd'hui de penser le milieu dans lequel nous vivons, agissons et nous transformons ; penser l'environnement où nos activités reproduisent les conditions mêmes de l'aliénation. Nous ne sommes pas en effet en face du néolibéralisme mais dans son monde, dans un univers global qui intègre toutes les dimensions de l'existence humaine, nous sommes « dans la mer sans savoir la mer ». de ce milieu enveloppant, avec Pierre Dardot et Christian Laval, il convient de faire l'inventaire et, si faire se peut, il convient aussi de s'en extraire.


Les deux auteurs dans ces pages conçoivent les libéralismes comme des dispositifs globaux, c'est-à-dire discursifs, institutionnels, politiques, juridiques et économiques ; des machines complexes, mouvantes, susceptibles de reprises et d'ajustements en fonction du surgissement éventuel d'effets indésirables. Les libéralismes sont pour les deux essayistes des mécaniques de nature essentiellement stratégique (comme l'entend M. Foucault). C'est-à-dire qu'elles se constituent à partir d'interventions concertées destinées à modifier les rapports de force dans une direction donnée. Ces efforts ont naturellement pour but d'atteindre des objectifs donnés, objectifs qui ne relèvent cependant en rien d'intentions préétablies et qui semblent au contraire s'imposer aux acteurs. C'est cette lanterne-là qui éclaire tout le nécessaire travail « universitaire » entrepris dans « La nouvelle raison du monde ».


Dans un premier temps, les auteurs exposent de manière extrêmement détaillée les travaux du libéralisme des origines. Ils les décrivent comme obsessionnellement préoccupés de droit de propriété et de limites à opposer aux gouvernements. Quatre siècles ainsi de pensée libérale sont passés au crible soulignant ses permanences et ses écarts théoriques.


Dans un second temps, ce sont les raisons d'une rupture avec le premier libéralisme en crise et les nouveaux modèles qui sont examinées par Christian Laval et Pierre Dardot. le modèle atomistique de l'individu et du marché parfaitement concurrentiel ne correspondant pas au système existant, les néolibéralismes (ordo-libéralisme allemand et néolibéralisme austro-américain) théorisent et mettent donc empiriquement en place, contre le laisser-faire, un interventionnisme proprement libéral. Ils créent pour ce faire consciemment un ordre légal à l'intérieur duquel l'initiative privée soumise à la concurrence puisse se déployer en toute liberté. Il n'y a pas pour eux en effet de subordination à un ordre naturel ; il n'y a pas d'avantage d'indépendance de l'économie à l'égard des institutions sociales et politiques ; il y a un caractère construit du marché. le capitalisme concurrentiel nécessite pour les néolibéraux une surveillance et une régulation constantes ; une adaptation aux conditions changeantes ainsi qu'une politique d'aide à la réalisation des équilibres. L'économie fondée sur la division du travail et réglée par le marché est un système de production qui ne peut pas être, croient-ils, fondamentalement modifié. Aussi, à la révolution permanente des méthodes et des structures de production doit répondre pour les néolibéraux une adaptation permanente des hommes (modes de vie et des mentalités) et des institutions (entretenir les conditions de fonctionnement du système concurrentiel) qui nécessite une intervention de tous les instants de la puissance publique.


Dans un dernier temps enfin, il est question de la nouvelle rationalité néolibérale. La concurrence, nouvelle raison du monde, est désormais la norme de la construction du marché, la norme de l'activité des agents économiques ; elle est aussi celle de la construction des états et de leurs actions pour être celle enfin des sujets-entreprises d'eux-mêmes. Elle efface ainsi la séparation entre la sphère privée et la sphère publique. Cette nouvelle rationalité est a-démocratique parce qu'il y a dans ce nouveau monde une dilution du droit publique au profit du droit privé, une conformation de l'action publique aux critères de rentabilité, une dévaluation de la loi comme acte propre du législatif, un renforcement de l'exécutif et des pouvoirs de police, une promotion du citoyen consommateur d'offres politiques concurrentes … Dans ce monde l'administration publique est technicisée à outrance au détriment des considérations politiques et sociales. L'égalité de traitement et l'universalité des bénéfices sont remis drastiquement en cause. Les sujets n'ont pas de droits mais bénéficient, en échange d'un comportement attendu ou d'un coût direct pour eux, de prestations. La société néolibérale en effet ne doit rien au citoyen qui n'a dorénavant rien sans rien. La nouvelle rationalité prône ses propres critères étrangers aux principes moraux et juridiques de la démocratie. L'état d'exception est maintenant un état permanent. Lorsque la performance est le seul critère d'une politique qu'importent en effet le respect des consciences, la liberté de pensée et d'expression, qu'importe le respect des procédures démocratiques. Dans ce monde, la démocratie est réduite à une procédure unique de sélection des dirigeants, elle doit être jugée sur ses résultats et non sur les valeurs qui prétendument la fondent. le néolibéralisme s'élève contre la soi-disant tyrannie de la majorité. Cette nouvelle rationalité est toujours a-démocratique parce que sa valeur suprême est la liberté individuelle comprise comme la faculté laissée aux individus de se créer pour eux-mêmes un domaine protégé et non la liberté politique comme participation directe aux choix.


Faute de pouvoir rendre compte ici de la totalité de l'ouvrage, retenons simplement quelques-unes de ses conclusions. Il est possible de relever quatre grands traits qui caractérisent la raison néolibérale. Premièrement, le marché est une réalité construite qui requière l'intervention active de l'état ainsi que la mise en place d'un système spécifique. le discours libéral n'est pas articulé à une ontologie quelconque de l'ordre marchand. Deuxièmement, l'ordre de marché ne réside pas dans l'échange mais dans la concurrence définie comme une relation d'inégalité entre différentes unités de production. Construire le marché implique donc de faire valoir la concurrence comme norme générale des pratiques économiques et de veiller à son respect. le rôle de l'état est de mettre en place l'ordre-cadre constituant la concurrence et de le superviser. Troisièmement, l'état est soumis dans sa propre action à la norme de la concurrence avec primauté absolue du droit privé. L'état est tenu de se regarder comme une entreprise en ce qui concerne son fonctionnement interne et sa relation aux états. Quatrièmement enfin, la norme de la concurrence atteint directement les individus dans les rapports qu'ils entretiennent avec eux-mêmes. Chacun est une entreprise avec un capital à faire fructifier.
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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
La croyance selon laquelle la crise financière sonne d'elle-même la fin du capitalisme néolibéral est la pire des croyances. Elle fait peut-être plaisir à ceux qui pensent voir la réalité se porter au-devant de leurs désirs sans qu'ils aient à bouger le plus petit doigt. (...) Elle est au fond la forme de démission intellectuelle et politique la moins acceptable. Le capitalisme néolibéral ne tombera pas comme un "fruit mûr" du fait de ses contradictions internes. Il n'y a rien que des hommes qui agissent dans des conditions données et qui cherchent par leur action à s'ouvrir un avenir.
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Il est frappant de constater à quel point la mise en question des droits sociaux est étroitement liée à la mise en question des fondements culturels et moraux, et pas seulement politiques, des démocraties libérales. Le cynisme, le mensonge, le mépris, le philistinisme, le relâchement du langage et des gestes, l'ignorance, l'arrogance de l'argent et la brutalité de la domination valent des titres à gouverner au nom de la seule "efficacité". Quand la performance est le seul critère d'une politique, qu'importe le respect des consciences, de la liberté de pensée et d'expression ...
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À la gouvernementalité néolibérale comme manière spécifique de conduire la conduite des autres, il faut donc opposer un double refus non moins spécifique : refus de se conduire vis-à-vis de soi-même comme entreprise de soi et refus de se conduire vis-à-vis des autres selon la norme de la concurrence. (...) L'invention de nouvelles formes de vie ne peut-être qu'une invention collective, due à la multiplication et à l'intensification des contre-conduites de coopération.
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L'État est désormais tenu de se regarder lui-même comme une entreprise, tant dans son fonctionnement interne que dans sa relation aux autres États. Ainsi, l'État, auquel il revient de construire le marché, a en même temps à se construire selon les normes du marché.
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Mieux vaut dire que le capitalisme s'est réorganisé sur de nouvelles bases dont le ressort est la mise en œuvre de la concurrence généralisée, y compris dans l'ordre de la subjectivité.
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Vidéo de Pierre Dardot
Psychiatrie, psychanalyse, psychothérapie institutionnelle
Avec la participation de Alain ABRIEU, Guillaume ALEMANY, Anna ANGELOPOULOS, Nathalie AZAM Patrick BELAMICH, Loriane BELLAHSEN, Christophe CHAPEROT, Corinne CHEMIN, Patrick CHEMLA, Jérome COSTES, Pierre DARDOT, Françoise DAVOINE, Pierre DELION, Mathilde HAMONET, Pascale HASSOUN, Pierre KAMMERER, Leila LEMAIRE, Laurence MARCHAND, Faika MEDJAHED, Simone MOLINA, Theodore MYSTAKELIS, Okba NATAHI, Anna PARE ANASTASIADOU, Virginie PERILHOU, Benjamin ROYER, Kathy SAADA, Marie-Claude TALIANA Voir moins [-]
La pandémie nous aura confrontés à la mort et au risque de désagrégation dans les collectifs de soins. Comment arriver malgré tout à rester vivants, animés d'un désir travaillé pour s'engager dans la rencontre transférentielle ?
« Nous ne saurions évoquer nos enjeux cliniques en escamotant la pandémie qui est venue brutalement objectiver la possibilité de la mort. Plus ou moins désavouées, les forces de déliaison ont mis à mal les Collectifs, les atomisant, renvoyant chacun à une lutte pour sa survie personnelle. Cette attaque des liens vivants renvoie à une entame de la confiance dans le Monde. Ce qui reste problématique et difficilement transmissible concerne la capacité de chaque thérapeute, de chaque soignant à "entrer dans la danse" (Françoise Davoine). Gisela Pankow parle fort justement de descente aux enfers à propos de cette "approche du dedans", et donc du partage de zones de catastrophe, voire des "aires de mort" psychiques évoquées par Gaetano Benedetti. le thérapeute ou le soignant s'y risque, avec son corps et son être au monde, sans l'appui rassurant d'une "pensée héritée".
Miser sur le désir inconscient suppose sans doute une sorte d'acte de foi laïque dans l'inconscient : il s'agirait de produire une première forme, une Gestaltung, "forme formante" génératrice de l'espace à construire, et peut-être d'une historicité pour le sujet potentiel du transfert. La biopolitique de la peur, bien envahissante actuellement, renforce la nécessité d'un "désir travaillé" qui affronte la catastrophe et ses conséquences aléatoires : dislocation des liens vivants, ou à l'inverse émergence de solidarités nouvelles et de surgissements imprévisibles. » P. C.
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