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Critique de Pujol


Darien. Ce n'est plus un nom, ni même l'acronyme de Georges Hippolyte Adrien. C'est un cri, une injonction, un slogan presque : Da ? Rien ! Pas de compromis ni de voie médiane. Cet homme issu de la petite bourgeoisie va rapidement se mettre en rupture avec ce petit monde et avec la société de manière plus générale. Ecorché, révolté, Darien ! Ne pas respecter les limites établies, barrières opposées à l'homme que l'on veut faire veau.

Lucien DESCAVES le décrit ainsi : « Lèvres minces, regard aigu, moustaches de chat roux, mâchoires serrées et les muscles sous la peau. le monsieur pas commode auquel il ne fallait pas se frotter.»

L'évènement fondateur de sa biographie est son passage à Biribi, soit les Bat d'Af, à Gafsa, l'un des camps disciplinaires situés en Tunisie pour les soldats insoumis et défiant l'autorité militaire. 33 mois d'humiliation, de vexation, de travaux forcés et d'enfer sous la brûlure d'un climat homicide. Lui, le patriote, engagé volontaire, va subir la violence étatique. Il en sortira écoeuré de la société, de l'armée, de l'école, de la religion et surtout déterminé à rendre les coups. L'esprit aiguisé par la violence légale subie, il n'aura pas de cesse d'attaquer, de remettre en cause et de franchir les bornes qu'il n'accepte plus.

Fréquentant les milieux artistiques et anarchiques participant à leurs journaux aux titres évocateurs - L'Escarmouche, L'En-dehors, L' Ennemi du peuple - sous son nom ou sous des alias, il gueule sa haine face aux comportements appris, aux soumissions volontaires.

Il noircit la neige des pages comme d'autres ont posé des bombes. Il échappe aux catégories, se dit anarchiste face aux bourgeois et libertaire face à l'anarchie . Anarcho-individualiste peut-être si cela signifie vraiment quelque chose, à contre-pied sûrement.

Sa biographie ne lui connaissant pas de revenus réguliers, on va vite l'identifier à Georges Randal, le personnage principal du “voleur”. Les deux se rendent en Angleterre, Darien pour fuir les lois scélérates et Randal pour continuer ses larcins de “déloyal européen”.

Les détails, la connaissance de certaines techniques et outils du métier tendent à renforcer cette impression. le vol, c'est d'ailleurs “ la reprise individuelle”, un autre terrain d'action anarchiste, quand d'autres lancent des engins explosifs.

Le roman craque, semble ne pas suffire à sa rancoeur. D'ailleurs, dès l'avant-propos il explique que ses mots ne lui appartiennent pas et qu'il les a volé à un voleur. Il n'a donc pas pu corriger, amender, contredire, étant donné le péché originel dont il était responsable. Un voleur ne peut juger un autre voleur. Ceci lui permettant d'expliquer la violence du propos non contenue.

Comme dans la vie de Darien et l'épisode du bataillon disciplinaire, Randal bascule le jour où il comprend qu'il a été spolié de son héritage par son propre oncle. Son monde s'écroule et il découvre que son éducation, son apprentissage et le rôle que la société lui a assigné ne sont que les barreaux d'une cage où l'on souhaite le voir crever gentiment. Calmement.

C'est la révolte et le début d'une plongée dans les eaux troubles du monde des voleurs d'où paradoxalement sa vision du monde et des gens va s'éclaircir pour devenir lumineuse et sans concession.

Le vol comme libération, destruction de la propriété, triomphe de l'instinct et de l'intuition sur la passivité bourgeoise.

Le roman pour Darien doit être un prélude, une invitation vers l'action et le passage à l'acte. Cet ouvrage est une arme. Il est d'une grande force. C'est direct, c'est percutant, c'est provocant. La société est dans la ligne de mire et Darien appuie sur la gâchette. La balle a été tirée en 1897 et elle atteint toujours sa cible en 2020. Sa verve est si acérée qu'elle blesse encore aujourd'hui et qu'elle nous étonne.

Qui peut encore écrire comme on hurle, aujourd'hui ?

Darien. Cet “animal de combat”

Merci à vous M. Darien pour cette fraîcheur de plus d'un siècle et pour m'avoir fait découvrir en suivant votre sillage, un autre homme étonnant : Marius Jacob.

Et merci à toi Philou pour cette découverte. : )
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