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EAN : 9782253936855
336 pages
Le Livre de Poche (03/05/2023)
3.45/5   177 notes
Résumé :
Il existe une légende urbaine qui circule dans les palais de justice et les commissariats : si un jour votre chemin croise celui d’un énorme dossier intitulé Le Rapport chinois, ne l’ouvrez pas. On parle de malédiction, on prétend que sa lecture rend fou. Certains disent qu’il a quelque chose à voir avec les cartels de la drogue ; pour d’autres, c’est le manifeste d’un complot mondial. Quelques-uns parlent d’un texte visionnaire. Tous décrivent sa lecture comme une ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (49) Voir plus Ajouter une critique
3,45

sur 177 notes
Après le syndrome et le virus, le rapport. Ils sont partout.
Point de chinoiseries entre nous, Tugdual Laugier, le héros du premier roman de Pierre Darkanian, est un insupportable crétin. Il collectionne les tares comme d'autres les fèves des galettes. Une fréquentation à avoir pour se rassurer quand on doute de soi, un champion toutes catégories dans un dîner de cons.
Un égo démesuré inversement proportionnel à ses compétences, qui se trouve conforté quand le jeune homme est recruté par un cabinet conseil international avec un salaire de 7000 euros par mois. C'est cher payé ramené aux neurones. Pour ce premier job, une seule exigence : la plus stricte confidentialité. Une consigne qui n'est pas trop difficile à suivre puisque durant trois ans, aucune mission ne lui est confiée. Il ne croise presque aucun collègue dans des locaux désespérément vides et occupe son temps à ne rien faire avec une certaine efficacité. La motivation initiale s'étiole peu à peu et Tugdual occupe le vide de ses journées en répétant sans cesse qu'il est débordé, mantra bien connu autour des machines à café. Sa principale occupation concerne le choix du restaurant pour le déjeuner et à rabaisser son épouse aimante. Tugdual prend du poids et la grosse tête le jour où un associé de la société lui confie enfin une mission : rédiger un rapport à destination d'un gros client qui se trouve être chinois et désireux d'investir en France.
Le péroreur Tugdual Laugier va pondre un document de 1084 pages qui compile des copiés-collés d'articles du net et des banalités consternantes. Fier de son oeuvre, héritier mégalo de Bouvard et Pécuchet, Tugdual se voit arriver au sommet. Ce rapport devient une gorgone qui ne transforme pas ceux qui l'ouvrent en statue de pierre, mais qui provoque des lésions irréversibles de la raison. La bêtise tue.
Dans ce roman, le lecteur n'attend qu'une chose : la chute du héros. Elle ne manque pas d'arriver, au-delà de toutes ses espérances les plus cruelles. Et si l'activité de ce cabinet n'était que le paravent d'une arnaque financière gigantesque ? La police va s'en mêler et le héros s'emmêler.
Ce roman très drôle est une preuve par l'absurde de l'artificialité de certains métiers et de celui de consultant en tout genre en particulier. Brasseurs d'idées toutes faites dans de jolies présentations énumérant des platitudes pré-cuisinées qui flattent les clients pour leur esprit innovant.
C'est aussi un questionnement beaucoup plus sérieux sur le vide de l'existence et la prédominance de la forme sur le fond qui guide la vie en société.
L'histoire se déroule en 2008 et cela ne relève pas du hasard avec la crise des subprimes et l'affaire Madoff. L'art de spéculer sur du néant aurait inspiré Kafka. Toute chose n'étant pas égale par ailleurs, ce roman n'a pas la force littéraire de l'auteur du Château ou du Procès. L'épouse un peu nunuche de Tugdual aurait mérité un meilleur traitement, la première partie consacrée à l'inactivité du héros traîne comme ses journées, en longueur et langueurs, mais j'ai beaucoup souri aux bouffonneries de ce personnage avec une mention spéciale pour Relot, l'associé bien perché qui ne parle de lui qu'à la troisième personne.
L'histoire a une fin mais la bêtise de Tigdual est éternelle. Un dénouement très réussi qui souligne que l'homme est incorrigible. Condoléances aux coachs. L'absence de morale est sauve.

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Bon ! il va bien falloir que je m'y mettre à rédiger cette critique, mais je quitte ce livre en ayant vraiment l'impression d'être en vrac, d'essayer de me rassembler, parce que sérieusement, je me suis éparpillée dans ce roman et je ne sais plus qu'en penser.

Un peu par obligation, je me suis retrouvée dans la peau de cet idiot de Tugdual Laugier, (vous le constaterez par vous-même), obligé à écrire un rapport chinois après un bon moment d'inactivité, ou si, pardon ! Quelques années ou, par la force des choses, il devint chef des crayons à papier, des cravates avalées, virtuose des flatulences et avaleur de buchettes de sucre. Puis vint l'ordre de concocter un rapport, lui qui n'en avait jamais écrit, glanant les idées ici et là sans toutefois s'étaler, car il faut dire que la confidentialité est le maître mot de l'agence Michard, bien pratique pour taire quelques actions douteuses .

On prend alors conscience que ce récit est bien plus construit et rigoureux qu'il n'y paraît, grâce à un auteur maniant l'absurde en spécialiste, pour mon plus grand plaisir, et c'est avec un sourire jusqu'aux oreilles que j'ai dévoré la première partie qui pouvait rappeler Boris Vian sans toutefois une once de surréalisme. C'est qu'on bosse chez Laugier, on ne rigole pas, on fait un rapport de mille quatre-vingt quatre pages, et on y laisse sa santé, sa vie sentimentale, voire sa dignité. On bosse avec du vent en brassant bien de l'air, mais on bosse pour pondre ce pavé qui collera la migraine aux policiers, magistrats et autres experts, car on suspecte, on suspecte, on ne sait pas quoi ... Mais on suspecte !

Première partie fort divertissante donc, la deuxième peut l'être aussi, si la finance et son jargon vous parlent... Personnellement, j'ai arrêté de sourire jusqu'aux oreilles dans cette deuxième partie parce que les finances, ce n'est pas mon truc.

et puis j'ai recommencé à sourire dans les cent dernière pages...

Admirable et surprenant premier roman vivant, ô combien vivant avec son écriture énergique qui laisse le lecteur sans répit du début à la fin.
Lien : https://1001ptitgateau.blogs..
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Tout commence comme dans un rêve pour Tugdual Laugier, un recrutement rapide, au sein d'une entreprise qui semble prospère, un salaire conséquent et une consigne fondamentale, la discrétion. Quant au job, il faudra des heures de massacre de crayons à papier, d'auto-challenge de buchettes de sucre englouties, et d'ingestion de cravates enroulées pour que se pointe une vraie tâche : la rédaction d'un rapport !
Ce n'est pas un tir-au flanc, Tugdual, alors il y met tout son savoir faire, c'est à dire le copié-collé !

La description de cet univers absurde et il faut l'avouer hilarant se traduira dans la deuxième partie du roman par une toute autre réalité…

C'est un roman malin, qui sait révéler peu à peu son but, et qui tient autant de la farce désopilante, que du polar sur fond de trafic international. Mais toujours avec dérision et humour.

Les personnages sont drôles, par leurs excès et leur talent pour rebondir sur les incohérences du système, avec des réactions aussi stupides qu'irrationnelles.

Un premier roman dont j'ai vraiment aimé le ton décalé.

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Le voyage en Absurdie de Tugdual Laugier

Pierre Darkanian réussit une entrée remarquée en littérature. Si l'on rit – jaune – dans «Le rapport chinois», c'est que les tribulations d'un jeune cadre dressent un portrait féroce du capitalisme sauvage.

C'est après une batterie de tests assez bizarres que Tugdual Laugier a été recruté par un tout aussi bizarre cabinet conseil. Même s'il trouve les règles de fonctionnement de Michard & Associés aussi strictes qu'incompréhensibles, il accepte de s'y plier, car la rémunération est aussi attractive que la perspective de missions intéressantes. La suite ressemble plus à un chemin de croix qu'à une ascension fulgurante.
Pendant trois ans, il ne se verra confier aucune mission, passant de l'attente patiente au découragement. Il joue avec sa cravate et avec ses crayons de papier et peut mettre se permettre de tester ses flatulences. Après tout, ce métier ce n'est que du vent! Mais pourquoi chercherait-il un nouvel emploi? Il gagne bien sa vie, peut offrir une vie agréable à Mathilde, sa compagne et se voit même affublé d'une évaluation élogieuse!
Arrive alors le jour de la mise à l'épreuve. On lui demande de rédiger un rapport sur les perspectives de développement d'un client chinois sur le marché français. S'il ne sait pas trop par quel bout prendre cette mission, il va tout de même finir par rédiger un rapport de plus de mille pages, aidé par Mathilde qui va lui susurrer l'idée qui enthousiasmera ses clients. La mini-viennoiserie à la française peut partir à l'assaut du monde! Pour le reste, Wikipédia et internet, des listes de menus de restaurants chinois ou encore l'assortiment d'une boulangerie feront l'affaire.
Ce que Tugdual ignore, c'est que les activités du cabinet sont sous surveillance, la section financière soupçonnant des transactions illicites et un trafic de drogue à grande échelle. C'est pourquoi la commissaire Fratelli va élaborer un plan basé sur la collaboration du rédacteur du rapport chinois.
On l'aura compris, c'est le capitalisme sauvage dans toute sa splendeur que cette satire habilement construite dénonce au fil des pages. On y retrouve d'ailleurs des allusions à la crise des subprimes et à l'Affaire Madoff, aux sociétés offshore bien cloisonnées, aux travaux fictifs et aux rémunérations délirantes. Mais comment démanteler un monde qui ne repose sur rien?
Si ce voyage en Absurdie n'était pas aussi drôle, il en deviendrait presque inquiétant. Gageons que vous n'oublierez pas de sitôt Tugdual Laugier, mégalo autant que malhonnête. Il vient prendre place aux côtés de Ignatius J. Reilly, l'odieux personnage principal de la conjuration des imbéciles de John Kennedy Toole, dans la galerie des paranos inoubliables, des imbéciles qui se prennent pour des génies et qui – comme le laisse suggérer la couverture du livre – finissent toujours par chuter.


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Tugdual Laugier est recruté par un grand cabinet de conseils en investissements dont le maître mot est « confidentialité ». Moyennant un salaire de 7000 euros par mois, Tugdual se retrouve dans un bureau à .. ne rien faire. Ne rien faire sauf jouer avec ses crayons, sa cravate, péter. Oui. Péter. En toute confidentialité. Quoique.
Quand enfin après quelques années de tranquillité, un associé, le « drôle d'oiseau » Relot, vient lui confier la mission de rédiger un rapport sur la Chine, Tugdual se jette à corps perdu dans cette tâche et construit une somme de 1084 pages de rien, de vide, un vide sidéral qui stupéfiera plus d'un lecteur qui tombera sur le dossier colossal.

Je suis partagée dans mon ressenti sur ce roman.
Que le personnage de Tugdual m'a agacé ! Il n'est pas seulement paresseux. Il est aussi égocentrique, suffisant, vantard, geignard et j'en passe… Ses échanges avec sa compagne qui sont censés être drôles font d'abord vaguement sourire, puis deviennent vite lassants voire énervants.
Quant au Relot… Si je comprends la notion de comique de répétition ses « zozozo » « ding, ding, dong » ont fini par vraiment m'exaspérer.
Pourtant, sur le fond il a quand même quelque chose ce roman…
Le vide…. Vide du rapport bien sûr, vide de la vie de Laugier qui s'en contente bien puisqu'il est payé grassement pour le combler avec rien, vide des couloirs et bureaux de la société Michard, la vacuité de notre société qui est fondée sur l'argent qui ne repose sur rien si ce n'est la confiance qu'on peut lui accorder, le vide de la télé dans laquelle se réfugie la pauvre commissaire porteuse elle aussi d'un dossier vide, le vide de youtube…
Oui, je sais avec rien on ne va pas loin et pourtant…
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critiques presse (5)
Telerama
15 mai 2023
De cette histoire un rien kafkaïenne, et tellement d’aujourd’hui, Pierre Darkanian tisse la trame d’un premier roman plutôt piquant dans sa satire du monde de la finance.
Lire la critique sur le site : Telerama
LeMonde
20 septembre 2021
Si la fiction littéraire prête parfois à sourire et procure d’intenses joies, rire continûment aux éclats en lisant un livre constitue un phénomène assez rare. Aussi convient-il de décerner, en cette rentrée, le grand prix de l’humour à ce récit qui dépeint les heurs et malheurs d’un duo d’idiots sur fond d’escroquerie à la Madoff.
Lire la critique sur le site : LeMonde
LaCroix
14 septembre 2021
Suivant un jeune homme imbu de lui-même, ce premier roman part à la conquête du monde du travail et de l’absurdité.
Lire la critique sur le site : LaCroix
LaTribuneDeGeneve
06 septembre 2021
«Le rapport chinois», un premier roman à mourir de rire.
Lire la critique sur le site : LaTribuneDeGeneve
Actualitte
22 juin 2021
Le premier roman de Pierre Darkanian, Le rapport chinois est une corde tendue par-dessus l'absurdité du monde moderne.
Lire la critique sur le site : Actualitte
Citations et extraits (26) Voir plus Ajouter une citation
Tout trafiquants qu'ils étaient, les individus qu'elle traquait depuis 25 ans avaient à leur crédit d'effectuer quelque chose : certains faisaient le guet pendant que d'autres vendaient la came au bas des immeubles, acheminaient la marchandise d'un continent à l'autre, négociaient sur place avec les producteurs... Ces gens-là partageaient la valeur travail. À risque élevé, salaire élevé. Et puis, il y avait une logique mercantile classique dans ce système : la rencontre d'une demande et d'une offre autour d'un produit marchand. Ce que commençait à lui révéler l'affaire Chinagora, ou le scandale Madoff, était que cette logique comptable, dernier bastion de la notion d'effort et d'utilité sociale dans l'univers de la délinquance, tendait à s'estomper. Bien sûr, pour mettre en place des montages financiers pareils et faire comme si de rien n'était pendant quinze ans, il fallait bien un peu de jugeote, mais la commissaire Fratelli ne pouvait s'ôter de l'esprit que tout cela reposait sur du vide. D'ailleurs, [elle] avait bien moins d'amertume vis-à-vis de Madoff, qui assumait l'illégalité de son entreprise et qui finirait ses jours en prison, que vis-à-vis des financiers de Wall Street et de la City dont l'appât pour le gain avait mis le monde sens dessus dessous et dont il était déjà tout aussi clair qu'aucun ne serait jamais inquiété par la justice.
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Ils ne volaient personne. Si des centaines d'insensés avaient cru faire fortune en se contentant de recevoir chaque année une infime partie de ce qu'ils avaient eux-mêmes viré auparavant sur le compte d'une coquille vide, alors le capitalisme était un jeu de dupes. Zhou et Michard n'avaient fait qu'insuffler une croyance à laquelle la foi cupide des investisseurs avait donné corps, celui d'une ligne de chiffres sur un compte bancaire.
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On peut pas les mettre en garde à vue parce qu'ils passent leurs journées à enculer les mouches ! À ce rythme-là, c'est la moitié de la France qui finirait derrière les barreaux.
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(Les premières pages du livre)
Pour intégrer le cabinet Michard & Associés, Tugdual Laugier avait dû passer deux tests de recrutement que le chasseur de têtes avait respectivement intitulés « test productif » et « test d’aptitudes ». Le premier consistait à rédiger en une semaine un mémoire d’une trentaine de pages, sur le thème du « rouleau ». Il s’agissait d’un exercice classique conçu par les recruteurs afin de jauger le comportement du candidat dans une situation de stress. Sans aucune information complémentaire, mais sans se laisser déconcerter, Tugdual avait planché sur le rouleau à pâtisserie, le rouleau de scotch, le rouleau compresseur, les rouleaux du Pacifique, les rouleaux de printemps, le rouleau de peinture, le rouleau à gazon, et il parvint même à trouver une problématique commune à tous ces rouleaux, à savoir la question du déroulé, et surtout à se passionner pour son travail. Fier de son ouvrage, Tugdual remit, dans les délais impartis, un mémoire de cent cinquante feuillets entre les mains du chasseur de têtes qui l’adressa à son tour aux recruteurs de Michard & Associés, non sans avoir pris soin de le féliciter pour son « très beau boulot » bien qu’il ne l’eût pas lu. Tugdual n’en entendit plus jamais parler.
Pour le test d’aptitudes, Tugdual fut convoqué dans un centre d’affaires du 16e arrondissement de Paris où, lui avait dit le chasseur de têtes, son futur employeur avait réservé une salle afin de lui « faire passer toute une batterie de tests ». À 8 heures, Tugdual fut installé par une hôtesse d’accueil dans une pièce qui ne disposait que d’une chaise et d’un bureau sur lequel l’attendaient une machine à café, un plateau-repas, un crayon et une liste de huit questions auxquelles il convenait de répondre par oui ou par non :
1. Êtes-vous mauvais perdant aux jeux de société ?
2. La vie est-elle pour vous une balade en barque ?
3. Êtes-vous prêt à tout pour arriver à vos fins ?
4. Êtes-vous perfectionniste ?
5. Souhaitez-vous toujours être premier dans tout ce que vous faites ?
6. La vie appartient-elle à ceux qui se lèvent tôt ?
7. L’argent contribue-t-il au bonheur ?
8. Pouvez-vous vous contenter du correct ?
Tugdual avait répondu oui-non-oui-oui-oui-oui-oui-non. À 8 h 15, il avait posé son stylo, craignant d’être espionné et mésestimé s’il y accordait davantage de temps, et il patienta jusqu’à ce qu’on voulût bien lui apporter d’autres formulaires. On ne lui apporta rien. Seul dans la petite pièce qu’il ne quitta que pour se soulager, il resta toute la journée à se demander ce que l’on attendait de lui. À 12 h 15, il attaqua le plateau-repas préparé à son intention et jugea la nourriture délicieuse. Il lui sembla d’abord préférable de ne pas ouvrir la petite bouteille de vin avant de supposer que, puisqu’elle lui était offerte, il était sans doute plus convenable de la boire, d’autant que la tranche de camembert et la mini-baguette étaient si tendres qu’il eût été dommage de se priver de vin. Assis au bureau, et faute d’alternative, Tugdual consacra l’après-midi à la digestion de son plateau-repas – auquel il repensa plusieurs fois par la suite dans un sourire radieux – et agrémenta son oisiveté de quelques tasses de café. À 20 heures, l’hôtesse ouvrit la porte pour lui indiquer qu’il pouvait y aller, sans que Tugdual sût si sa sortie correspondait à la fin du test ou à la fermeture du centre d’affaires.
Trois jours plus tard, le chasseur de têtes le rappela, et bien que Tugdual eût juré qu’il ne mettrait jamais les pieds dans un cabinet géré par de pareils illuminés, le bilan des tests et les conditions de recrutement lui firent reconsidérer la chose : ses résultats avaient suscité l’admiration des associés du cabinet Michard, qui offraient de le recruter à un salaire mensuel de sept mille euros. Les illuminés se révélaient être de sacrées pointures.
Tugdual Laugier commença sa carrière chez Michard & Associés par un séminaire dans un centre d’affaires des Champs-Élysées, cette fois, où il fut reçu par un homme et une femme d’une trentaine d’années. Il était encore si peu habitué à leur jargon professionnel qu’il ne comprit pas si ses interlocuteurs faisaient ou non partie du cabinet et il n’osa pas leur poser la question. Le duo se relaya pendant deux jours pour expliquer au seul Tugdual Laugier que le cabinet Michard & Associés était le plus prestigieux au monde. Tugdual n’avait pas été recruté par hasard, et s’il avait été choisi parmi des centaines d’autres candidats, c’est que le cabinet Michard avait vu en lui un talent en puissance, un peu comme un diamant brut qui ne demandait qu’à être poli. Tugdual se félicita d’être un diamant brut qui ne demandait qu’à être poli et il songea qu’il avait beaucoup de mérite d’avoir été choisi parmi des centaines d’autres candidats. Les intervenants présentèrent succinctement le cabinet Michard, une belle boutique, reconnue dans le milieu des affaires, notamment auprès d’une clientèle d’investisseurs asiatiques qui appréciaient son modèle de conseil fondé sur le design thinking et l’impertinence constructive – en totale rupture avec les stratégies de conseil classiques –, ainsi que sa capacité à apporter des réponses innovantes aux problématiques rencontrées par ses clients dans un contexte économique en perpétuelle mutation. Tugdual nota sur son bloc design thinking et impertinence constructive. Les trois valeurs phares du cabinet Michard étaient excellence, implication et confidentialité, et Tugdual nota sur son bloc excellence, implication et confidentialité, et les souligna. Les intervenants insistèrent surtout sur la confidentialité, que Tugdual souligna d’un trait supplémentaire, parce que le prestige du cabinet tenait en premier lieu à sa politique d’absolue confidentialité qui, parmi les trois valeurs phares du cabinet, était celle qu’il fallait placer au sommet de la hiérarchie car la moindre entorse à celle-ci eût privé le cabinet de toute crédibilité aux yeux de ses clients et du milieu des affaires. Et Tugdual finit par encadrer le mot confidentialité tout en fronçant les sourcils et en hochant la tête en direction de ses interlocuteurs pour leur signifier que le message était bien passé.
« Personne ne doit savoir pour qui travaille le cabinet, disait la jeune femme.
— Personne », répétait systématiquement l’homme à sa suite.
En pratique, la politique de confidentialité du cabinet contraignait les consultants à respecter le protocole : n’ayant pas accès au réseau informatique du cabinet, ils devaient demander à l’associé en charge du dossier l’autorisation d’accéder à la partie du réseau susceptible de les intéresser et ne devaient jamais mentionner le nom de leurs clients ni à l’extérieur du cabinet, ni dans leurs rapports, ni même devant leurs collègues. Ce point étonna particulièrement Tugdual : il était formellement interdit aux consultants, sous peine de licenciement immédiat et de poursuites disciplinaires, de parler entre eux de leurs rapports, et on les dissuadait même, pour ne pas tenter le diable, de nouer entre eux des contacts autres que professionnels. S’il voulait se faire des amis, il n’avait qu’à s’inscrire au club de rugby de son quartier, et tout le monde rit d’un air entendu – huhuhu – comme on le faisait au boulot quand un supérieur ou un ancien lançait une boutade. La femme ne rit pas mais arbora un sourire très professionnel et Tugdual se fit la remarque qu’elle était drôlement jolie et se demanda si elle était en couple avec l’intervenant parce que, si tel était le cas, il avait bien de la chance de se payer un morceau pareil. Lui, à la maison, même si Mathilde était jolie aussi dans son genre – visage d’enfant sage, discrète fossette, charmantes pommettes –, ce n’était pas un morceau à proprement parler et il fallait bien reconnaître qu’il aurait été fier de se promener au bras d’un morceau comme celui-là, avec sa taille de guêpe, son regard d’acier et sa chevelure soyeuse, et il aurait pris un immense plaisir à voir les jaloux baver d’envie sur son passage. L’homme poursuivit avec une anecdote à propos des dîners en ville au cours desquels il restait toujours vague sur ses activités professionnelles malgré les questions appuyées de ses amis. Et la femme ajouta que c’était tant mieux parce que les conversations professionnelles n’intéressaient personne. Et de nouveau, tout le monde rit – huhuhu –, sauf la femme qui se contenta de sourire, et Tugdual regretta d’avoir fait huhuhu plutôt que de s’être contenté de sourire lui aussi. C’était la raison pour laquelle chacun des consultants nouvellement recrutés suivait seul le programme d’intégration.
« Les amis sont des amis et les collègues sont des collègues, dit la femme.
— Si vous êtes aussi grassement rémunéré, c’est parce que vous avez des contraintes », précisa utilement l’homme.
Et il était indéniable que Tugdual Laugier était particulièrement bien payé, largement mieux que chez la concurrence. Sept mille euros par mois pour un premier job, c’était inespéré.
L’élaboration des rapports devait, elle aussi, respecter des règles de confidentialité très strictes. Les deux intervenants firent défiler de nombreuses slides sur un grand écran blanc où il était question de noms de code, de références cryptées, d’excellence et de formatage interne. Puis on aborda la facturation : il s’agissait là du nerf de la guerre puisque c’était le moyen pour le cabinet de gagner de l’argent – l’inter¬venant disait « gagner sa croûte » – et de s’assurer que tous les consultants fussent occupés équitablement, ni trop ni trop peu. À la fin de la semaine, les consultants accédaient au logiciel de facturation et indiquaient sur quels dossiers ils avaient planché afin que le cabinet pût émettre les factures à l’adresse des clients. Les consultants devaient préciser les références du dossier ainsi que le nom de l’associé en charge, chaque dossier étant rattaché à un associé particulier. Si, comme ça pouvait arriver au début, ils n’avaient rien eu à faire de la se
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Puisqu’il fallait bien s’occuper, Tugdual avait dû trouver des activités qu’il pût exercer dans le huis clos de son bureau feutré, et avait développé pour l’ordre une approche obsessionnelle qui le conduisait plusieurs fois par jour à « ranger tout ce fatras », là où tout autre que lui aurait vu une pièce inoccupée. Dès que l’un des trois crayons à papier venait à manquer dans son pot, il prenait l’air renfrogné, repérait le fuyard de son œil de faucon, s’en saisissait d’un mouvement sec et lui adressait solennellement les avertissements d’usage : « Si je te reprends encore une fois à faire l’école buissonnière, je te brise les os, vilain garnement ! » Et lorsque le crayon – pourtant averti ! – tentait une nouvelle fois de se faire la belle, Tugdual Laugier, dans un cérémonial parfaitement établi, interpellait le récidiviste au milieu de sa cavale, s’emparait de l’une de ses extrémités, le levait au ciel pour l’exposer à la foule, en saisissait l’autre extrémité et brisait le mutin en deux, avant d’en présenter les morceaux démembrés aux crayons survivants pour leur faire passer l’envie d’imiter leur petit camarade. S’étant rapidement retrouvé avec des dizaines de morceaux de crayon sans mine, dépourvu de taille-crayon et ne sachant comment réclamer de nouvelles fournitures aux services généraux, Tugdual avait dû se résoudre à acheter lui-même de nouveaux crayons, de peur de se voir privé de l’un de ses principaux passe-temps. Il avait ainsi fait l’acquisition – sur ses deniers personnels – d’un sachet de cent crayons à papier sur lesquels il avait régné en despote une année durant avant de se résoudre à l’acquisition de cent nouveaux petits opprimés que, dans un souci de justice, il avait cette fois numérotés afin de ne pas faire subir aux primo¬délinquants le même sort qu’aux récidivistes. L’institution judiciaire était bientôt devenue une mécanique implacable où les crayons fidèles étaient récompensés par un usage quotidien et des entortillements capillaires, les récalcitrants placés en quarantaine, tandis que les délinquants notoires étaient mis hors d’état de nuire. « L’État français ferait bien de s’en inspirer ! songeait-il. Ça nous éviterait la chienlit ! »
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