D'après l'imprimeur Nicolas Contat, le massacre en 1730, par ses collègues et lui-même, des chats de la rue Saint Sévérin à Paris constitue le fait le plus drôle qui se soit déroulé dans son début de carrière... le caractère "comique" de cet incident est bien difficile à comprendre pour le lecteur d'aujourd'hui et c'est précisément ce décalage, cette incompréhension que prend comme point de départ l'historien américain
Robert Darnton pour comprendre la mentalité et les moeurs des différentes strates sociales de la société du XVIII ème siècle. Partant du principe que les faits les plus incompréhensibles sont les plus révélateurs,
Darnton va nous décrire la France du XVIII ème siècle au travers de différents textes.
Notre voyage commence avec l'évocation de la France paysanne, celle-ci étant illettrée, notre historien cherche à la comprendre en utilisant comme source les contes populaires français (qui seront d'ailleurs comparés à leurs versions anglaises et allemandes) issus de la culture orale. Troublant de découvrir dans des époques aussi tardives une société rurale aussi Malthusienne (la population ne croit quasiment pas pendant près de 4 siècles) et où a contrario de l'image d'Epinal que l'on s'en fait, la méfiance entre voisins est de rigueur. L'auteur évoque ensuite la condition et les mentalités ouvrières du début du XVIII ème siècle en utilisant le journal d'un imprimeur, Contat, qui narre entre autres choses ce fameux massacre félin qui donne son titre à l'essai. Pour la suite de son livre et la poursuite de la découverte de la société moderne,
Robert Darnton utilisera la description de la ville de Montpellier par un bourgeois du cru, mais aussi des fiches de police concernant le monde littéraire parisien, les échanges épistolaires entre un lecteur de Rousseau et son éditeur ou plus simplement la grande oeuvre de cette époque : l'Encyclopédie.
Je dois dire que les 3 premières parties (celles décrivant le monde paysan, ouvrier et la bourgeoisie de Montpellier) sont celles qui m'ont le plus fasciné car elles abordent (d'une manière fort originale) un monde disparu et que je méconnaissais totalement. Et pour cause, d'ordinaire on n'aborde dans l'ancien régime que la vie des nobles ou les seuls écrits des encyclopédistes tandis que les milieux populaires (leurs moeurs, leurs mentalités) sont relégués au second plan. La meilleure partie du livre est donc sa première moitié (la suite est néanmoins de très bonne tenue même si les sujets abordés sont plus familiers et donc moins enrichissants).
J'ai pris grand plaisir à lire cet essai, qui fait décidément partie des grands livres, ceux à mêmes de renverser nos perspectives, de vous montrer l'étendu de notre ignorance d'une époque et sans toujours apporter de réponses péremptoires, fait naitre de nouvelles questions. le livre se lit très bien et conviendra sans doute autant aux passionnés d'Histoire qu'aux curieux.
On retiendra une limite à cet essai aux sources très hétéroclite et notre historien l'avoue honnêtement dans sa conclusion. En s'intéressant à une époque et à des populations pour lesquelles les sources sont rarissimes, l'historien court le risque de faire quelques généralités, de prendre pour communes des choses très particulières, de faire des erreurs d'interprétation. Il me parait néanmoins que c'est un risque à prendre et que l'erreur serait de n'apporter aucune réponse sur la mentalité de nos ancêtres ou d'imaginer que l'Homme réfléchit toujours de la même façon.
Merci à PhilippeCastellain pour sa critique de l'année dernière qui m'a permis de découvrir ce livre dont je n'aurais jamais entendu parler sinon. Avis aux amateurs d'Histoire et à tous les curieux, voilà un livre passionnant qu'on ne saurait trop recommander.