Trois ans et demi que ce livre était sur mon étagère, et ce n'est que maintenant que je prends enfin le temps de le lire ! Ce n'était pas par manque d'envie, mais comme c'était le premier tome d'une série, je voulais attendre que la suite paraisse – d'autant plus que les critiques étaient élogieuses.
Et puis… Je crois que j'ai été un peu déçue. Mais ce n'est peut-être pas la faute de l'auteure, j'ai placé tellement d'attente dans cette lecture que c'était impossible qu'elle soit à la hauteur (sans vouloir vous offenser, Madame Dau).
Les deux premiers chapitres m'ont quelque peu rebutée parce que j'ai trouvé qu'il y avait beaucoup de pathos ; et ce n'est qu'avec l'apparition de Cerdric que je me suis vraiment intéressée à l'histoire. Son enfance m'a captivée, et notamment la rencontre avec cette mère si atypique et son arrivée dans la cour du margrave. Sa vie est dure : on en attend beaucoup de lui mais il est incapable de satisfaire les exigences de chacun. Et pour cause : il est Réfractaire. La magie n'a aucune emprise sur lui, il est incapable de l'utiliser tout comme d'en subir les effets. Quelle déveine pour quelqu'un qu'on s'est efforcé de faire naître dans le seul but d'accomplir une prophétie parlant d'un puissant mage !
Cerdric n'ose pas se l'avouer, mais il se considère lui-même comme un échec, et le gouffre que cela crée à l'intérieur de lui donne naissance à un formidable besoin d'amour. Cerdric est donc un ado bien de chez nous : entre l'enfance et l'âge adulte, plein de doutes, de craintes et de besoins affectifs. Ce personnage sonne juste, ne tombe jamais dans le pathos parce qu'il est combatif, et inspire la compassion parce qu'il n'a pas une vie sociale facile (je dis « sociale » pour la simple et bonne raison qu'il est noble et qu'il ne manque de rien sur le plan matériel).
Le plus amusant, c'est qu'il a beau être le personnage principal d'un roman de fantasy, il n'en est pas pour autant le héros.
L'énigme de Nimuh ne parle pas de lui, mais de son frère. C'est d'ailleurs ce dernier qui a hérité de la Somme des Rêves – et donc d'un pouvoir sans limite. Dans un roman normal, c'est lui qui aurait été le personnage principal et on aurait suivi sa progression, son apprentissage et sa quête. Nathalie Dau s'est amusée à inverser les codes du genre, et je l'en remercie. Ça fait quelque chose de neuf – enfin !
L'univers créé est riche : il y a la Loi et le Chaos (deux lignes de conduite auxquelles les douze dieux se soumettent) il y a les prêtres de ces différents dieux (qui cohabitent avec les onze autres), ainsi que les mages bleus, serviteurs de l'Équilibre, persécutés pour la simple et bonne raison qu'ils vivent dans la pauvreté et ne rendent grâce à aucune divinité.
Et il y a deux races « elfiques » : les rives et les marnes. Depuis que l'homme s'est rendu compte des propriétés magiques de leur sang, la traite prend des proportions alarmantes pour ces peuples. Ils sont marchandés comme des animaux, traités pis que des bêtes – quelle ironie pour des surhommes !
En revanche, j'ai été surprise par la dimension charnelle de la Somme des Rêves. Au vu des critiques et de la couverture (belle et touchante), je ne m'attendais pas du tout à ce que le sexe soit évoqué aussi crument.
Nathalie Dau semble même jouer avec le tabou, puisqu'elle dépeint des « amours du Chaos » (relations homosexuelles), évoque la prostitution des rives, ainsi que les viols multiples commis envers des femmes malchanceuses
et la relation de Cerdric avec sa belle-mère nouvellement veuve. Tout cela est mis en lumière de manière cru, presque dérangeante.
Pour exemple, je pense au moment où Kéral trouve les cadavres de ses voisins : le mari et le fils aîné déchiquetés, les tripes répandues, et la femme égorgée sur la table, les jupes retroussées en une position très explicite… tout cela sous les yeux traumatisés du cadet, âgé de cinq ans. Ce petit a vu les hommes de sa famille se faire torturer, et sa mère se faire violer et tuer (pas forcément dans cet ordre-là, d'ailleurs…). Il y a également le passage où la mère de Cerdric, très excitée, songe à son amant en caressant ses « chairs ruisselantes ». L'expression m'a faite grimacer de dégoût.
Mais bien que trash, ce premier volume n'offre pas beaucoup d'action. Son rôle est simplement de planter le décor, et la note mystérieuse sur laquelle il s'achève laisse présager de nombreux retournements de situation. Quelle déception quand j'ai appris que les éditions Asgard avaient mis la clé sous la porte ! La philosophie de cette maison d'édition (mettre en avant les auteurs français de SFFF et polar) me plaisait beaucoup, et leurs livres sont magnifiques. Je n'ai d'ailleurs jamais regretté de lire leurs auteurs, chacun m'a transportée – à sa manière.
Je suppose malheureusement que cela veut dire que le Livre de l'Énigme et Lunardente n'auront pas de suite (à moins de se faire reprendre par une autre maison d'édition).
Je croise les doigts, parce que ce sont des titres qui valent réellement le coup.