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Mathilde Paris (Préfacier, etc.)
EAN : 9782266156288
224 pages
Pocket (23/06/2005)
  Existe en édition audio
3.69/5   5324 notes
Résumé :
D'abord attribuées à Alphonse Daudet, les Lettres auraient aussi comme co-auteur Paul Arène et co-autrice Julia Daudet (Wikipédia consulté le 03/01/2020)

Le Nord de la France, noyé dans les brumes, ignorait le Sud. Alphonse Daudet le lui fit découvrir par ses "Lettres de mon moulin". La Provence, celle de la mer et celle de la montagne, est apparue soudain avec ses troupeaux, ses belles Arlésiennes et ses parfums.
Un siècle plus tard, maître Co... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (194) Voir plus Ajouter une critique
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"Mistral, cigales et tambourins, à toutes mes chansons, donnent un même refrain.
Et quand vous l'entendez chanter, dans mes paroles, tous les mots que je dis, dansent la farandole." Fernandel citant Zamacoïs.

Il se nomme Lou, et il n'en peut plus, la langue pendante, écartelé, coquin de sort! Toute la nuit, elle a fait des cabrioles, elle voulait tout essayer et quand il voulait se sauver, elle le rattrapait par la...

Pour Lou, elle s'était enfuie par la fenêtre...
"Ah, qu'elle était jolie la petite chèvre de Mr Seguin... Presque aussi charmante que la cabri d'Esmeralda."
Lou en avait entendu parler, à des lieues à la ronde, peuchère... Lou avait chanté, à la nuit tombée, sous la lune ronde (car il en avait envoûté d'autres, dont la Renaude...)

" Jamais les sapins n'avaient rien vu d'aussi joli. Les châtaigniers se baissaient jusqu'à terre, pour la caresser du bout de leurs branches. Les genêts d'or s'ouvraient sur son passage, et sentaient bon tant qu'ils pouvaient."

"Et quelle herbe! Et les fleurs donc! de grandes campanules bleues, des digitales de pourpre à longs calices"... Oui, elle a bu tout l'élixir, la liqueur, tout le calice... de Lou! Et en fumant son herbe...

Et le chamois, dont parle l'auteur? Il n'en fut pas question longtemps...
"Elle regardait les étoiles danser dans le ciel clair, et elle se disait":
- Pourvu qu'il tienne jusqu'à l'aube..."(pas comme le chamois, trop rapide et inexpérimenté!)

Maintenant, elle veut faire connaissance avec la meute. Seigneur, quel couillon, je suis! Moi qui croyais que cette Blanchette n'y connaissait rien (j'ignorais qu'il y avait un bouc à la ferme! C'est relou(p)...

Et voilà, qu'elle a remplacé sa tenue blanche, par un chaperon rouge...
" Je me suis fait tout petit devant une poupée
Qui ferme les yeux quand on la touche.
J'avais des dents d'loup,
Je les ai changées pour des quenottes." Georges Brassens.

-Ah, mais ce n'est pas ainsi que ça finit?
-Alors, parce que Môssieur est de la ville, qu'il sait tout! Il connaît nos contes de Provence? Tu sais, tu m'escagasses. Môssieur le cacou, ô le fada, tu m'enboucanes...
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Aujourd'hui, Nastasia mène l'enquête... la dernière fois c'était pour Nuées D'Oiseaux Blancs de Kawabata, parfois, ça me prend...
Lettres de Mon Moulin. Voyons, voyons... Tout le monde connaît, au moins pour partie car on a tous eu une de ces nouvelles ou un extrait d'un des textes sous les yeux à l'école, ne serait-ce que pour une leçon d'orthographe ou de grammaire. Mais malgré cette étonnante popularité, ceux qui les ont lues en entier sont déjà moins nombreux, un peu comme pour les Fables de la Fontaine.
Poursuivons, ça date de quand les Lettres de Mon Moulin ? Et bien là, figurez-vous, ce n'est pas si facile que cela à dire. Première publication en 1869 avec 17 nouvelles (Ballades En Prose est comptée comme une seule et Installation est assimilable à La Diligence de Beaucaire). Mais dix ans plus tard, en 1879, une seconde publication, celle que nous connaissons désormais en ajoute 6 de plus.
C'est quoi les Lettres de Mon Moulin ? On serait tenté de répondre à la hâte et du tac au tac qu'il s'agit de nouvelles ayant toutes pour dénominateur commun l'arrière pays provençal dans le piémont des Alpes. Mais si l'on y regarde de plus près, c'est loin d'être seulement le cas : trois nouvelles corses, deux algériennes, une nouvelle vaguement allemande, deux ou trois autres encore qui ne cadrent pas trop avec la Provence telle qu'on se l'imagine.
Alors une communauté de facture, de ton, de thème, d'époque, de propos, de style ? Vous seriez, là encore, bien en peine d'en répondre.
La vérité, c'est qu'elles ont toutes, ces nouvelles constitutives, déjà vécu leur vie propre lors de publications autonomes au sein de journaux. Elles n'ont donc pas nécessairement grand-chose à voir entre-elles. Certaines sont des récits de voyage, d'autres s'apparentent à des contes ou légendes traditionnels, d'autres encore ressemblent à des nouvelles du format " Maupassant ", bref, un assemblage hétéroclite et opportuniste.
Attardons-nous, si vous le voulez bien, aux dates de publication primaires dans les journaux de l'époque :

À Milianah, La Revue Nouvelle du 1er février 1864

L'Arlésienne, L'Événement du 31 août 1866
Nostalgies de Caserne, L'Événement du 7 septembre 1866
La Chèvre de Monsieur Seguin, L'Événement du 14 septembre 1866
Le Poète Mistral, L'Événement du 21 septembre 1866
La Légende de L'Homme À La Cervelle D'Or, L'Événement du 29 septembre 1866
L'Agonie de la Sémillante, L'Événement du 7 octobre 1866
Ballades En Prose (La Mort du Dauphin & le Sous-Préfet Aux Champs), L'Événement du 13 octobre 1866
Le Secret de Maître Cornille, L'Événement du 20 octobre 1866
Le Curé de Cucugnan, L'Événement du 28 octobre 1866

La Diligence de Beaucaire, le Figaro du 16 octobre 1868
Les Vieux, le Figaro du 23 octobre 1868
La Mule du Pape, le Figaro du 30 octobre 1868
Le Portefeuille de Bixiou, le Figaro du 17 novembre 1868
Les Deux Auberges, le Figaro du 17 novembre 1868

Le Phare Des Sanguinaires, le Figaro du 22 août 1869
L'Élixir du Révérend Père Gaucher, le Figaro du 2 octobre 1869

Les Douaniers, le Bien Public du 11 février 1873
Les Sauterelles, le Bien Public du 25 mars 1873
Les Étoiles, le Bien Public du 8 avril 1873
Les Oranges, le Bien Public du 10 juin 1873
En Camargue, le Bien Public des 24 juin et 8 juillet 1873

Les Trois Messes Basses, issue des Contes du Lundi publiés en 1875

Votre oeil sagace aura donc remarqué que dans la salve de 1866, les nouvelles paraissent à un rythme étourdissant d'une par semaine. Gageure que peu d'écrivains sont capables de soutenir avec un niveau de qualité acceptable. Autre fait étonnant, du 7 au 13 octobre 1866, comme si l'écriture d'une nouvelle ne lui suffisait pas, l'auteur s'est mis en tête d'en écrire deux, sur des thèmes qui n'ont rien à voir.
On constate le même genre de tirs groupés en 1868 avec la notable différence que la publication du 6 novembre est ratée (pas tenu les délais) et celle du 13 novembre aussi, moyennant quoi, on tente de sauver l'honneur en en livrant deux le 17 novembre. Et ce sera tout pour cette année-là.
On sait que ce genre de retard est dommageable pour les ventes du journal car les habitués sont désappointés. On sait aussi que les écrivains terminaient leurs brouillons à l'arrache, la nuit même où le journal allait passer sous presse.
Qu'en déduire ? Un tel rythme paraît tout simplement impossible à tenir. La Chèvre de Monsieur Seguin aurait donc été écrite en une semaine à peine du 7 au 13 septembre 1866, de même que le Secret de Maître Cornille du 13 au 19 octobre 1866. Certaines nouvelles sont deux fois plus longues que d'autres. Pourquoi s'infliger le supplice d'écrire deux nouvelles en une semaine quand une seule ferait parfaitement l'affaire ?
C'est de qui les Lettres de Mon Moulin ? Vous avez remarqué que jusqu'à présent, je n'ai pas encore mentionné le nom de l'auteur, car il y a fort à parier que les deux salves de nouvelles de 1866 et 1868 aient été écrites à quatre mains. Les deux premières sont, bien évidemment celles d'un dénommé Alphonse Daudet et pour les deux autres, Octave Mirbeau (Merci la Normandie) nous apprend qu'elles sont très probablement celles d'un bon écrivain resté dans l'ombre de son volumineux ami, un certain Paul Arène, qui n'a pas eu le loisir de trop le fouler, le sol de l'arène littéraire.
Remarquez, rien d'étonnant à ce qu'il nous prenne pour des bourricots et qu'il nous parle d'histoires de mules et de sentiers caillouteux, l'ami Alphonse, lui qui a un nom hybride entre " baudet " et " dos d'âne ".
C'est dommage car j'aurais bien aimé savoir lequel des deux a su insuffler le plus de pétillance dans le style, le plus de belle magie dans les histoires car je ne vous cache pas que l'essentiel des nouvelles que je préfère, dans ce recueil, font partie de celles qui ont été écrites à quatre mains.
Si j'arrive à faire abstraction de ce comportement d'appropriation du travail d'autrui qui m'exaspère, je dirais que ce recueil, malgré son hétérogénéité se lit avec plaisir et conserve une belle fraîcheur.
J'y aime particulièrement le Secret de Maître Cornille qui peut m'émouvoir jusqu'aux larmes, j'adore aussi L'Arlésienne et éprouve un franc penchant pour une nouvelle authentiquement Daudésienne, à savoir L'Élixir du Révérend Père Gaucher.
Il y a encore deux ou trois véritables petits joyaux dissimulés ici ou là, que je vous invite à venir découvrir comme Les Vieux, L'agonie de la Sémillante ou bien sûr l'incontournable Chèvre de Monsieur Seguin.
Un bon recueil donc, pas exceptionnel de bout en bout, mais fort agréable, ma foi, sur l'essentiel de la distance.
Néanmoins, ce n'est là qu'un avis qui s'agite comme les ailes au vent d'un moulin délabré, c'est-à-dire, bien peu de chose.
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Eh non, je ne les avais pas encore lu les lettres de mon moulin ! Et pourtant, j'ai beaucoup entendu parler de la chèvre de monsieur Seguin à l'école et je me rappelle encore ma belle-mère raconter en riant l'abbé de Cucugnan essayant de sauver les âmes de sa paroisse ! Beaucoup de ces nouvelles m'ont plu… Les petits vieux, entre autres, je l'ai trouvé très touchant et l'histoire a résonné en moi d'une façon particulière : elle m'a rappelé les grand-parents d'amis en Lozère qui nous accueillaient toujours comme des rois. La mule du pape ou comment tout vient à qui sait attendre, m'a bien fait rire avec le caractère résolu de l'animal !
D'autres sont plus sombres comme les Sauterelles, d'autres carrément obscures, impossibles de rentrer dedans. le style de Daudet change d'une histoire à l'autre, on passe de la joie au désenchantement. Contente d'avoir découvert ce classique de la littérature française, d'avoir pénétré dans la campagne française (un peu bout de Paris aussi et d'Algérie) et goûté cette fraicheur. Je me tâte à poursuivre ma découverte de l'auteur avec le Petit Chose ou Tartarin de Tarascon
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Les lettres de mon moulin de Daudet est un recueil de contes et nouvelles glanés dans le Sud de la France, principalement en Provence et en Corse parfois.
Le narrateur, nous conte tout d'abord son installation dans son moulin, endroit d'où il va écrire ses fameuses lettres. Il décrit admirablement bien les paysages de Provence qui serviront de toile de fond aux récits. C'est ainsi qu'on fait la connaissance des campagnes, des villes et villages de Provence tels qu'Avignon, Beaucaire, Tarascon ainsi que de leurs habitants. Les mentalités de ces derniers sont mises en valeur dans les différents contes et nouvelles avec l'accent du Sud et les tournures langagières de l'époque colorant ainsi la narration du caractère typique du Sud de l'époque.
Ces lettres sont tour à tour tragiques, dramatiques ou comiques ; tragiques comme la chèvre de Monsieur Seguin ou l'Arlésienne pour ne citer que les plus connus ou comiques comme le Curé de Cucugnan. Elles restent gravées dans les mémoires des années après les avoir entendues ou lues.
Elles sont courtes et elliptiques, chaque récit peut être lu indépendamment des autres, chaque lettre en est rendue plus frappante, d'autant plus que la morale finale tombe comme un couperet.
Daudet s'attache à décrire la vie des gens du peuple, celle des propriétaires terriens, des bourgeois et aussi des ecclésiastes. C'est ainsi qu'on y trouve autant de superstitions, de morale religieuse sur laquelle Daudet ironise mais aussi des ragots que l'on colporte ainsi que des caractères que le narrateur grossit tels que la concupiscence, la folie, l'envie, la jalousie, la rébellion, la cruauté, la cupidité. le travail de l'écrivain y est aussi évoqué ainsi que la morale religieuse que le narrateur met à mal.
C'est ainsi que pour le plus grand plaisir des lecteurs tous ces ingrédients que le narrateur capte au détour d'une discussion avec les êtres sont transformés en jolis contes et nouvelles qui se transmettent de génération en génération.
Je découvre encore aujourd'hui certaines lettres qui m'étaient inconnues. C'est un recueil facile d'accès ,on peut ainsi lire uniquement celles qui nous intéressent et revenir plus tard sur les autres.
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En 1864 Alphonse Daudet s'installe dans son moulin près de Fontvieille.

Et dés les premières lignes, il nous illumine par tout son talent….

Ce sont les lapins qui ont été étonnés !… Depuis si longtemps qu'ils voyaient la porte du moulin fermée, les murs et la plate-forme envahis par les herbes, ils avaient fini par croire que la race des meuniers était éteinte, et, trouvant la place bonne, ils en avaient fait quelque chose comme un quartier général, un centre d'opérations stratégiques : le moulin de Jemmapes des lapins… La nuit de mon arrivée, il y en avait bien, sans mentir, une vingtaine assis en rond sur la plate-forme, en train de se chauffer les pattes à un rayon de lune… le temps d'entrouvrir une lucarne, frrt ! voilà le bivouac en déroute, et tous ces petits derrières blancs qui détalent, la queue en l'air, dans le fourré. J'espère bien qu'ils reviendront.

Quelqu'un de très étonné aussi, en me voyant, c'est le locataire du premier, un vieux hibou sinistre, à tête de penseur, qui habite le moulin depuis plus de vingt ans. Je l'ai trouvé dans la chambre du haut, immobile et droit sur l'arbre de couche, au milieu des plâtras, des tuiles tombées. Il m'a regardé un moment avec son oeil rond ; puis, tout effaré de ne pas me reconnaître, il s'est mis à faire : « Hou ! hou ! » et à secouer péniblement ses ailes grises de poussière ; — ces diables de penseurs ! ça ne se brosse jamais… N'importe ! tel qu'il est, avec ses yeux clignotants et sa mine renfrognée, ce locataire silencieux me plaît encore mieux qu'un autre, et je me suis empressé de lui renouveler son bail. Il garde comme dans le passé tout le haut du moulin avec une entrée par le toit ; moi je me réserve la pièce du bas, une petite pièce blanchie à la chaux, basse et voûtée comme un réfectoire de couvent.
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(Les 3 messes basses)

- Deux dindes truffées, Garrigou ?...
- Oui, mon révérend, deux dindes magnifiques bourrées de truffes. J'en sais quelque chose, puisque c'est moi qui ai aidé à les remplir. On aurait dit que leur peau allait craquer en rôtissant, tellement elle était tendue...
- Jésus maria ! moi qui aime tant les truffes !... Donne moi vite mon surplis, Garrigou... Et avec les dindes, qu'est-ce que tu as encore aperçu à la cuisine ?...
- Oh ! toutes sortes de bonnes choses... depuis midi nous n'avons fait que plumer des faisans, des huppes, des gelinottes, des coqs de bruyère. La plume en volait partout... Puis de l'étang on a apporté des anguilles, des carpes dorées, des truites, des...
- Grosses comment, les truites, Garrigou ?
- Grosses comme ça, mon révérend... Énormes !...
- Oh ! Dieu ! Il me semble que je les vois... As-tu mis le vin dans les burettes ?
- Oui, mon révérend, j'ai mis le vin dans les burettes...
Mais dame ! Il ne vaut pas celui que vous boirez tout à l'heure en sortant de la messe de minuit. Si vous voyiez cela dans la salle à manger du château, toutes ces carafes qui flambent pleines de vins de toutes les couleurs... Et la vaisselle d'argent, les surtouts ciselés, les fleurs, les candélabres !... Jamais il ne se sera vu un réveillon pareil. Monsieur le marquis a invité tous les seigneurs du voisinage.
Vous serez au moins quarante à table, sans compter le bailli ni le tabellion... Ah ! vous êtes bien heureux d'en être, mon révérend !... Rien que d'avoir flairé ces belles dindes, l'odeur des truffes me suit partout... Meuh !...
- Allons, allons, mon enfant. Gardons-nous du péché de gourmandise, surtout la nuit de la Nativité... Va bien vite allumer les cierges et sonner Ie premier coup de la messe ; car voilà que minuit est proche, et il ne faut pas nous mettre en retard...
Cette conversation se tenait une nuit de Noël de l'an de grâce mil six cent et tant, entre le révérend dom Balaguère, ancien prieur des Barnabites, présentement chapelain gagé des sires de Trinquelage, et son petit clerc Garrigou, ou du moins ce qu'il croyait être le petit clerc Garrigou, car vous saurez que le diable, ce soir-là, avait pris la face ronde et les traits indécis du jeune sacristain pour mieux induire le révérend père en tentation et lui faire commettre un épouvantable péché de gourmandise.
Donc, pendant que le soi-disant Garrigou (hum ! hum !) faisait à tour de bras carillonner les cloches de la chapelle seigneuriale, le révérend achevait de revêtir sa chasuble dans la petite sacristie du château ; et, l'esprit déjà troublé par toutes ces descriptions gastronomiques, il se répétait à lui-même en s'habillant :
- Des dindes rôties... des carpes dorées... des truites grosses comme ça!...
Dehors, Ie vent de la nuit soufflait en éparpillant la musique des cloches, et, à mesure, des lumières apparaissaient dans l'ombre aux flancs du mont Ventoux, en haut duquel s'élevaient les vieilles tours de Trinquelage. C'étaient des familles de métayers qui venaient entendre la messe de minuit au château. Ils grimpaient la côte en chantant par groupes de cinq ou six, le père en avant, la lanterne en main, les femmes enveloppées dans leurs grandes mantes brunes où les enfants se serraient et s'abritaient. Malgré l'heure et le froid, tout ce brave peuple marchait allégrement, soutenu par l'idée qu'au sortir de la messe, il y aurait, comme tous les ans, table mise pour eux en bas dans les cuisines. De temps en temps, sur la rude montée, Ie carrosse d'un seigneur précédé de porteurs de torches, faisait miroiter ses glaces au clair de lune, ou bien une mule trottait en agitant ses sonnailles, et à la lueur des falots enveloppés de brume, les métayers reconnaissaient leur bailli et le saluaient au passage :
- Bonsoir bonsoir maître Arnoton !
- Bonsoir, bonsoir, mes enfants !
La nuit était claire, les étoiles avivées de froid ; la bise piquait, et un fin grésil, glissant sur les vêtements sans les mouiller, gardait fidèlement la tradition des Noëls blancs de neige. Tout en haut de la côte, le château apparaissait comme le but, avec sa masse énorme de tours, de pignons, le clocher de sa chapelle montant dans le ciel bleu noir, et une foule de petites lumières qui clignotaient, allaient, venaient, s'agitaient à toutes les fenêtres, et ressemblaient, sur le fond sombre du bâtiment, aux étincelles courant dans des cendres de papier brûlé... Passé le pont-levis et la poterne, il fallait, pour se rendre à la chapelle, traverser la première cour, pleine de carrosses, de valets, de chaises à porteurs, toute claire du feu des torches et de la flambée des cuisines. On entendait le tintement des tournebroches, le fracas des casseroles, le choc des cristaux et de l'argenterie remués dans les apprêts d'un repas ; par là-dessus, une vapeur tiède, qui sentait bon les chairs rôties et les herbes fortes des sauces compliquées, faisait dire aux métayers, comme au chapelain, comme au bailli, comme à tout le monde :
- Quel bon réveillon nous allons faire après la messe !
Drelindin din !... Drelindin din !...
C'est la messe de minuit qui commence. Dans la chapelle du château, une cathédrale en miniature, aux arceaux entrecroisés, aux boiseries de chêne, montant jusqu'à hauteur des murs, les tapisseries ont été tendues, tous les cierges allumés. Et que de monde ! Et que de toilettes! Voici d'abord, assis dans les stalles sculptées qui entourent le chœur le sire de Trinquelage, en habit de taffetas saumon, et près de lui tous les nobles seigneurs invités. En face, sur des prie-Dieu garnis de velours, ont pris place la vieille marquise douairière dans sa robe de brocart couleur de feu et la jeune dame de Trinquelage, coiffée d'une haute tour de dentelle gaufrée à la dernière mode de la cour de France. Plus bas on voit, vêtus de noir avec de vastes perruques en pointe et des visages rasés, le bailli Thomas Arnoton et le tabellion maître Ambroy, deux notes graves parmi les soies voyantes et les damas brochés. Puis viennent les gras majordomes, les pages, les piqueurs, les intendants, dame Barbe, toutes ses clefs pendues sur le côté à un clavier d'argent fin. Au fond, sur les bancs, c'est le bas office, les servantes, les métayers avec leurs familles ; et enfin, là-bas, tout contre la porte qu'ils entrouvrent et referment discrètement, messieurs les marmitons qui viennent entre deux sauces prendre un petit air de messe et apporter une odeur de réveillon dans l'église toute en fête et tiède de tant de cierges allumés.
Est-ce la vue de ces petites barrettes blanches qui donne des distractions à l'officiant ? Ne serait-ce pas plutôt la sonnette de Garrigou, cette enragée petite sonnette qui s'agite au fond de l'autel avec une précipitation infernale et semble dire tout le temps:
- Dépêchons-nous, dépêchons-nous... Plus tôt nous aurons fini, plus tôt nous serons à table.
Le fait est que chaque fois qu'elle tinte, cette sonnette du diable, le chapelain oublie sa messe et ne pense plus qu'au réveillon. Il se figure les cuisiniers en rumeur, les fourneaux où brûle un feu de forge, la buée qui monte des couvercles entrouverts, et dans cette buée deux dindes magnifiques bourrées, tendues, marbrées de truffes...
Ou bien encore il voit passer des files de pages portant des plats enveloppés de vapeurs tentantes, et avec eux il entre dans la grande salle déjà prête pour le festin.
ô délices ! voilà l'immense table toute chargée et flamboyante, les paons habillés de leurs plumes, les faisans écartant leurs ailes mordorées, les flacons couleur de rubis, les pyramides de fruits éclatants parmi les branches vertes, et ces merveilleux poissons dont parlait Garrigou (ah ! bien oui, Garrigou!) étalés sur un lit de fenouil, l'écaille nacrée comme s'ils sortaient de l'eau, avec un bouquet d'herbes odorantes dans leurs narines de monstres. Si vive est la vision de ces merveilles, qu'il semble à dom Balaguère que tous ces plats mirifiques sont servis devant lui sur es broderies de la nappe d'autel, et deux ou trois fois, au lieu de Dominus vobiscum ! Il se surprend à dire le Benedicite. À part ces légères méprises, le digne homme débite son office très consciencieusement, sans passer une ligne, sans omettre une génuflexion ; et tout marche assez bien jusqu'à la fin de la première messe ; car vous savez que le jour de Noël le même officiant doit célébrer trois messes consécutives.
- Et d'une ! se dit le chapelain avec un soupir de soulagement; puis, sans perdre une minute, il fait signe à son clerc ou celui qu'il croit être son clerc, et...
Drelindin din !... Drelindin din !... C'est la seconde messe qui commence, et avec elle commence aussi le péché de dom Balaguère.
-Vite, vite, dépêchons-nous, lui crie de sa petite voix aigrelette la sonnette de Garrigou, et cette fois le malheureux officiant, tout abandonné au démon de gourmandise, se rue sur le missel et dévore les pages avec l'avidité de son appétit en surexcitation. Frénétiquement il se baisse, se relève, esquisse les signes de croix, les génuflexions, raccourcit tous ses gestes pour avoir plus tôt fini. À peine s'il étend ses bras à l'Évangile, s'il frappe sa poitrine au Confiteor. Entre le clerc et lui c'est à qui bredouillera le plus vite.
Versets et répons se précipitent, se bousculent. Les mots à moitié prononcés, sans ouvrir la bouche, ce qui prendrait trop de temps, s'achèvent en murmures incompréhensibles.
Oremus ps... p,ç... p,i...
Mea culpa... pa... pa...
Pareils à des vendangeurs pressés foulant le raisin de la cuve, tous deux barbotent dans le latin de la messe, en envoyant des éclaboussures de tous les côtés.
Dom... scum !... dit Balaguère.
...Stutuo !... répond Garrigou ; et tout le temps la damnée petite sonnette est là qui tinte à leurs oreilles, comme ces grelots qu'on met aux chevaux de poste pour les faire galoper à la grande vitesse. Pensez que de ce train-là une messe basse est vite expédiée.
- Et de deux ! dit le chapelain tout essoufflé ; puis, sans prendre
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L'ÉLIXIR DU RÉVÉREND PÈRE GAUCHER

« Buvez ceci, mon voisin ; vous m'en direz des nouvelles. »
Et, goutte à goutte, avec le soin minutieux d'un lapidaire comptant des perles, le curé de Graveson me versa deux doigts d'une liqueur verte, dorée, chaude, étincelante, exquise... J'en eus l'estomac tout ensoleillé.
« C'est l'élixir du Père Gaucher, la joie et la santé de notre Provence, me fit le brave homme d'un air triomphant ; on le fabrique au couvent des Prémontrés, à deux lieues de votre moulin... N'est-ce pas que cela vaut bien toutes les chartreuses du monde ?... Et si vous saviez comme elle est amusante, l'histoire de cet élixir ! Ecoutez plutôt... »
Alors, tout naïvement, sans y entendre malice, dans cette salle à manger de presbytère, si candide et si calme avec son Chemin de la croix en petits tableaux et ses jolis rideaux clairs empesés comme des surplis, l'abbé me commença une historiette légèrement sceptique et irrévérencieuse, à la façon d'un conte d'Erasme ou de d'Assoucy.
Il y a vingt ans, les Prémontrés, ou plutôt les Pères blancs, comme les appellent nos Provençaux, étaient tombés dans une grande misère. Si vous aviez vu leur maison de ce temps-! vous aurait fait peine.
Le grand mur, la tour Pacôme s'en allaient en morceaux tout autour du cloître rempli d'herbes, les colonnettes se fendaient, les saints de pierre croulaient dans leurs niches. Pas un vitrail debout, pas une porte qui tînt. Dans les préaux, dans les chapelles, le vent du Rhône soufflait comme en Camargue, éteignant les cierges cassant le plomb des vitrages, chassant l'eau des bénitiers, Mais le plus triste de tout, c'était le clocher du couvent, silencieux comme un pigeonnier vide, et les Pères, faute d'argent pour s'acheter une cloche, obligés de sonner matines avec des cliquettes de bois d'amandier !...
Pauvres Pères blancs ! Je les vois encore, à la procession de la Fête-Dieu, défilant tristement dans leurs capes rapiécées, pâles, maigres, nourris de citres et de pastèques, et derrière eux monseigneur l'abbé, qui venait la tête basse, tout honteux de montrer au soleil sa crosse dédorée et sa mitre de laine blanche mangée des vers. Les dames de la confrérie en pleuraient de pitié dans les rangs, et les gros porte-bannière ricanaient entre eux tout bas en se montrant les pauvres moines :
« Les étourneaux vont maigres quand ils vont en troupe. »
Le fait est que les infortunés Pères blancs en étaient arrivés eux-mêmes à se demander s'ils ne feraient pas mieux de prendre leur vol à travers le monde et de chercher pâture chacun de son côté.
Or, un jour que cette grave question se débattait dans le chapitre, on vint annoncer au prieur que le frère Gaucher demandait à être entendu au conseil... Vous saurez pour votre gouverne que ce frère Gaucher était le bouvier du couvent ; c'est-à-dire qu’il passait ses journées à rouler d'arcade en arcade dans le cloître, en poussant devant lui deux vaches étiques qui cherchaient l'herbe aux fentes des pavés. Nourri jusqu'à douze ans par une vie folle du pays des Baux, qu'on appelait tante Bégon, recueilli depuis chez les moines, le malheureux bouvier n'avait jamais pu rien apprendre qu'à conduire ses bêtes et à réciter son Pater noster ; encore le disait-il en provençal, car il avait la cervelle dure et l'esprit fin comme une dague de plomb. Fervent chrétien du reste, quoique un peu visionnaire, à l'aise sous le cilice et se donnant la discipline avec une conviction robuste, et des bras !...
Quand on le vit entrer dans la salle du chapitre, simple et balourd, saluant l'assemblée la jambe en arrière, prieur, chanoines, argentier, tout le monde se mit à rire. C'était toujours l'effet que produisait, quand elle arrivait quelque part, cette bonne face grisonnante avec sa barbe de chèvre et ses yeux un peu fous ; aussi le frère Gaucher ne s'en émut pas.
« Mes Révérends, fit-il d'un ton bonasse en tortillant son chapelet de noyaux d'olives, on a bien raison de dire que ce sont les tonneaux vides qui chantent le mieux. Figurez-vous qu'à force de creuser ma pauvre tête déjà si creuse, je crois que j'ai trouvé le moyen de nous tirer tous de peine.
« Voici comment. Vous savez bien tante Bégon, cette brave femme qui me gardait quand j'étais petit. (Dieu ait son âme, la vieille coquine ! elle chantait de bien vilaines chansons après boire. Je vous dirai donc, mes Révérends Pères, que tante Bégon, de son vivant, se connaissait aux herbes de montagne autant et mieux qu'un vieux merle de Corse. Voire, elle avait composé, sur la fin de ses jours, un élixir incomparable en mélangeant cinq ou six espèces de simples que nous allions cueillir ensemble dans les Alpilles. Il y a de belles années de cela ; mais je pense qu'avec l'aide de saint Augustin et la permission de notre Père abbé, je pourrais — en cherchant bien — retrouver la composition de ce mystérieux élixir. Nous n'aurions plus alors qu'à le mettre en bouteilles, et à le vendre un peu cher, ce qui permettrait à la communauté de s'enrichir doucettement, comme ont fait nos frères de la Trappe et de la Grande... »
Il n'eut pas le temps de finir. Le prieur s'était levé pour lui sauter au cou. Les chanoines lui prenaient les mains. L'argentier, encore plus ému que tous les autres, lui baisait avec respect le bord tout effrangé de sa cuculle... Puis chacun revint à sa chaire pour délibérer ; et, séance tenante, le chapitre décida qu'on confierait les vaches au frère Thrasybule, pour que le frère Gaucher pût se donner tout entier à la confection de son élixir.
Comment le bon frère parvint-il à retrouver la recette de tante Bégon ? au prix de quels efforts ? au prix de quelles veilles ? L'histoire ne le dit pas. Seulement, ce qui est sûr, c'est qu'au bout de six mois, l'élixir des Pères blancs était déjà très populaire. Dans tout le Comtat, dans tout le pays d'Arles, pas un mas, pas une grange qui n'eût au fond de sa dépense, entre les bouteilles de vin cuit et les jarres d'olives à la picholine, un petit flacon de terre brune cacheté aux armes de Provence, avec un moine en extase sur une étiquette d'argent. Grâce à la vogue de son élixir. la maison des Prémontrés s'enrichit très rapidement. On releva la tour Pacôme. Le prieur eut une mitre neuve, l'église de jolis vitraux ouvragés ; et, dans la fine dentelle du clocher, toute une compagnie de cloches et de clochettes vint s'abattre, un beau matin de Pâques, tintant et carillonnant à la grande volée.
Quant au frère Gaucher, ce pauvre frère laid dont les rusticités égayaient tant le chapitre, il n'en fut plus question dans le couvent. On ne connut plus désormais que le Révérend Père Gaucher, homme de tête et de grand savoir, qui vivait complètement isolé des occupations si menues et si multiples du cloître, et s'enfermait tout le jour dans sa distillerie, pendant que trente moines battaient la montagne pour lui chercher des herbes odorantes... Cette distillerie, où personne, pas même le prieur, n'avait le droit de pénétrer, était une ancienne chapelle abandonnée, tout au bout du jardin des chanoines. La simplicité des bons Pères en avait fait quelque chose de mystérieux et de formidable ; et si, par aventure, un moinillon hardi et curieux, s'accrochant aux vignes grimpantes, arrivait jusqu'à la rosace du portail, il en dégringolait bien vite, effaré d'avoir vu le Père Gaucher, avec sa barbe de nécroman, penché sur ses fourneaux, le pèse-liqueur à la main ; puis, tout atour, des cornues de grès rose, des alambics gigantesques, des serpentins de cristal, tout un encombrement bizarre qui flamboyait ensorcelé dans la lueur rouge des vitraux...
Au jour tombant, quand sonnait le dernier angélus, la porte de ce lieu de mystère s'ouvrait discrètement, et le Révérend se rendait à l'église pour l'office du soir. Il fallait voir quel accueil quand il traversait le monastère ! Les frères faisaient la haie sur son passage. On disait :
« Chut !... il a le secret... »
L'argentier le suivait et lui parlait la tête basse... Au milieu de ces adulations, le Père s'en allait en s'épongeant le front, son tricorne aux larges bords posé en arrière comme une auréole, regardant autour de lui d'un air de complaisance les grandes cours plantées d'orangers, les toits bleus où tournaient des girouettes neuves, et, dans le cloître éclatant de blancheur — entre les colonnettes élégantes et fleuries —, les chanoines habillés de frais qui défilaient deux par deux avec des mines reposées.
« C'est à moi qu'ils doivent tout cela ! » se disait le Révérend en lui-même ; et chaque fois cette pensée lui faisait monter des bouffées d'orgueil.
Le pauvre homme en fut bien puni. Vous allez voir...
Figurez-vous qu'un soir, pendant l'office, il arriva à l'église dans une agitation extraordinaire : rouge, essoufflé, le capuchon
de travers, et si troublé qu'en prenant de l'eau bénite il y trempa ses manches jusqu'au coude. On crut d'abord que c'était l'émotion d'arriver en retard ; mais quand on le vit faire de grandes révérences à l'orgue et aux tribunes au lieu de saluer le maître-autel, traverser l'église en coup de vent, errer dans le chœur pendant cinq minutes pour chercher sa stalle, puis, une fois assis, s'incliner de droite et de gauche en souriant d'un air béat, un murmure d'étonnement courut dans les trois nefs. On chuchotait de bréviaire à bréviaire :
« Qu'a donc notre Père Gaucher ?... Qu'a donc notre Père Gaucher ? »
Par deux fois, le prieur impatienté, fit tomber sa crosse sur les dalles pour commander le silence... Là-bas, au fond du chœur, les psaumes allaient toujours ; mais les répons manquaient d'entrain...
Tout à coup, au beau milieu de Y Ave verum, voilà mon Père Gaucher qui se renverse dans sa stalle et entonne d'une voix éclatante :
Dans Paris, il y a un Père blanc, Patatin, patatan, tarabin, taraban...
Consternation générale. Tout le monde se lève. On crie : « Emportez-le... il est possédé ! »
Les chanoines se signent. La crosse de monseigneur se démène... Mais le Père Gaucher ne voit rien, n'écoute rien
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Tout autour du village, les collines étaient couvertes de moulins à vent. De droite et de gauche on ne voyait que des ailes qui viraient au mistral par-dessus les pins, des ribambelles de petits ânes chargés de sacs, montant et dévalant le long des chemins ; et toute la semaine c’était plaisir d’entendre sur la hauteur le bruit des fouets, le craquement de la toile et le Dia hue ! des aides-meuniers… Le dimanche nous allions aux moulins, par bandes. Là-haut, les meuniers payaient le muscat. Les meunières étaient belles comme des reines, avec leurs fichus de dentelles et leurs croix d’or. Moi, j’apportais mon fifre, et jusqu’à la noire nuit on dansait des farandoles. Ces moulins-là, voyez-vous, faisaient la joie et la richesse de notre pays.
Malheureusement, des Français de Paris eurent l’idée d’établir une minoterie à vapeur, sur la route de Tarascon. Tout beau, tout nouveau ! Les gens prirent l’habitude d’envoyer leurs blés aux minotiers, et les pauvres moulins à vent restèrent sans ouvrage. Pendant quelque temps ils essayèrent de lutter, mais la vapeur fut la plus forte, et l’un après l’autre, pécaïre ! ils furent tous obligés de fermer… On ne vit plus venir les petits ânes… Les belles meunières vendirent leurs croix d’or… Plus de muscat ! plus de farandole !… Le mistral avait beau souffler, les ailes restaient immobiles…
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Pour bien connaître les oranges, il faut les avoir vues chez elles, aux îles Baléares, en Sardaigne, en Corse, en Algérie, dans l’air bleu doré, l’atmosphère tiède de la Méditerranée. Je me rappelle un petit bois d’orangers, aux portes de Blidah ; c’est là qu’elles étaient belles ! Dans le feuillage sombre, lustré, vernissé, les fruits avaient l’éclat de verres de couleur, et doraient l’air environnant avec cette auréole de splendeur qui entoure les fleurs éclatantes. Çà et là des éclaircies laissaient voir à travers les branches les remparts de la petite ville, le minaret d’une mosquée, le dôme d’un marabout, et au-dessus l’énorme masse de l’Atlas, verte à sa base, couronnée de neige comme d’une fourrure blanche, avec des moutonnements, un flou de flocons tombés.

LES ORANGES.
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- C’est ici que sont enterrés les six cents hommes de la Sémillante, à l’endroit même où leur frégate s’est perdue, il y a dix ans… Pauvres gens ! ils ne reçoivent pas beaucoup de visites ; c’est bien le moins que nous allions leur dire bonjour, puisque nous voilà…
[...]
Qu’il était triste le cimetière de la Sémillante !… Je le vois encore avec sa petite muraille basse, sa porte de fer, rouillée, dure à ouvrir, sa chapelle silencieuse, et des centaines de croix noires cachées par l’herbe… Pas une couronne d’immortelles, pas un souvenir ! rien… Ah ! les pauvres morts abandonnés, comme ils doivent avoir froid dans leur tombe de hasard !
Nous restâmes là un moment, agenouillés. Le patron priait à haute voix. D’énormes goélands, seuls gardiens du cimetière, tournoyaient sur nos têtes et mêlaient leurs cris rauques aux lamentations de la mer.

L’AGONIE DE LA SÉMILLANTE.
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Quel livre possède à la fois le parfum de l'enfance et tient lieu d'elixir de jouvence ? Un moulin… des lettres… et surtout le mistral et le chant des cigales…
« Lettres de mon moulin » d'Alphonse Daudet, c'est à lire au Livre de poche.
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