En exergue de l'ouvrage, ce proverbe chinois.
Tu ne peux pas empêcher les oiseaux
de la tristesse de voler au-dessus de ta
tête, mais tu peux les empêcher de faire
leur nid dans tes cheveux.
Camille est morte lundi. Camille est morte lundi. Camille est morte lundi. On est tout au fond d'un puits, mais des visages à la surface se penchent vers notre gouffre, crient, lancent des cordes, des échelles, des lianes de survie.
On les saisit, on se brûle les paumes, on se griffe les ongles à la douleur des autres, on s'emplit les poumons de leur chagrin pour que l'air soit respirable. On roule sans autre paysage que notre cataclysme du dedans...
Tu ne peux pas empêcher les oiseaux de la tristesse de voler au-dessus de ta tête, mais tu peux les empêcher de faire leur nid dans tes cheveux.
(Proverbe chinois)
Quand je vois ce qui attend ce monde de merde, entre trahison politique, catastrophe écologique et pauvreté de masse, je me dis que oui, on peut se dire que tu as été bien inspirée de quitter le navire ; mais quand je vois n'importe quel soleil sur n'importe quel pétale, ou n'importe quel gars qui tient la main de n'importe quelle fille, je me dis que non, franchement, fallait rester dans la vie.
Je voulais aller nulle part. Mais il n'y a pas de nulle part. Je le savais déjà mais, depuis que tu es morte, ça me manque vraiment, un endroit où disparaître.
Écrire, c'est te prolonger.
Une autre chose : nous n'avons pas de nom. Nous ne sommes ni veufs ni orphelins. Il n'existe pas de mot pour celui ou celle qui a perdu son enfant. Je viens de faire le tour sur Internet : pas d'occurrence dans le dictionnaire, ailleurs on propose des suggestions toutes aussi farfelues les unes que les autres....un papa répond sur un forum : "si, j'ai un nom : je suis un mort-vivant."
Au réveil, il faut s'étonner encore, comme à chaque réveil, d'être en état de continuer de vivre, d'exister.
Aujourd'hui c'est Pâques et je te vois me voir.
Moi qui n'ai jamais vécu sous le regard de Dieu ni sous
l'œil de Moscou, je vois ton bleu guetter le noir de mon
deuil, je suis sous l'aile de ta non-vie, à son ombre à son
soleil, dans le raffut des cloches de ton silence, dans la déso-
lante insouciance que ta mort m'impose, sans inquiétude
pour des parents vieux et malades, sans insomnies pour des
enfants à la dérive. Je suis pénétrée de ta mort par toutes les
fibres de mon corps, toutes mes veines sont calcifiées par
la poudre de tes os. Je te vois voir le tassement de mon âme,
je te vois m'attendre. Je frappe doucement à ta porte, tu
n'es qu'endormie, et je peux baiser ta joue tout abricotée de
sommeil.
p.185
Une autre chose : nous n'avons pas de nom. Nous ne sommes ni veufs, ni orphelins. Il n'existe pas de mot pour désigner celui ou celle qui a perdu son enfant; Je viens de faire un tour sur Internet : pas d'occurrence dans le dictionnaire, ailleurs on propose des suggestions toutes aussi farfelues les unes que les autres… Un papa répond sur un forum : "Si, j'ai un nom : je suis un mort vivant."