Une toute petite seconde

Après Les riches heures de Jacominus Gainsborough et Midi Pile, la dessinatrice revient à son adorable petit personnage aux douces oreilles. Un leporello, c'est un livre qui se déplie.

La pluie arrive, un beau est sur le point de quitter le quai, tout semble se précipiter, et pourtant tout est figé le temps d'une seconde. Une toute petite seconde. Chaque action est liée à la suivante et en entraîne d'autres jusqu'au final : tout concourt à l'événement qui concerne le héros, le petit Jacominus Gainsborough. « Il y a du monde dans cette image. Beaucoup de monde. Je peux même te dire qu'il y a des centaines de personnages. Tu peux les compter si tu veux. Tu peux connaître leur nom et lire un peu de leur histoire. Chacun d'eux a vécu cette toute petite seconde. Et chacun d'eux méritait d'en profiter. » (p. 1) Cet instant suspendu est une seconde de joie, de chagrin, de transition, d'attente ou de décision pour chaque protagoniste.

Les noms des personnages sont délicieusement originaux, cocasses et drôles. Outre les lapins – évidemment ! –, Rébecca Dautremer croque chien, renard, crocodile, rhinocéros, cheval, souris, chèvre, poule, singe, etc. C'est une société riche et diverse qu'elle réunit dans son illustration gigantesque. Quant aux personnages non animaux, ce sont d'étranges créatures à tête humaine, digne des tableaux de Jérôme Bosch.



L'album est immense, lourd, beau. Dans la poche intérieure gauche se trouve le livret contenant 100 petites histoires autour de 100 personnages. Et à droite se déplient 7 grands panneaux qui, dans une frise foisonnante, racontent les 100 histoires en un coup d'oeil, comme dans une toile de Brueghel l'Ancien. On croirait une page à la Où est Charlie ? tant on peut passer de temps à chercher le moindre détail. Il faut presque une loupe par endroit pour être certain que l'on voie bien ce que l'on voit !

J'ai passé un long moment devant l'illustration dépliée sur mon parquet, scrutant mille détails, suivant les regards des personnages ou la course d'une bille sur le sol. Ce livre est une merveille, un trésor à explorer seul ou à plusieurs. Et il reste tant de personnages sans histoire dans cette image que l'on peut à loisir inventer d'autres intrigues pour tisser de nouveaux liens entre les figurants !

À l'occasion, jetez aussi un oeil à la très belle version illustrée par la dessinatrice de Des souris et des hommes.

: Un très bel objet, à l'admirer sans encore l'ouvrir. Un énorme format, presque comme les collections Gallimard Jeunesse " Bottes de Sept lieux", les versions géantes d'albums classiques.
Encore une toute petite seconde, avant de l'ouvrir.
Une histoire de lapin et de temps, comme avec les fabuleux albums " Les riches heures..." avec le personnage de Jacominus Gainsborough et sa suite " Midi pile".
C'est un petit tout petit lapinou en première de couverture.
Jacominus et un retour à son enfance?
Tournons la page.

Quel drôle d'objet!
Un livret fourni et à l'intérieur, tenant place d'un volume d'histoire: un défilé d'images replié en accordéon, prêt à être posé et déplié comme un livre-caroussel.
Le livré délivrera le texte et donnera la parole aux personnages.
Toc toc toc sur la table, que le spectacle commence!

Comment s'y retrouver?
C'est vraiment un livre ludique.
Deux versions d'une scène nous seront offertes, recto et verso: une en couleur, reluisante du rouge 'Dautremer", présentant une oeuvre aussi léchée qu'un tableau.
C'est un instantané, une petite seconde de la ville de Jacominus. Les personnages y seront figés et nombreux.
Le livre-Caroussel se développera sur une rue bondée de commerces, de la Chapellerie à la Librairie, de l'atelier d'artistes peintres à la place de la fête foraine.
C'est évidemment superbe.
Nous aurons donc quelques minutes accordées sur quelques secondes qui s'écouleront véritablement et dont nous serons ce qui se dit d'intéressant au verso en sanguine et blanc.
Force de croire qu'il y aura sûrement au dos avec tous ses commentaires une histoire.
Encore quelques minutes.
Les plans sont beaux ici, il faudra prendre le temps sur les détails en couleur puisque le temps est suspendu pour nous.

Nous retournons le dépliant géant pour découvrir son pendant jumeau avec des personnages numérotés.
Leurs répliques se trouveront dans le livret.
La forme un peu repliée du paysage dynamisera ce long panorama organisé de plusieurs plans de profondeur, du premier plan jusqu'à l'horizon.
Où est Jacominus?

Autre aspect ludique avec cette scène numérotée, elle ne respectera pas le parcours linéaire du livre-accordéon, de gauche à droite, page par page.
Nous devrons faire des allers-retours car en effet, les dialogues des personnages vivront leur petite vie suivant l'action de cette grande scène, ainsi les personnages n'attendront pas leur tour dans l'ordre pour parler, c'est effectivement logique.
( Attention: les personnages croqués dans le livret ne se tiendront pas dans la même position sur la scène, il faudra se fier à son numéro). Comme c'est astucieux, l'auteure Rébecca Dautremer nous aura offert au final un " Cherche et trouve" géant.

Ce qui aime jouer pourront aussi choisir de partir du texte tout simplement car les dialogues donneront des indices sur le lieu ou l'action du personnage.
Nous recommanderons de jouer à plusieurs, avec un grand lecteur qui laissera les plus jeunes chercher tandis qu'il lira, un dialogue après l'autre, pour que sa fine équipe retrouve le personnage dont on parle.
Conseil numéro deux: la petite équipe de chercheur ne devront pas hésiter à retourner le décor à l'occasion et s'aider de la version couleur si elle peine à retrouver le personnage. Il suffira au grand lecteur de vous montrer l'animal perdu et à retrouver dans le décor.
Grâce à ce système de narration, le paysage pourtant statique deviendra très dynamique et vivant, fourmillant de commentaires par ci par là.
Il faudra s'y montrer attentif car certains monologues ou dialogues renverront à d'autres, formant ainsi une anecdote amusante.

Qu'en dire?
L'atmosphère sera tendre ou malicieuse, piquante parfois.
Le petit train train du village et ses petits secrets auront pignon sur rue.
Et l'histoire dans tout cela?
Il se passera une foule de choses à court ou moyen terme, il va se mettre à pleuvoir ( cette perspective va installer un peu le public et créer un événement qui inévitablement devrait précipiter les choses), c'est une période d'élection municipale, un tableau vient de se finir et l'artiste va fêter cela, il y a aussi une naissance, un mot doux ne sera pas trouvé dans un livre, une fugue trouvera sa suite et beaucoup d'autres choses.
Et Jacominus?
Et bien Dautremer nous réservera le meilleur pour la fin, c'est effectivement un souvenir d'enfance de Jacominus, le plus doux des souvenirs, quelques secondes merveilleuses qui justifieront tout le reste.
Ceci fera lien avec "Midi Pile"
On aime beaucoup.

Jacominus, "Les riches heures de Jacominus Gainsborough" et "Midi pile", a eu un accident qui lui a valu sa patte folle, mais savez-vous comment c'est arrivé ?
C'est ce que Rébecca Dautremer nous apprend dans "Une toute petite seconde" en arrêtant le temps. Elle nous raconte TOUT ce qui s'est passé durant cette toute petite seconde.

Une fresque gigantesque, où chacun des personnages, amis, famille et connaissances de Jacominus, a joué un rôle.

Cent micro-histoires, accompagnées d'illustrations qui nous font découvrir les liens entre les personnages, leurs joies, leurs peines, leurs surprises...

Cent histoires imbriquées qui illustrent visuellement à la perfection, pour les jeunes lecteurs, l'expression l'"effet papillon", et permettent de comprendre comment "une seule image peut ne raconter qu'une petite seconde de rien du tout".

Ainsi, lorsque Jan Gainsborough perdit sa partie d'échecs, Béatrix dut récupérer son livre oublié sur un banc car la pluie s'annonçait... Augustine Vidocq se mit à pleurer, sa fille Douce préféra sortir sur la véranda... et cela entraina la chute de Jacominus dans l'escalier.

En dépliant ce magnifique Leporello de 2 mètres, les liens entre les évènements se tissent, qu'ils soient cause ou conséquence les uns des autres.

Une oeuvre magistrale, d'une finesse et d'une délicatesse rares, avec d'un côté les histoires et de l'autre une vaste fresque truffée de détails.
Ce sont des heures de lecture, de recherche des personnages qui vous attendent.

Sublime !

Rebecca Dautremer a toujours été une grande illustratrice pour moi et cela se confirme au fil des ans. J'avais été bouleversée par son Jacominus quand il était sorti, puis par la poésie et le travail de Midi Pile. Elle conjugue ici les deux dans un objet fort singulier.

Une toute petite seconde, c'est tout un concept. Il y a d'abord une vaste fresque repliée qui se déplie et raconte toute une histoire. D'un côté vous avez le majestueux travail de l'illustratrice mis en couleur de manière sublime avec son côté rétro nostalgique bouleversant, dans des teintes vert, bleu, rouge éclatant que j'adore, me faisant un peu penser au travail de Hooper.
De l'autre côté, vous avez la même fresque en crayonné avec chaque personnage numéroté. Pourquoi me direz-vous ? Parce que l'autrice accompagne cela d'un fascicule racontant un instant de vie de chacun des personnages croqués, justement celui qu'elle a dessiné. Et c'est magique ! Quelle riche idée !

Je ne vais pas vous mentir la lecteur s'est révélée laborieuse, ce n'était pas simple de retrouver chaque personnage malgré les numéros car ils étaient tous dans le désordre et que parfois il fallait chercher dans les petits détails du décor. Ce n'était pas facile non plus de se rappeler le lien avec certains personnages vus des pages et des pages avant, ni de se rappeler de tous. Ils sont quand même 100 personnages ! Mais quand on fait l'effort, on découvre une histoire charmante et bouleversante comme l'avait été celle de Jacominus. Ça tombe bien, elle se déroule dans le même univers.

Nous suivons ainsi des moments de vie d'animaux anthropomorphes de toute espèce, tout âge, tout sexe. Certains ont une histoire drôle, d'autres émouvante et certains bouleversantes. C'est doux et tendre, porté par beaucoup d'amour et de bienveillance et une jolie dose d'humour. Grâce à ce texte, la scène immobile qu'on rencontre d'abord sans accompagnement et qui semble figée, prend totalement vie et cela change tout.

Je n'avais jamais lu ce genre d'objet et j'ai trouvé ça fantastique. Ça donne envie de se livrer à l'exercice sur d'autres fresques de ce genre en imaginant à notre tour ce qui a pu arriver à chacun des personnages, comme le faisait le vieux peintre aux os en verre dans Amélie Poulain.

Vous êtes fan de l'autrice ou vous ne la connaissez pas encore, n'hésitez pas à foncer. Certes, c'est un peu coûteux mais c'est un très bel objet tellement atypique et émouvant qu'il vaut vraiment le coup. Moi, j'en suis ressortie toute chamboulée et je le suis encore rien que d'y repenser.
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Livre objet par excellence, Rebecca Dautremer nous a habitué à ses chefs d'oeuvre de la littérature jeunesse. D'ailleurs, il est difficile de considérer celui-ci comme un livre pour enfant avec son texte qui sera peut-être trop complexe à aborder pour un enfant. Cependant, ils peuvent se satisfaire de ce magnifique concertina qui se déroule sous leurs yeux avec une foultitude de détails que l'on apprécie. Des détails se cachent à chaque recoin de l'image, entre les noms des enfants de l'auteur, le nom de son mari, des personnages qui viennent de ses autres oeuvres, on se régale de découvrir son trait de crayon absolument merveilleux.