Juste magnifique !
Ne vous méprenez pas sur la nature de ce livre !
Son titre "
juste être un homme", et la photo en couverture (dans l'édition brochée, grand format), peuvent faire penser à une campagne de pub pour un parfum ou des sous-vêtements d'hommes, dans le genre "viril". Qui plus est, cette couverture est barrée du nom de l'auteur, homonyme d'une célèbre marque de moto américaine qu'affectionnent les bikers. C'en est peut-être trop si l'on ne connaît pas l'immense talent d'écriture de
Craig Davidson. Cette série de détails risque de provoquer un malentendu regrettable, et de rebuter une partie du large public auquel il s'adresse (femmes, hommes, et indéterminés, du début de l'adolescence à la fin de la sénescence).
Oui, il s'agit bien de se plonger dans "la condition masculine" en particulier, mais ce roman est bien trop subtil pour n'être destiné qu'à venir grossir la bibliothèque du parfait "macho" du XXe siècle, entre un manuel de "gonflette sans effort" et un numéro de Penthouse (si vous vous reconnaissez dans cet honorable portrait, vous pouvez tout de même le lire).
De plus, nul besoin d'être un expert en boxe pour appréhender ou aimer ce livre. La simple connaissance de termes pugilistiques comme "uppercut", "direct" et "crochet" suffira amplement (retenir que dans les 3 cas, il s'agit d'envoyer une "patate" à son adversaire ; seule la gestuelle diffère). Rajoutez "Protège-dents" à votre lexique, et vous serez fin prêts."DING ! Boxe !"
Nous suivons l'itinéraire de 2 jeunes hommes, vivants de part et d'autre de la frontière entre USA et Canada.
Paul Harris, 26 ans, et Rob Tully, 16 ans, proches géographiquement, mais distants par leurs situations sociales. Paul, dès les premières pages, rencontre incidemment les poings d'un rustre qui le catapultent hors des rails dorés sur lesquels ses parents l'ont placé. Dès lors, détaché de son orbite sécurisée, il erre, adopte une trajectoire autrefois improbable.
Les protagonistes principaux mènent, tous deux, les combats suivants (intriqués dans le cas présent), tout aussi bien relatés l'un que l'autre :
D'une part, les confrontations physiques entre hommes, extrêmement rudes et violentes. Et d'autre part, toutes aussi intenses et certainement plus essentielles, les luttes contre les déterminismes, contre les attentes familiales.
Craig Davidson déploie une panoplie d'écrivain comparable à celle d'un boxeur dont on dirait qu'il a "la grande classe". Il est grand sans être grandiloquent. Il ne proclame pas ses qualités, elles s'imposent. D'un style fluide, il travaille le lecteur inexorablement, au corps et à la tête. Il ne lance pas de geste inutile, bannit le superflu. Tout a une fonction, un but. Variations des angles d'attaque, changements de cadence. Alternant les coups ravageurs et le travail de sape, il frappe dans toutes les ouvertures, offertes ou provoquées. La maîtrise est telle qu'inéluctablement, en à peine plus de 200 pages, l'affaire est pliée.
Selon moi, cet auteur réussit, en ajoutant ce roman "
juste être un homme" à son magnifique recueil de nouvelles "
Un goût de rouille et d'os", à se constituer une oeuvre certes encore bien courte mais déjà majeure.