Sarah Court est un quartier résidentiel au nord de Niagara Falls en Ontario. Un lotissement fait à la va-comme-je-te-pousse, un cul-de-sac investi par la classe moyenne, sans élégance particulière, sans charme. Seuls les écureuils qui envahissent le quartier semblent le sortir d'un ordinaire morne et grisâtre. Selon les habitants, on les accueille, on les élève ou on leur tire dessus. Les chutes du Niagara sont un spot touristique bien connu, attirant chaque année nombre de couples en lune de miel. Avec
Craig Davidson, le lecteur va observer les habitants de ce lotissement, leur petite vie et contempler leur existence passable, comme si le quartier était une boule à neige trouvée dans un magasin de souvenirs poussiéreux.
Cinq familles, pour cinq chapitres. Cinq clans inter-connectés, qui s'aiment ou se méprisent, qui se croisent sans se voir ou qui auront une influence sur le destin de l'un d'entre eux. Cinq familles cabossées, à l'existence médiocre, qui essaient tout de même de se faire une place dans la petite communauté qu'est la vie. Et qui lutte contre une malédiction : les liens du sang. La première famille que nous suivrons est celle de Wesley Bryant Hill. Batelier de père en fils, Wesley a passé sa vie à repêcher les gens qui se jetaient du haut des chutes. Des corps irrémédiablement abîmés, ballottés comme des fétus de paille par les courants de la rivière. Des noyés, et des moins chanceux qui ont été secourus mais dont le cerveau privé d'oxygène les marquera à vie. Et voilà que son fils, Colin, cascadeur de son état, un peu tombé dans l'anonymat et très abîmé par son métier, lui confie sa grande idée pour son retour en pompe : il compte dévaler les chutes dans un tonneau, et charge à son père de le récupérer en bas. Mais dans quel état ? Et ce père de se souvenir d'un fils qui s'est toujours mis en danger pour éprouver un petit frisson, pour se prouver, dans la douleur, d'être un peu en vie.
Dans ce quartier, il y a aussi Frank
Saberhagen, un neurochirurgien autrefois reconnu, aujourd'hui empêché d'exercer à cause de son alcoolisme, et qui aimait à défier son voisin Fletcher Burger par le biais de leurs enfants : Nicholas
Saberhagen sera un piètre boxeur pour faire plaisir à son père, avant de renoncer et de devenir un agent de liaison pour les détenteurs de la carte Centurion d'American Express tandis que Abby Fletcher, née fille à la grande déception de son père, deviendra malgré elle une haltérophile professionnelle, gommant définitivement toute trace de féminité sur son corps. Des enfants utilisés pour que les pères puissent vivre par procuration une carrière sportive professionnelle. À moins qu'il ne s'agissait seulement pour eux de se mesurer, comme deux mâles alphas, pour trouver qui est le meilleur. À cause de l'insistance acharnée de son père, Abby aura un bien triste accident, qui poussera Fletcher à faire un sacrifice radical pour essayer de rattraper son erreur. le fils de Nicholas, Dylan, est un petit garçon au bord de l'obésité, qui se réfugie dans son imaginaire et se métamorphose en différentes créatures pour échapper à son image et à l'échec qu'elle lui renvoie. Mais sa petite vie de vampire va devenir bien plus compliquée quand son père se rendra compte que la petite fille avec qui il discute sur le net est en fait un prédateur et qu'il le pousse à dénoncer l'existence de "Sadie" à la police. le voilà devenu la risée de la classe.
On croisera aussi dans cet improbable quartier Patience Nanavatti, fille d'un artificier décédé dans l'explosion de sa maison, explosion provoquée par un des adolescents à problèmes dont s'occupe sa voisine irascible Mama Russel. Depuis, elle est seule et sa solitude la ronge, invisible aux yeux des autres. Sa passion, voler à l'étalage dans le Wallmart de la ville, la conduira à sauver un bébé que sa mère avait tenté de noyer dans les toilettes du grand magasin. Un bébé qu'elle kidnappera à son tour, pour combler le vide. le vide, c'est le seul sentiment que connaît Jeffrey, un orphelin dont la mère était fumeuse de crack et qui a été recueilli par Mama Russel. Incapable de ressentir une quelconque empathie, il est réparateur de distributeur automatique et, de temps en temps, tueur pour le compte d'une figure locale, qui traversera lui aussi ce roman comme un fantôme maléfique.
C'est la galerie de personnages que l'on croisera dans ce roman "choral", une mosaïque de portraits hétéroclites, parfois attachants, la plupart survolés et certains assez invraisemblables. Les personnages sont à la recherche d'un bonheur qui semble toujours leur échapper, en prise à des relations parents-enfants toxiques, prisonniers d'une relation d'amour-haine boiteuse. Un désir de vivre, mais surtout un besoin d'exister en dehors des autres, mais un désir sans cesse voué à l'échec.
Les Bonnes âmes de Sarah Court est un roman qui propose une vision bien sombre d'une humanité médiocre, des familles en plein naufrage, qui pressentent l'écueil mais ne peuvent l'éviter, entre humour noir et situations qui oscillent entre le glauque et le sordide. Il n'y a pas d'intrigues à proprement parler, seulement des portraits qui se succèdent dans ce maelström qu'est la vie, des personnages qui se croisent et s'influencent, qui provoquent la chute ou le sauvetage de l'autre, toujours inconsciemment, fidèlement à la théorie de l'effet papillon.
Ce fut pour moi une lecture assez poussive, car la plupart des personnages ne m'ont pas intéressé, à l'exception notable du petit Dylan, qui a retenu un tant soit peu mon attention déclinante, certains étant carrément anecdotiques (je pense notamment à Patience Nanavatti, qui fait pourtant l'objet d'un chapitre entier et que l'on ne retrouve qu'à la fin du livre, comme pour faire flotter une tentative de happy end avec notre réparateur). L'écriture, sans être désagréable, est somme toute assez banale, tout comme l'humour noir, assez téléphoné et attendu. Quant à la construction du roman, qui abolit toute forme de temporalité, elle devient parfois difficile à suivre du fait de la multiplication des personnages et des situations (surtout si, comme moi, vous le lisez assez distraitement).
Je remercie Babelio et les éditions Albin Michel pour l'envoi de ce roman.