Si, selon
Platon, l'âme ne cesse de voyager de corps en corps, il y a fort à parier qu'à chaque naissance ça se bouscule pas mal au portillon du ciel des idées pour être le premier à se précipiter entre les jambes de la parturiente. J'ai comme dans l'idée que quand le jeune
Robertson Davies a pointé le bout de son nez,
François Rabelais et
Oscar Wilde, lassés de copuler ensemble depuis un bon moment déjà, se sont précipités sur le nouveau-né en oubliant de se desenchevêtrer d'abord. Umberto Éco, toujours prêt à voir des signes partout, penché sur le couple dans sa frénésie de notations, ne put s'écarter à temps, et c'est donc ce trio improbable qui dégringola avec assez peu de dignité dans le corps potelé de bébé Davies juste avant qu'il ne poussât son premier cri. Ces étourderies furent ô combien fécondes puisqu'elles nous valent ce roman étourdissant, débordant d'esprit victorien, d'érudition humaniste et d'impudente grivoiserie.
On y apprendra donc avec profit
à reconsidérer le sacerdoce. « …comment devient-on moine ? Vous faites le tour des monastères pour voir qui veut bien vous accepter. Or, ça, ce n'est pas évident du tout. Les religieux se méfient en effet des gens qui veulent soudain mener leur genre de vie ; ils ne se considèrent pas comme une alternative à la Légion étrangère. ».
à profiter des opportunités du monde moderne pour simplifier la recette des philtres d'amour. « - … comment t'es-tu procuré le sang de Maria? - Grâce à ces trucs, tu sais, ces trucs gadje qu'elle introduit en elle chaque mois. Tu en mets un dans le presse-ail et pffft! le tour est joué. »
à réviser les évangiles apocryphes. « Ô Simon, vous devez tout de même vous rappeler
les anges rebelles ! C'étaient de vrais anges: Samahazai et Azazel. Ils trahirent les secrets célestes au profit du roi Salomon, et Dieu les chassa du Ciel. Que firent-ils alors ? Passèrent-ils leur temps à se morfondre et à comploter contre le Seigneur ? Pas du tout! A la différence de Lucifer, ce n'étaient pas des narcisses rancuniers… Ils descendirent sur terre où ils enseignèrent les langues, l'art de guérir, les lois et l'hygiène… »
Mais le meilleur est sans doute que Davies, conscient de ce que cette triple hérédité pouvait engendrer de fatuité dopée aux hormones mâles, a placé ses trois mandarins sous l'autorité de cette chère
Jane Austen qui en a profité pour exiger que l'histoire finisse par un mariage en bonne et due forme. Avec une mariée qui soit une vraie jeune fille. « Quand même pas! » a rugi en ricanant la sainte trinité des érudits . Allez… Va pour une demi-vierge.
Définition du bonheur : 1) avoir fini un roman de
Robertson Davies, et 2) savoir que ce roman n'est que le premier tome d'une trilogie de 1400 pages. Alléluia.
Et encore merci à l'amie babeliote (est-ce vous, Bilodoh?) qui m'avez glissé son nom au détour d'une critique. Je vous dois mille remerciements.