Ressorts sociaux et politiques de la destruction des villes : trois essais toniques et décapants.
Publié en 2003, traduit en 2009 par
Maxime Boidy et
Stéphane Roth aux Prairies Ordinaires, "
Dead Cities" regroupe trois essais de
Mike Davis, le difficilement classable et passionnant historien américain qui s'est créé, au fil des années, une spécialité des approches ethno-sociologiques nourries d'architecture et d'urbanisme.
"Le cadavre berlinois dans le placard de l'Utah" prend appui sur une visite du site militaire, partiellement déclassifié désormais, de Dugway, dans l'Utah, où fut minutieusement reconstitué jadis une banlieue ouvrière de Berlin (ainsi que des "villes de papier" japonaises, d'ailleurs), en 1942, pour y tester sans relâche les engins incendiaires destinés à être largués sur les villes allemandes durant la seconde guerre mondiale - et sur l'archipel nippon. C'est l'occasion pour
Mike Davis de fouiller par le menu, en inlassable décrypteur d'archives et de témoignages qu'il est, à la fois le débat entre Anglais et Américains, partisans des bombardements de masse dits "de terreur" et partisans des bombardements de précision, débat qui déchira aviateurs, scientifiques et politiques anglo-saxons en 1942, avant de voir le triomphe de "l'école britannique", bien soutenue par certains Américains toutefois, et de lancer la destruction systématique des villes allemandes, en visant un effet maximal sur les populations, et tout spécialement sur les populations ouvrières. En étudiant les raisons et les justifications invoquées pour cet acharnement et de son aspect "de classe", des aspects particulièrement glaçants d'une certaine conception de la lutte du Bien contre le Mal apparaissent, en même temps que l'extraordinaire "mise à disposition" de savoirs d'ingénieurs, d'architectes, d'urbanistes et de spécialistes des matériaux, au service d'une destruction des populations.
"Les flammes de New York" rapproche dans une lecture des années 1920-1980 les fictions anti-utopiques et apocalyptiques ayant mis en scène la destruction de New York - jusqu'au moment où une part de cette fiction devient réalité en septembre 2001- des politiques de la peur développées désormais au nom de la lutte anti-terroriste, pour élucider la part fantasmatique qui permet de "faire avaler" si aisément un ensemble de mesures au fond profondément mercantiles.
"Villes mortes : une histoire naturelle" passe en revue avec un certain systématisme l'ensemble des expériences, simulations et travaux ayant été conduit depuis plus de 50 ans, dans un cadre scientifique et écologique, sur la manière et les formes parfois inattendues dont la nature "reprend ses droits" lorsque des pans des métropoles contemporaines, au coût de maintenance absolument prohibitif, sont abandonnés - souvent pour des raisons de marché immobilier et de politique de la ville - ou détruites, et l'on revient ici au premier essai du recueil, en étudiant le devenir urbain et écologique des villes bombardées, effondrées ou rasées.
Souvent connu des lecteurs français, notamment ceux ayant un intérêt pour la science-fiction, par son "
Au-delà de Blade Runner - Los Angeles et l'imagination du désastre" (1992 et 2000, traduit en 2006 chez Allia),
Mike Davis démontre à nouveau dans ces trois essais la puissance de sa recherche boulimique au service d'un décryptage social et politique de réalités urbaines que les amis de la main invisible aiment à croire purement techniques et scientifiques.