Yvan vient d'avoir cinquante ans et on ne peut pas dire qu'il aborde cette cinquantaine de manière totalement décomplexée. Dans la même année, il vient de perdre ses parents et son boulot. Ses enfants sont loin, son fils au Canada ne lui donne plus guère signe de vie. Sa femme travaille à l'étranger et il ne saurait dire s'ils s'aiment encore... Bref ! Tout va très bien Madame La Marquise...
C'est peut-être l'occasion pour Yvan de prendre un virage, tourner une page, rebondir. Sa piste d'atterrissage, c'est un havre de paix chez un couple d'amis du Jura qui lui prête une maison, un endroit pour se poser, se reposer, entreposer des cartons qui contiennent toute une vie, la sienne, celle de ses parents...
C'est la fin de l'hiver. La neige ici est un personnage à part entière. Elle ne se contente pas de recouvrir le paysage. Yvan avance avec peine dans cette poudreuse qui vient recouvrir ses dernières illusions, avance presque à contre-courant... Les premières planches saisissent magnifiquement ce mouvement presque désespéré, Yvan derrière ses lunettes de soleil, regardant le ciel ou quelques pans de sa vie que les nuages dessinent.
Yvan va tout d'abord habiter cet espace-temps comme une fin. Il se laisse happer par le quotidien, se laisse un peu aller, une sorte de dérive lente, lancinante, puis de ce quotidien presque anodin il s'en empare aussi, saisit quelques occasions fugitives, presque éphémères pour tenter d'inventer quelque chose, refaire surface. Sans s'en rendre compte, il finit par toucher le fond...
Une fois qu'on a touché le fond, que reste-il à faire ? Y rester ou bien remonter à la surface d'un coup de pied, renaître. Ce roman graphique est une magnifique renaissance.
À quoi s'accrocher alors, à quel fil pour remonter vers la lumière, vers la neige qui fond déjà, vers les visages de celles et ceux qui sont quand même là, reviennent, toujours fidèles, on appelle cela l'amitié.
Une histoire se promène en filigrane de ce récit, datant de trente ans, lorsque Yvan et ses amis avaient vingt ans et se moquait d'un quinquagénaire, « un pauvre con de cinquante ans » disaient-ils alors, ils avaient saccager l'intérieur de sa maison où ils avaient fait la fête, cette histoire est à la fois drôle et triste, résonne plus tard avec un goût amer... Elle revient dans le récit, dérange aussi et dans sa révélation presque théâtrale, elle apparaît comme quelque chose de sidérant, redonnant sens, comme si les histoires qu'on se fabriquent innocemment à vingt ans servaient à cela trente ans plus tard.
La vie passe, comme la neige qui fond sur un versant au soleil.
Entre les planches dessinées avec acuité, s'invitent des photos, celles d'objets découverts dans les cartons d'Yvan, en provenance de la maison de ses parents. Des objets désuets, parfois inutiles, on pourrait rire de ces photos, mais la nostalgie qui en émane s'invite comme une petite musique qui nous rappelle des souvenirs.
J'ai trouvé ce récit touchant, mêlant profondeur, autodérision et légèreté. Je m'y suis retrouvé à certains moments comme devant un miroir qui revenait...
J'ai découvert que les trois auteurs de cet album, Étienne Davodeau, Joub et
Christophe Hermenier, qui sont amis, venaient eux aussi de passer le cap de la cinquantaine au moment d'imaginer cet album. D'ailleurs, le personnage d'Yvan est totalement inspiré de ce qu'a vécu
Christophe Hermenier.
« On arrive à La Cinquantaine,
moitié sage, moitié fou
Le cul assis entre deux chaises
à tenter d'en joindre les bouts
Sur la route de la chimère
on se retrouve souvent un jour
Pour faire le compte de ses guerres,
des petites joies, des grands amours
Et c'est tout ».
Serge Reggiani