«
Les séparées » est un roman à deux voix, celle de Cécile, celle d'Alice, deux amies que le temps qui passe, les petites jalousies, les amertumes et les non-dits ont fini par irrévocablement séparer.
L'une est à l'hôpital, dans un semi-coma, l'autre attablée à la terrasse d'un café. Chacune de son côté va faire entendre la voix du souvenir, de l'époque des années 1980 lorsqu'adolescentes, elles tendaient vers le même idéal, la tête emplie de projets et de rêves, jusqu'à la dégradation progressive et la scission définitive de leur amitié 30 ans plus tard.
Il est toujours un peu pénible d'aller à contre courant l'avis général. Il nous faut pourtant avouer que «
Les séparées » est d'un niveau bien inférieur aux attentes et à l'espoir mis en lui.
C'est souvent le cas lorsque les critiques encensent un ouvrage à coup d'adjectifs trop élogieux, de louanges glorificatrices et autres félicitations disproportionnées, on s'attend à un livre frisant le chef-d'oeuvre et lorsque les illusions sont déçues, la déception est à hauteur du dithyrambe….mais inversée pour le coup.
Bien que d'une lecture agréable, le livre de
Kéthévane Davrichewy comporte finalement trop de bémols pour peu de dièses.
Car c'est un livre auquel malheureusement on ne croit pas.
On ne croit pas à cette amitié entre Alice et Cécile que l'on nous décrit comme fusionnelle et passionnelle et qui se délite comme une relation de vieux couple.
Pourtant, pour des raisons aussi opaques que mystérieuses, voilà la rupture bel et bien consommée… avec des sentiments bien acrimonieux pour deux êtres qui se sont aimés et si peu d'arguments de désunion, « j'ai voulu te blesser moi aussi, t'anéantir, te mettre à terre»…
Cette séparation que l'on aurait pu comprendre à 20 ans, à l'âge où les chemins et les choix divergent, intervient bien après la trentaine, après des années à se téléphoner tous les jours, à partir en vacances avec maris et enfants, à travailler ensemble, à tout partager. Et brusquement, ces deux femmes ne peuvent plus se voir en peinture ! « La haine, pernicieuse, avait laissé place à un sentiment tiède». Ca c'est de la fusion !
Alice et Cécile sont donc liées nous dit-on comme le seraient deux soeurs, pourtant, envies et petites jalousie très féminines jalonnent ces années d'amitié, « j'enviais la facilité avec laquelle tu allais vers les gens », « tu enviais ma liberté »…
Sans omettre le fait qu'elles se taisent l'une l'autre de lourds secrets, de ceux que seul un ami peut entendre…
Ca c'est de l'amitié !
Si le tableau des années 1970/80 est plutôt plaisant, ressuscitant l'époque en un large panorama brassant chansons populaires, publicités, évènements sportifs, politiques et télévisuels, Kéthévane Dravichewy ne nous épargne aucun des thèmes misérabilistes de la littérature : drogue, sida, chômage, adultère, le tout saupoudré d'inceste. Ca c'est du package !
Bon c'est vrai, il y a des gens qui ne sont vraiment pas vernis dans la vie mais heureusement pour nous, l'auteur a su nous éviter l'écueil du mélodrame bien que la distance avec laquelle nos héroïnes prennent toutes les tragédies ne lasse pas de nous surprendre.
L'écriture de la romancière est fine et sensible et se déploie en phrases courtes et factuelles avec une répétition toutefois un peu maladroite des prénoms : Alice a dit, Cécile a fait…
Les deux personnages, aux caractères normalement divergents, sont finalement très peu distincts sur le papier dans leur façon d'exprimer leurs sentiments et leurs émotions ; si le récit n'était pas construit en deux voix alternées, on pourrait même aisément confondre les deux femmes tant elles se révèlent interchangeables.
Cette histoire d'amitié en lambeaux n'est donc pas désagréable, le roman se lit vite et plutôt bien, on y décèle de la fraîcheur, beaucoup de délicatesse et une grâce aérienne mais il y manque l'empathie, la crédibilité et toutes ces petites choses qui font qu'un livre nous marque durablement.
Ah déception quand tu nous tiens !