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Critique de batlamb


Dazaï peint ici l'auto-portrait d'un homme sans confiance en lui et donc sans véritable désir de s'affirmer et d'impulser une direction à sa vie. Sachant pertinemment que sa personnalité apathique est mal vue par ses semblables, il craint leur jugement plus que tout. Un jugement qui s'incarne par diverses figures d'autorité, Dieu inclus. J'ai d'ailleurs été un peu étonné de retrouver des concepts chrétiens dans un roman japonais : la culture nippone n'est peut-être pas si éloignée de la nôtre que je le pensais. Ainsi, avec une obsession tragi-comique, le narrateur entrevoit la faute dans la moindre de ses actions. Pour retrouver un semblant d'équilibre mental, il se créé un alter-ego farceur, "le bouffon". Celui-ci lui permet de faire rire les autres pour alléger en surface sa pesanteur intérieure. Une action qui, par ricochet, résume sans doute la démarche de Dazaï dans ce roman proche de l'autobiographie : il se caricature de façon parfois risible, mais ne fait que donner le change à ses démons, les mêmes que ceux de son anti-héros... qui, au fil du récit, est amené à devenir caricaturiste. Coïncidence ? Je ne crois pas.

Les femmes sont les personnages secondaires les plus présents. Les deux derniers tiers du récit sont rythmés par leurs apparitions dans la vie du narrateur, et leur départs, toujours amers. Elles sont tout aussi imperméables au narrateur que les autres hommes, et il ne parvient guère à instaurer une relation au-delà du rapport charnel. Les prostituées, qui n'ont pas besoin d'être considérées au-delà de ce rapport, lui paraissent d'ailleurs étrangement compréhensibles et réconfortantes au point d'en devenir des saintes à ses yeux :

"J'ai vu certaines nuits, sur ces prostitués stupides ou demi-folles,
se dessiner l'auréole de Marie"

Ce retournement des valeurs religieuses n'est pas qu'une simple moquerie : il témoigne aussi de la mauvaise conscience du narrateur. Tout en montrant de façon désabusée le caractère relatif des valeurs religieuses, il ne parvient pas à s'en défaire, et il en souffre. le caractère tragi-comique de ce passage nous révèle l'essence du rire du "bouffon". Un rire aigre. Je n'ose pas écrire jaune, par crainte de faire un mauvais jeu de mot.

Pour noyer et faire taire son esprit tourmenté, l'anti-héros a recourt à des méthodes telles que le sexe et la drogue… ce qui donne raison à sa peur du pêché, bien évidemment. Cette auto-destruction, les autres ne font que la retarder. Ils sont capables de protéger physiquement le narrateur, mais jamais d'influer sur ses dispositions mentales. Ainsi ne font-ils que prolonger son supplice, dont la fin reste en suspension, peut-être par pudeur, ou peut-être pour laisser espérer un jugement favorable, un rachat des pêchés. Hercule sera-t-il sauvé de son bûcher ? le Christ ressuscitera-t-il ?

En tout cas, dans la réalité, Dazaï se suicidera sans ambiguïté, après nombre de tentatives avortées qui lui auront au moins laissé le temps d'écrire (et de s'épanouir ?) davantage que son triste personnage, ce qui confirme la nature auto-caricaturale de cette autofiction. Là réside cependant la seule distinction claire entre la vie de l'auteur et celle de son personnage.

Le titre du roman résume sans fioritures cette spirale irrésistible, à l'image du style de l'auteur. Simple, sobre, pas un adjectif de trop. Cela n'alourdit pas le caractère pathétique du récit, mais ne le rend pas plus agréable à lire non plus, dans ses passages les plus démoralisants. Cependant, le côté caricatural sous-jacent permet à Dazaï de s'autoriser quelques fantaisies pour mieux dépeindre la peur du narrateur, qui voit souvent les autres comme des monstres, des spectres ou des esprits incompréhensibles. A ceux qui apprécient cette facette de Dazaï (très légèrement esquissée ici), je ne peux d'ailleurs que recommander les recueils où Dazaï réécrit les récits merveilleux du folklore asiatique, avec la même sobriété désabusée mais pas cynique, de celui qui ne connaît « ni le bonheur ni le malheur ».
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