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Critique de Lucilou


Myrddhin disent les gallois.
Merzhin disent les bretons.
Merlin disons-nous.

Merlin l'enchanteur.
L'enchanteur le plus connu de la littérature, le personnage le plus populaire de la légende arthurienne, à égalité avec le roi de Bretagne.
Ses origines sont au moins aussi mystérieuses que le personnage lui-même. Il trouverait sa source dans la mythologie celtique galloise et s'inspirerait d'un dieu mi-druide, mi-barde autant que de personnages historiques dont on sait trop peu de choses. Dans les textes archaïques, on le présente comme un homme à moitié sauvage, vivant dans les bois, d'une intelligence hors du commun mais torturé par la folie.
C'est Geoffroy de Monmouth qui l'introduit véritablement dans le cycle arthurien et le français Robert de Boron lui donne, au XIII°siècle, l'identité qui ne le quittera plus jamais : celle d'un enchanteur de génie qui veillera aux destinée d'Uther Pendragon puis d'Arthur.

« Le Roman de Merlin » s'attache à nous raconter l'histoire extraordinaire de l'enchanteur. Le premier chapitre s'ouvre sur l'assemblée des démons. Ces derniers sont mécontents : le Christ a racheté la faute des hommes et rendu possible l'oeuvre de rédemption. Ils décident donc de créer un antéchrist capable de contrer les plans divins... Au terme d'un long concile, ils envoient sur terre l'un des leurs et le charge de séduire une jeune fille vierge et de lui faire un enfant, antéchrist en puissance. La future mère de Merlin sent le mal rôder autour d'elle et va s'en ouvrir à son confesseur qui lui conseille alors de toujours dormir avec une bougie allumée auprès d'elle, afin d'éloigner le démon. Un soir, la jeune fille oublie la bougie... Et se passe ce qui devait se passer : le démon en profite. Neuf mois plus tard, la jeune mère, repentante et éplorée, accouche d'un enfant qui serait à croquer s'il ne portait point barbe et s'il ne parlait pas tant... C'est que le nouveau né est au moins aussi extraordinaire que son père ! De ce dernier, il tient sa capacité à connaître le passé, de sa mère -qui a été touchée par la grâce de Dieu suite à son sincère repentir- celle de voir toutes choses présentes et à venir... Commence alors l'existence de cet enfant prodigieux auprès de sa mère qu'il protège avec sagesse et amour. Un beau jour, des chevaliers viennent le chercher pour le mener à la cour du roi Vortigern qui, n'arrivant pas à édifier une tour, exige, sur le conseil de ses astrologues, le sang d'un enfant né sans père. Merlin échappera au sacrifice en révélant au roi la raison de son échec et en annonçant à ce dernier et à sa cour le retour de Pendragon, roi légitime. Le mage ne s'arrête pas là : prenant fait et cause pour Uther Pendragon, il le soutiendra dans tous ses projets (même quand ceux-ci se résument à séduire la femme d'un autre) et en fera un grand roi. Il veillera également sur le fils bâtard du souverain -Arthur- et s'assurera que le prince caché retrouve un jour le rang qui lui est dû. On me murmure que pour ce faire, il est question d'une épée et d'un rocher...
Ainsi va Merlin, faiseur de roi, pourfendeur de dragons et de saxons, enchanteur, guérisseur, conseiller, prophète, astrologue, métamorphe, bâtisseur. A Arthur, il inspirera l'idée d'une table ronde et le poussera à faire de la quête du Saint Graal l'idéal ultime de la chevalerie, comme un dernier pied de nez à son ascendance démoniaque contre laquelle il a lutté sans cesse.
Rien n'est pourtant éternel et Merlin un jour partira. Elle s'appelle Viviane et il fera d'elle une enchanteresse, celle à laquelle des textes postérieurs donneront le surnom de « Dame du Lac ». A elle,parce qu'il en est tombé désespéramment et fou amoureux, il apprendra tout ce qu'il sait : lire le passé, le présent et l'avenir, se transformer à l'envi, parler aux animaux, faire couler des rivières, bâtir des châteaux de cristal à la surface des lacs, se rendre invisible, construire des prisons d'air, préparer des mixtures pour endormir ou tuer... L'histoire ne dit pas s'il lui enseigna aussi son astuce pour dessaler les morues en un instant ou à confire les abricots (je ne résiste pas à Kaamelott... Ni à Alexandre Astier!). Un jour, l'élève dépassa le maître -mais il le savait, il l'avait lu dans les étoiles- et Viviane finit par enfermer son maître et amant dans une prison invisible, d'air et de vent, au grand désespoir d'Arthur. A ce qu'on dit, il est toujours là-bas et parfois, quand on entend le vent gémir, il paraîtrait que c'est lui qui murmure une incantation. Ainsi fut la vie de Merlin, mille fois racontée, et d'abord par Robert de Boron qui, s'il se contente d'esquisser la fin de l'enchanteur, fit de ce barde gallois fou le personnage de légende qu'il est devenu, enrichi au fil des versions et qu'il continue d'être au coeur même de notre triste vingt et unième siècle dépouillé de magie et de légendes.

Au delà du fond légendaire du texte, le roman de Robert de Boron présente aussi d'autres qualités : il est écrit en langue vulgaire et surtout en prose, ce qui en rend la lecture plus aisée que s'il était composé en vers, d'autant que ses codes narratifs ne sont pas les nôtres et qu'il faut s'habituer à l'écriture des XII° et XIII°siècles !
De plus, la rédaction laisse la part belle aux dialogues, ce qui fluidifie un récit parfois un tantinet moralisateur voire mystique, sans en ôter l'aspect délicieusement mystérieux.
Enfin, il comporte entre les lignes du légendaire des réflexions intéressantes sur la religion, la foi et les prêtres, sur le pouvoir et la politique et sur le désir (et sur le désir des prêtres, et l'abstinence, jugée absurde par l'auteur : chapeau pour l'époque!). C'est donc bien plus moderne qu'on ne pourrait le croire au premier abord (certains questionnements pourraient bien s'appliquer à notre époque mine de rien) et bien plus profond.

Il y a des quantités de raisons pour découvrir « Le Roman de Merlin », de la magie à la pensée du Moyen-Age... et peut-être que si on est nombreux à se repaître de ses aventures, il sortira de sa prison d'air... et de papier.
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