Je ne fus pas long à m’apercevoir de l’ambiguïté de ce métier. La nuit, je rêvais d’architectures à la syntaxe lâche et fragmentaire du rêve – comme un théâtre d’écrans flottants et de pinceaux de lumière en mouvement, projetant çà et là, au hasard, des lambeaux d’images vaguement familières.
Puis je m’éveillais et me souvenais que, le jour, je calculai des cages.
J’envie leur sort aux hommes qui vivent sous la tente : non de pouvoir déplacer leur maison à leur guise (car en ce sens ce n’est qu’à peine une maison), mais de pouvoir la remonter autrement chaque fois, selon la forme du lieu, l’aspect du ciel, le besoin qu’ils en ont, leur fantaisie… - et en ce sens, leur tente est toutes leurs maisons.
Le mieux serait, sitôt une maison terminée, de partir sans plus me retourner; non par crainte de m’y attacher outre mesure ou, à l’inverse, de voir en face ses menues imperfections, mais ne souhaitant prendre le risque ni de faire la suivante trop pareille, ni de vouloir la faire trop différente.
Longtemps j’ai cru que, pour réussir à faire une demeure, il me fallait pouvoir m’imaginer y habitant. De succès vague en vague échec, j’ai compris désormais que la chose importe peu en somme, pourvu que la demeure consente à m’habiter.
Pour bâtir, mieux vaudrait le bois; mais seule la pierre fait d’aussi belles ruines…
Daniel de Bruycker : Silex la tombe du chasseur
D'un chantier de fouilles archéologiques à Anvers,
Olivier BARROT présente le
roman "Silex, la tombe du chasseur" de
Daniel DE BRUYCKER et en lit un extrait.